Les paris stupides


par  J.-P. MON
Publication : janvier 2005
Mise en ligne : 4 novembre 2006

Un des derniers en date est celui de l’ineffable J.P. Raffarin qui, le 10 novembre, dans une interview sur France 2 s’est engagé « devant les Français » à faire descendre sous la barre des 9% le taux de chômage qui touche actuellement 9,9% de la population active (selon les statistiques officielles, mais bien plus en réalité). Pour faire ainsi baisser de 10% le nombre de chômeurs en un an, le Premier ministre compte sur le redémarrage de la croissance et sur le plan de cohésion sociale concocté par Jean-Louis Borloo. « Quand il n’y a pas de croissance, il n’y a pas d’emploi. On a la croissance, nous aurons les emplois », a-t-il déclaré, sûr de lui. Un mois après ces fortes paroles, on sait [1] que la croissance en 2004 n’atteindra pas les 2,5% prévus mais sera seulement de 2,1%. Quant à la croissance en 2005, elle ne devrait pas dépasser les 2% alors que le nouveau ministre de l’économie et des finances prévoit encore 2,5%.

Mais il paraît cependant que la plupart des “conjoncturistes” partagent l’optimisme de Raffarin [2]. C’est notamment le cas du président du Conseil d’analyse économique, Christian de Boissieu, qui prévoit un redémarrage plus net de l’emploi : « Les entreprises depuis un an ont repris le chemin de l’investissement. Il s’agissait surtout d’investissement de modernisation. Je pense qu’en 2005, les investissements de capacité vont se réveiller et que cette évolution dans la structure des investissements des entreprises se traduira par des créations d’emplois plus importantes », explique-t-il. Il me semble constater dans ces propos une très légère évolution dans la pensée économique orthodoxe : jusque dans un passé très récent, on nous rabâchait sans arrêt le célèbre “théorème de Schmidt” (ancien chancelier social-démocrate allemand, grand ami de VGE) selon lequel « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain qui sont les emplois d’après-demain » [3]. On en voit le résultat : au moins 4 millions de chômeurs en Allemagne ! M. de Boissieu semble avoir compris que les investissements de modernisation sont faits pour remplacer l’homme par la machine et donc ne créent pas d’emplois mais en suppriment (ce qu’il ne dit pas franchement, c’est incongru chez les économistes bien élevés !) Il rêve alors d’investissements de capacité, sans doute destinés dans son esprit à augmenter la production pour satisfaire une demande insatiable, oubliant que pour consommer il faut être solvable et que les investissements de modernisation rendent insolvables un nombre croissant de gens en les privant de travail. Et il ne faut pas compter non plus sur ceux qui en ont encore un : dans son rapport [1] pour 2005 qu’il a intitulé “une reprise bousculée”, le directeur des études de conjoncture de l’Insee prévoit que les salariés ne peuvent pas s’attendre à une forte hausse de leur pouvoir d’achat à cause d’une progression « timide » des salaires et que, plus généralement, les revenus seront amputés par le relèvement de la CSG qui est inscrit dans le plan de réforme de l’assurance maladie. L’optimisme de Raffarin n’est, encore une fois, qu’un effet de communication.

Ce qui est sûr, c’est que 2004 n’a pas été, en matière d’emploi et en dépit d’une croissance plus forte que prévue, à la hauteur des espérances des politiques. Quand on a de la mémoire ou des archives, on peut faire des rapprochements intéressants. C’est ainsi qu’on pouvait lire dans le Monde du 31/1/2004 intitulé L’année 2003 s’est achevée avec 137.900 chômeurs supplémentaires que « la forte progression du chômage en 2003 est en net décalage avec l’optimisme affiché par le ministre des affaires sociales, François Fillon, qui s’est assigné un objectif très ambitieux : faire reculer le taux de chômage - 9,7% actuellement - de deux points en deux ans ». Il est vrai que, satisfait de sa réforme des retraites, M. Fillon n’est plus en charge des affaires sociales mais de l’éducation nationale où il fera sans doute aussi bien… Rappelons, tout de même, qu’il déclarait fin 2003 dans un entretien accordé à l’Agence France-Presse que « La progression du chômage s’est nettement ralentie au second semestre : + 44.000 contre presque 100.000 au premier » et, précisant sa pensée : « Je crois plus que jamais au retournement. La reprise est au rendez-vous, le chômage va reculer en 2004 ». Pari perdu ! Le taux de chômage est passé de 9,7% en fin 2003 à 9,9% en décembre 2004 et la durée moyenne du chômage est passée de 224 à 230 jours ; le nombre de chômeurs de très longue durée (entre deux et trois ans de chômage) a augmenté de 10% en un an. Quant aux cinquante ans et plus, ces “seniors” que l’on veut absolument faire travailler, ils chôment encore plus (402 jours contre 379) ! Et devant un tel succès, J.P. Raffarin veut faire 5 fois mieux que Fillon. 2005 sera décidément une très bonne année !

« L’OCDE prévoit 36 millions de chômeurs en 2005 »

Le Monde du 8 juillet 2004

[1Note de conjoncture de l’Insee du 16/12/2004.

[2Le Monde, 12/11/2004.

[3Pourtant, une enquête effectuée à cette époque en Allemagne fédérale montrait déjà qu’entre 1970 et 1975, un investissement de 100 milliards de DM se traduisait par la suppression de 500.000 emplois !