Le plein emploi ?
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Publication : janvier 1982
Mise en ligne : 22 décembre 2008
Trève de balivernes.- Le plein emploi généralisé
relève du mythe. A le définir comme la priorité
des priorités, gouvernement, syndicats et patronat font fausse
route. Quant à l’emploi galvaudé à faire n’importe
quoi, gaspillant l’énergie, les outillages, des matériaux
et autres précieuses ressources, il dénote une indigence
d’idées de la part des responsables asservis à une règle
du jeu dont l’absurdité n’a d’égale que sa malfaisance.
Est-il tolérable que la production, que l’embauche, que le niveau
de vie d’une population, dépendent de la ronde de bouts de papier
enluminés, de conventions, de codes fixant les droits du capital
à prélever une dîme sur le revenu des personnes,
sur le fruit de leur travail ? N’est-il pas extravagant que la vie,
que les transports puissent s’arrêter, les approvisionnements
tarir, non pour des raisons matérielles ou technologiques, mais
pour des histoires d’écritures comptables, par manque de crédits,
par simples décisions de financiers légitimement soucieux
de leurs propres intérêts ?
En visant exclusivement profit ou revenu, l’emploi déserte son
rôle. Celui-ci est double : approvisionner les besoins réels
de la société, ceux des ménages et des individus,
ceux des entreprises, des administrations, des collectivités
; libérer le maximum de temps disponible pour les activités
du loisir. Le travail au service d’autrui reste une corvée nécessaire
à caractère obligatoire qu’il convient de partager entre
tous au mieux des compétences de chacun. Il s’agit d’en alléger
la durée en le limitant au seul domaine des choses utiles.
L’emploi, priorité des priorités ? Trève de balivernes
! Priorité plutôt au processus conduisant à changer
la règle du jeu : monnaie de consommation, rupture du lien entre
les revenus et la durée du travail, entre les revenus et les
prix, entre les prix et les coûts. Alors tout change.
Des autorités politiques et religieuses jusqu’au, menu peuple,
tout le monde revendique le changement. Mais s’agit-il de rogner quelques
privilèges, de toucher au culte du veau d’or, de franchir le
rubicon monétaire, c’est alors une, levée de boucliers,
un sauve-qui- peut général. On dénonce l’utopie,
l’aventure, l’irresponsabilité, et les sarcasmes de pleuvoir.
Aucun modèle, aucun projet ne trouvent grâce devant les
maîtres-à-penser d’un public ancré dans le conformisme,
conditionné pour subir, jusqu’à la fin des temps, le joug
des financiers, celui de l’argent-roi. On se borne à dispenser
de bonnes paroles, à promettre du « brouillard à
l’eau d’avenir ».
« Le moment, a écrit Jean ROSTAND, ne peut plus être
bien éloigné, où l’on s’étonnera que durant
tant de temps, tant de choses aient pu rester l’apanage de si peu de
gens ».
L’emploi, priorité des priorités ?
- Pour lors, la production semble s’accommoder du taux actuel de chômage.
Nulle pénurie ne nous menace. Pourquoi s’ingénier à
créer des emplois au prix de scandaleux gaspillages d’énergie
et d’approvisionnements de toutes sortes ? Le bon sens voudrait que
l’on se borne à répartir le travail restant utile entre
tous les personnels disponibles, physiquement ou intellectuellement
aptes. Après tout, le progrès, son fruit le plus apprécié,
n’est-ce pas le gain en loisirs permis par la productivité, loisirs
que d’invraisemblables gaspillages, la nécessité de faire
circuler l’argent pour former les revenus, rejettent vers le royaume
des utopies ?
La règle du jeu exige qu’il en soit ainsi ? Disons qu’elle est
absurde, contraire au sens commun et changeons-la. Nos socialistes n’ont-ils
pas en mains tous les pouvoirs pour le faire ?