Au fil des jours
par
Publication : janvier 1982
Mise en ligne : 22 décembre 2008
M. Rigout, ministre (communiste) de la formation professionnelle, disait
récemment : « N’oublions jamais que la cause décisive
du chômage, c’est la disparition nette d’environ un million d’emplois
industriels en France ces dernières années. Or, un emploi
industriel créé en induit deux ou deux autres. Il est
évident que c’est sur l’emploi industriel que la bataille pour
l’emploi se gagnera. »
J’imagine que les deux ou trois emplois induits dont parle M. Rigout
sont des emplois de bureau. Or, nous savons bien (voir G.R. n° 791,
juillet-août 1981) qu’un très grand nombre de ces emplois
sont condamnés à disparaitre, tout comme les emplois industriels,
à cause de l’introduction massive de la microélectronique.
C’est ainsi, par exemple, que la City Bank, à New York, a doté
cinquante personnes, cadres et secrétaires, de systèmes
bureautiques multi-fonctions dans le département des transferts
internationaux. Ils accomplissent ainsi un travail qui demandait quatre
cent trente personnes en 1970...
La fin du chômage n’est donc pas pour demain, même si l’on
crée de nombreux emplois industriels. La seule solution, c’est
de réduire considérablement la durée du travail
et de « partager » le travail nécessaire entre tous,
sans diminution de salaire. Les gains de productivité apportés
par la robotique et la micro-électronique le permettent.
A propos de machinisme, je voudrais rappeler l’adresse aux travailleurs
que publiait Jean Grave dans la « Société Future
»... en 1895 :
« La machine est un mal dans la société actuelle,
parce que vous avez des maîtres qui ont su faire tourner à
leur profit exclusif toutes les améliorations que le génie
et l’industrie de l’homme ont apportées dans les moyens de production.
Si ces machines appartenaient à tous, au lieu d’appartenir à
une minorité, vous les feriez produire sans trêve ni repos,
et plus elles produiraient, plus vous seriez heureux, car vous pourriez
satisfaire tous vos besoins. Votre production n’aurait de bornes que
par votre faculté de consommer. Quand vos magasins seraient pleins,
vous ne vous amuseriez pas à produire des choses dont vous n’auriez
plus besoin, cela est évident, mais alors vous jouiriez de votre
repos en paix, vous n’auriez pas la peur de la misère comme aujourd’hui,
lorsque vous chômez. [...]
Dans ces conditions, les machines seraient un bienfait pour vous. Donc,
ce ne sont pas elles qui sont la cause de votre misère, mais
ceux à qui elles servent de moyen d’exploitation. »
***
Aujourd’hui, presque cent ans après, le Premier Ministre Pierre Mauroy s’interroge : « Nos idées sont nées de la réaction contre l’ordre inhumain de la machine. Allons-nous savoir aujourd’hui nous lancer dans une expérience originale sachant faire place à la machine sans jamais broyer l’homme ? »
***
Cette interrogation, on la retrouvait aussi dans la Troisième
Encyclique de Jean Paul Il « Laborem Exercens ». Après
avoir reconnu « que la technique est un élément
fondamental du progrès économique », le Pape déclarait :
« Pour faire face au danger du chômage et assurer un travail
à chacun, les instances doivent pourvoir à une planification
globale qui soit en fonction de ce chantier de travail différencié
au sein duquel se forme la vie, non seulement économique mais
aussi culturelle, d’une société donnée ; elles
doivent faire attention, en outre, à l’organisation correcte
et rationnelle du travail dans ce chantier. Ce souci global pèse
en définitive sur l’Etat mais il ne peut signifier une centralisation
opérée unilatéralement par les pouvoirs publics.
Il s’agit au contraire d’une coordination juste et rationnelle dans
le cadre de laquelle doit être garantie l’initiative des personnes,
des groupes libres, des centres et des ensemble de travail locaux. »
***
Nous allons donc par la force des choses vers une civilisation des
loisirs qui, elle aussi, suscite de nombreuses interrogations mais aussi
beaucoup d’espoirs, comme en témoigne ce qu’écrivait le
Dr Amiel dans la revue de la M.G.E.N. d’août-septembre 1981 :
« La civilisation des loisirs ne forge et ne forgera pas des générations
de paresseux. Conséquence du progrès technique qui a libéré
l’homme de la nature, elle libère à son tour l’homme de
la tyrannie du travail. En entretenant et en -développant en
l’homme sa jeunesse, les activités de loisirs maintiennent au
mieux de leur efficacité ses fonctions adaptatives. Elles sont
donc garantes de nouveaux progrès.
Cette civilisation des loisirs correspondra donc à un modèle
de travail concentré, expurgé de tout automatisme - dont
se chargera la machine - mais aussi de toute vie, où l’homme
ne justifie plus sa présence que par des activités de
haute responsabilité. »
***
Développement du progrès technique, partage du travail, planification mais organisation au niveau local, civilisation des loisirs, toutes ces notions que l’on retrouve un peu partout, tout cela rassemblé, ça fait presque l’économie distributive. Il ne manque que la monnaie de consommation. Mais dans le domaine monétaire les idées reçues et les préjugés sont encore plus tenaces. Il reste fort à faire pour démystifier les mécanismes de la création monétaire. Mais là encore, les faits imposeront leur logique.