Lettre ouverte à Jean-François KAHN


par  Y. GOURBEAULT
Mise en ligne : 31 janvier 2008

Dans la lettre ci-dessous, dont il nous envoie copie pour publication, Yves Gourbeault invite Jean-François Kahn, le directeur de l’hebdomadaire Marianne à plus de bon sens que lors d’une récente émission de télévision :

Cher Monsieur,

Pour l’émission “C. dans l’air” du 21 novembre, Yves Calvi avait réuni un juriste, M. Ray, un économiste, M. Touati et vous-même, J.-F. Kahn, qu’on ne présente plus.

J’ai été consterné par la qualité médiocre de ce débat. Je vous ai tous entendu exprimer des opinions qui me paraissent aberrantes, tout particulièrement de la part de l’économiste. Pour essayer d’y voir un peu plus clair, je pense qu’il faut faire preuve d’un minimum de bon sens.

1 - « Travailler plus, pour gagner plus ».

Ce slogan Sarkozyste qui a, bien entendu, été repris au cours du débat, bat tous les records de l’ineptie :

- Première observation : est-ce que l’objectif de tout un chacun doit être de gagner plus ? N’est-ce pas plutôt de vivre mieux et de rechercher avant tout une meilleure qualité de vie ? Et pourtant, c’est dès l’école que s’installe dans l’esprit des jeunes le goût de la compétition et le désir d’avoir plus, et toujours plus, fût-ce au détriment des autres. Au contraire, l’école devrait avoir pour ambition de développer, dès le plus jeune âge, le souci du bien public et de la solidarité, en un mot, de développer le sens civique des enfants.

- Deuxième observation : Travailler plus ? Il faudrait s’interroger sur le sens du mot travail. Ce terme implique l’action de faire, c’est-à-dire de créer un bien matériel ou de rendre un service, et de se donner de la peine pour le faire. Or, de tout temps, l’homme a cherché à créer de plus en plus d’outils de plus en plus perfectionnés et performants, pour faire de plus en plus de choses avec de moins en moins d’efforts. Depuis le début de l’ère industrielle jusqu’à nos jours, les progrès techniques se sont développés à un rythme de plus en plus effréné ; on peut en déduire, vollens nollens, que la valeur du travail n’a plus le même sens qu’autrefois, le travail de l’homme est de moins en moins nécessaire, au moins pour la production de biens matériels puisque la technique a pris le relais. La production de services, plus élastique, a également ses limites.

En France, et c’est vrai dans tous les pays développés, que signifie “travailler plus” quand nous déplorons d’avoir 5 millions de chômeurs ou d’exclus, et que les entreprises se séparent de leurs salariés avant qu’ils n’atteignent l’âge de la retraite ? De qui se moque-t-on ?

Parlons maintenant de l’activité ; le Larousse en donne deux définitions : « vivacité et énergie dans l’action » et « occupation de la personne ». C’est avec cette dernière acception que l’activité, nécessaire à la santé et à l’équilibre de l’homme, peut et doit constituer un substitut au travail (sous forme de culture, de sport et autres occupations) dès lors que les besoins élémentaires sont satisfaits. Chacun peut donner une extension plus ou moins large à ses besoins élémentaires, mais de toute façon, ils doivent rester élémentaires (nourriture, santé, logement).

« Toujours plus » n’est pas la formule du bonheur.

2 - Les 40 ans de cotisations

Compte tenu de l’augmentation de la durée de la vie, je ne vois personnellement aucun inconvénient à ce que la durée légale du travail pour le droit à la retraite, soit porté à 40 ans et même au-delà, à condition que la durée hebdomadaire du travail soit réduite en conséquence, car je préfère au slogan Sarkozyste, la formule de Guy Aznar « Travailler moins pour travailler tous ». Dans son principe, la loi des 35 heures était une bonne loi. Malheureusement elle a été appliquée d’une façon désastreuse, sans concertation et sans explication, trop vite, sans nuances, sans contrepartie pour son financement, bref tous les ingrédients étaient réunis pour la faire capoter.

3 - La croissance

Je vois rouge quand j’entends évoquer, à tout bout de champ, la croissance comme remède miracle à tous nos maux, sans jamais en définir ni la nature, ni l’objet. On associe souvent à la croissance, la création de richesses. Quelle croissance ? Quelles richesses ? Attention à ne pas détruire la planète : les richesses ne sont-elles pas, en dernier ressort, les richesses de la nature ? Les autres n’étant, le plus souvent, que de fausses richesses, dans la plupart des cas la croissance doit être assimilée à un gaspillage démesuré d’énergie et de matières premières.

4 - Il faut réduire les impôts et les dépenses.

Superbe formule démagogique, qui ne veut rien dire tant qu’on ne définit pas le pourquoi des impôts et le pourquoi des dépenses.

• Les impôts. Normalement, ils sont là pour permettre à l’État, supposé impartial et arbitre, de faire régner la solidarité entre tous les citoyens, autrement dit de faire participer les plus riches aux dépenses nécessaires pour assurer aux moins favorisés les moyens de satisfaire leurs besoins élémentaires. Reste à élaborer une fiscalité aussi équitable que possible… !

• Les dépenses. Normalement elles doivent être engagées pour le bénéfice de la Collectivité au travers des services publics : accès à l’eau potable et à l’énergie, santé, formation, transport, courier, communications, protection (armée, police, pompiers), justice, sécurité sociale, administration fiscale, etc.

Et pourquoi pas les retraites ? Sur ce sujet brûlant, pourquoi s’obstiner à asseoir des prestations uniquement sur le monde du travail, salariés et employeurs ? Le financement des retraites devrait être assumé par la communauté toute entière car il s’agit d’une charge nationale qui nous concerne tous, puisque nous sommes tous condamnés à vieillir.

Le problème n’est pas de réduire bêtement les impôts et les dépenses, mais d’assurer l’équilibre entre les uns et les autres. Pour la recherche d’une meilleure qualité de la vie pour tous, il faudrait peut-être, au contraire, les augmenter !

Ce sont là quelques réflexions que m’a inspirées ce débat de “C. dans l’air”, mais il y aurait encore beaucoup à dire !!


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