Le Rhône est empoisonné, il empoisonne, et cela va durer. Mais pourquoi ?

Réflexions à propos de l’environnement :
par  M.-L. DUBOIN
Mise en ligne : 31 janvier 2008

Suzanne et Bernard Ballet ont signalé à nos lecteurs les problèmes posés par les usines de retraitement des déchets, en commentant dans notre précédent numéro le livre de D.Dietmann “Déchets ménagers - le jardin des impostures”. La pollution du Rhône est un autre exemple, elle est telle qu’il faudrait agir de toute urgence pour y mettre fin. Mais…

Un reportage édifiant était diffusé les 18 et 31 décembre sur France 5. Il dévoilait que les eaux du Rhône sont tellement empoisonnées par les rejets d’une usine qu’elles sèment la mort.

« La beauté du Saint-Gothard ne laisse rien présager du drame écologique qui se joue en aval. Dans ce massif des Alpes suisses, berceau de deux grands fleuves, on a peine à imaginer que le Rhône est à l’agonie, lentement empoisonné par le PCB, ou polychlorobiphényle, plus connu sous l’appellation de pyralène », commentait Anne-Laure Fournier en présentant ce documentaire réalisé par Sébastien Deurdilly. L’explication suivait : le PCB est un isolant utilisé dans la fabrication de transformateurs et de condensateurs, il s’accumule sous forme de déchets, de rejets ou de résidus dans les sédiments du fleuve, et ce produit toxique, qui a une durée de vie de plusieurs centaines d’années, a la propriété de se concentrer dans les graisses.

Dans un rapport récent, le WWF évoquait ce « Tchernobyl à la française » et dénonçait les négligences des pouvoirs publics et les responsabilités industrielles. Deux usines de retraitement des ordures sur les rives du cours d’eau y étaient notamment pointées du doigt.

Plusieurs études font état d’une augmentation de 70 % des cas de cancers dans la région, ainsi que de problèmes de fertilité, de croissance et de dégradation du système immunitaire. Les preuves et les témoignages abondent.

Mais rien n’y fait, les usines qui sèment cette mort sont prospères et elles continuent à infecter la région.

L’interdiction, qui a été faite, de consommer les poissons pêchés dans le fleuve n’est évidemment pas la solution. Il est manifeste qu’il faut, de toute urgence, faire cesser ces rejets. Ensuite, pour “guérir” le Rhône, il faudrait lui faire subir le même traitement que pour le Rhin, traitement qui a duré plusieurs dizaines d’années et qui a coûté des milliards d’euros. Cela ne peut résulter que d’une décision des pouvoirs publics.

Pour alerter les responsables, entre autres démarches, un colloque a été organisé, auquel le Président de la région PACA a été convié, pour qu’il constate et qu’il agisse.

Il est venu. Il a vu. Il a pris conscience de l’énormité des dégâts, de leur source et de l’urgence.

Puis il a conclu, et publiquement : le pouvoir politique n’y peut rien, celui de l’argent est plus fort que lui.

Ce flagrant constat d’échec est révoltant, mais c’est un aveu que les responsables politiques n’ont, en général, pas le courage de faire, alors qu’ils le vivent au quotidien.

Citons cependant un autre témoignage, à plus haut niveau et à plus grande échelle. Il s’agit de celui du “haut représentant de l’Union européenne pour la politique et la sécurité commune”, Javier Solana. En cette année du cinquantième anniversaire de l’UE, il a osé déclarer que la mondialisation, si elle permet à beaucoup de vivre mieux, « libère également des forces que les gouvernements ne peuvent ni maîtriser, ni arrêter ».

Cet aveu d’impuissance est un peu facile, car ce sont pourtant bien les gouvernements qui ont décidé d’ouvrir les vannes au pouvoir des capitaux. Ce sont eux qui présentent leur propre rôle comme consistant à aider les entreprises de leur pays, impliquant par là que le bonheur des peuples, dont ils ont accepté la charge, résulte automatiquement de la prospérité des entreprises. C’est bien sous ce prétexte qu’ils se transforment en représentants de commerce. Il faut voir comme ils en sont fiers quand ils se vantent d’avoir conclu des contrats de plusieurs milliards, fut-ce avec des pays qui ne respectent pas les Droits de l’homme ! Ce qui prouve que la dégradation de l’environnement et les graves problèmes de santé qu’elle engendre proviennent d’abord d’une absence de démocratie : les responsables, y compris dans ce qu’on appelle les démocraties modernes, sont au service non pas de tous, mais essentiellement de ceux qui ont un capital à faire croître.