Le monde a-t-il vraiment changé ?


par  B. VAUDOUR-FAGUET
Mise en ligne : 31 décembre 2008

Trafics “négriers” au XVIIe siècle,
trafics “poubelles” au XXIe siècle :

L’obsession première (pour un armateur), consiste à trouver du fret, du fret pour les cales de ses navires et autant que possible à l’aller et au retour de chaque voyage ! Depuis l’apparition des Grandes Compagnies de navigation, à la Renaissance (Compagnie des Indes ... ) cette loi économique a été respectée avec une scrupuleuse avidité. Peu d’entorses majeures constatées sur cette règle impitoyable !

Ainsi les Européens qui possédaient galions et caravelles s’inscrivaient tous dans cette ligne de conduite quand ils allaient par exemple “charger” des esclaves sur les côtes africaines. Pour eux, pour leurs navires, pour leur entreprise, cette aventure représentait une optimisation financière intéressante, de gros profits, avec l’éventualité d’étendre leur pouvoir hégémonique sur les mers du monde entier.

Les négociants de l’époque trouvaient cette marchandisation un peu gênante : ils notaient sur les registres de bord la présence de « bois d’ébène » car ils nourrissaient encore, à l’endroit d’une moitié de leur âme, quelques reliquats de mauvaise conscience… Quant au reste, quant aux savoureux bénéfices qu’ils accumulaient, ils faisaient rapidement taire leur envie de trop réfléchir sur le sens de cette action (pas de réflexion perceptible dans les documents mis à notre portée). C’est de cette manière que pendant trois siècles les Européens (réunis dans un magnifique consensus philosophique) ont copieusement torturé, déporté, avili, réduit à néant, les peuples de l’Afrique. Le tout s’est déroulé dans une impunité absolue. Jamais aucun tribunal n’a sanctionné l’abjection d’un pareil crime… !

Quel est l’intérêt exact de rappeler cette mémoire du passé ? Pour une simple et triste raison : les êtres singuliers, les banquiers, qui ont organisé le “commerce triangulaire” durant l’Ancien régime ont engendré une terrible descendance : la nôtre, celle de la modernité technicienne. C’est un même degré d’horreur et d’ignominie auquel on assiste dans le paysage économique de l’actualité.

Les armateurs anglais, nos voisins et amis, ont constaté un dysfonctionnement dans la nature de leur business avec la Chine puisque leurs bateaux partent vers l’Empire du Milieu les cales vides et reviennent avec un poids important. Ce déséquilibre porte atteinte à leurs revenus ! Il était urgent de parer à un tel défaut de structure !

 Un circuit gratifiant

D’où l’idée stimulante de remplir les soutes avec les poubelles des grandes villes ! Un volume qui grossit à l’infini ! Le concept paraît grotesque : erreur, il est authentique, économiquement et politiquement valable ! Toute la société paraît y trouver son compte : d’abord les patrons des entreprises d’assainissement, qui commandent à cet “échange”. Ensuite les responsables des agglomérations concernées, qui se débarrassent de déchets sans faire aucun investissement dans des incinérateurs (toxiques, polluants, impopulaires). Ensuite encore les citoyens soulagés de voir “disparaître” dans un “ailleurs” indéterminé des stocks nauséabonds qui feraient désordre dans leur propre environnement. Enfin se réjouissent de cette opération les autorités portuaires satisfaites d’assister à une relance d’activité des portecontainers. Le pays en somme n’a que des pensées “positives” pour un circuit si gratifiant !

Sauf qu’à l’autre bout de la chaîne (en Chine) ce sont des milliers de femmes et d’enfants en haillons qui trient les ordures à mains nues ; qui se rendent malades avec les métaux lourds, inhalent des poisons, puis enfouissent les ultimes déchets dans les rivières locales. Douze heures de travail par jour ; une besogne exténuante - qui tue : nous sommes placés devant un système d’oppression caractrisée.

Ces trafics sont peu glorieux. Tellement peu honorables qu’au XVIIIème siècle ni Montesquieu, ni Voltaire, ni Rousseau, ni Diderot, les esprits les plus éminents de cette période, n’ont songé à rédiger trois lignes pour protester contre l’horreur de la traite en Afrique. À deux pas de leur pays se vendaient des hommes contre de la pacotille ou contre des armes : les plumes nobles de ce temps réfléchissaient à la nature des grands principes et spéculaient sur l’émancipation prochaine de l’humanité !

Notre temps n’a guère plus de génie. Il s’entoure du même volume d’hypocrisie … et d’un luxe d’aveuglement qui garantit son confort. Tandis que nos tribunes et nos estrades résonnent de déclarations généreuses, d’appels à la tolérance, tandis que nos discours montrent une attention soutenue pour le respect d’autrui … nos immondices partent à l’autre bout de la planète afin de souiller l’univers d’individus qui ont le malheur d’être pauvres. Là-bas ces mêmes odieuses saletés exploitent sans vergogne le travail des démunis tout en dégradant de façon irréversible leur milieu de vie.

 Esclavagisme

En somme, nos intelligences fonctionnent à deux vitesse : égalitaires, démocratiques, altruistes quand elles utilisent les phrases “médiatiques”, elles deviennent cyniques quand elles s’occupent d’économie. Nous voulons bien conserver à nos villes un petit aspect respirable, transparent, humain — à condition de déshumaniser des anonymes perdus dans un régime semi-totalitaire. Qu’importe ces multitudes d’affamés enchaînés, dépendants, soumis aux exactions d’entreprises cruelles puisqu’ils “gèrent” nos gaspillages, nos pillages, nos inconséquences consuméristes notoires.

L’essentiel, dans les pays riches, c’est que les élus, les penseurs, les clercs au pouvoir, les académies de la morale —et les braves gens des villes — entendent fredonner un hymne à la gloire de l’égalité, de la fraternité universelle, à la gloire de la République qui sécurise nos idéaux. Cette musique de fond apaise les angoisses pendant que des containers sinistres roulent vers des destinations inconnues.

Entre le Siècle des Lumières et le Cybersiècle on assiste à une étrange passation de témoin. L’identité idéologique est frappante. La première séquence a planifié le massacre d’innocents, la seconde a amorcé la destruction finale de la planète, et les deux ont perpétué l’esclavagisme. Une vieille formule populaire, tombée dans l’oubli, disait que « rien ne change sous le soleil » …

Mythe ou réalité ?

Pour comprendre la situation des pays du tiers monde, il faut lire les publications du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde, dont les plus récentes :

Depuis la crise de la dette qui a éclaté en 1982, malgré leurs innombrables richesses naturelles et humaines, les pays du tiers-monde sont saignés à blanc. Le remboursement d’une dette devenue colossale prive leurs populations de la satisfaction des besoins les plus élémentaires. La dette est devenue un mécanisme très subtil de domination et le moyen d’une nouvelle colonisation.

La dernière initiative d’allégement de la dette, lancée en fanfare par le G8 en 2005, ne change pas la donne.

Une approche radicalement différente doit être envisagée : l’annulation pure et simple de cette dette, illégitime et largement odieuse.

Éditions CADTM, 345 av de l’Observatoire, 4000 Liège, Belgique
et Syllepse, 69 rue des Rigoles, 75020 Paris, France.
ISBN CADTM, 978-2-930443-11-9 ISBN Syllepse, 978-2-84950-17-33

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