Notre avenir ne serait-il pas… …derrière nous ?
par
Publication : janvier 2005
Mise en ligne : 4 novembre 2006
La dette publique de la France, systèmes de protection sociale inclus, dépasse 1.000 milliards d’euros et, depuis quelques années, croit de plus de 50 milliards d’euros par an. Les intérêts dus chaque année constituent une part notable, et croissante, du budget national. Stabiliser la dette publique elle-même impliquerait d’augmenter les rentrées fiscales d’environ 35 milliards par an, environ 600 euros par résident français ; nul n’ose y songer. Équilibrer les comptes des systèmes sociaux parait plus facile : il suffirait d’assurer le plein emploi et de supprimer toutes les exonérations de charges sociales.
De grands efforts sont faits pour que les heureux bénéficiaires d’emplois à temps plein travaillent plus d’heures par an, et plus d’années au cours de leur vie. Dans le même temps, près de 20% des résidents français en âge de travailler sont au chômage ou n’ont que des emplois à temps partiel non choisis. En utilisant les améliorations de productivité et l’accroissement de la durée du travail, on devrait atteindre un niveau de 25% de chômeurs et de sous-employés, ce qui exercerait une pression sur les salaires suffisante pour diminuer considérablement le coût du travail, sans toutefois pouvoir concurrencer les Chinois et les Indiens.
Presque tout un chacun place ses espoirs dans la croissance. Il faut toutefois noter que pour un milliard de nantis des pays industrialisés (et quelques millions dans les pays du Tiers monde) il existe actuellement cinq milliards (bientôt huit) de personnes vivant dans des conditions marginales, en majorité dans le Tiers monde, mais aussi une bonne centaine de millions dans les pays industrialisés. Il paraît difficile de permettre à ces défavorisés d’accéder à des services essentiels sans que les nantis réduisent leur gaspillage de ressources non-renouvelables.
Chacun a entendu parler de la dérive climatique qui risque de mettre en danger les modes de vie dont nous venons juste de prendre l’habitude. Et qui, si l’on en croit les pessimistes, pourrait entraîner la disparition de l’espèce humaine. Nous sommes tous disposés à ce que notre voisin, ou un autre pays, fasse un effort. La capacité de la biosphère à recycler les gaz à effet de serre est bien connue, et fort limitée. Si le montant recyclable des gaz à effet de serre était également distribué aux pays, en fonction de leur population, les seules émissions agricoles de gaz à effet de serre de notre pays excéderaient le quota français. Avec la croissance démographique escomptée, ce quota devra diminuer d’un tiers au cours des prochaines décennies…
La situation des résidents français est préoccupante, bien qu’elle soit souvent meilleure que celle des résidents des autres pays de l’Union à 15, et bien meilleure que celle des résidents des dix pays arrivant dans l’Union.
La récente acceptation par l’Union de dix nouveaux pays membres a été faite en dépit du bon sens. Le principal but de cet élargissement semble être de faire de l’Union une zone de libreéchange ultra-libérale, politiquement ingouvernable, nivelant par le bas de façon durable, sinon définitive, tous les acquis sociaux de la “Vieille Europe”. Le projet de Constitution qui va nous être soumis grave dans le marbre les principales dérives précitées. Aucun des grands principes de justice sociale mis en avant ici et là, ne sont applicables, du fait d’articles subséquents écrits en très petits caractères. Ceux qui œuvrent en faveur de l’approbation de ce projet paraissent ne pas l’avoir lu de façon critique.
On croit généralement que les pavillons de complaisance, embarquant des marins sous-payés et sans droits sociaux sur des coques rouillées, sont le fait d’États voyous, et que les paradis fiscaux n’existent, en dépit des efforts de normalisation de nos États, que dans quelques pays du Tiers Monde. Il n’en est rien, ces systèmes sont non seulement tolérés, mais organisés, par d’honorables pays de l’Union européenne, dont la France. Dans certains secteurs le travail au noir est presque la règle ; la fraude fiscale d’envergure est bien répertoriée, et quantifiée. Les pertes sociales sont notables, les pertes fiscales énormes ; ce n’est pas grave, le résident de base, toujours taillable et corvéable, paiera.
Ces dérives sont dans l’ensemble pérennisées par le projet de Constitution de l’Union européenne qui nous est proposé.
Fort âgé, j’ai cru pendant des années que le futur serait plus satisfaisant que le passé récent et que le présent. Ceux aux côtés desquels j’ai travaillé pour un avenir meilleur avaient cet espoir. Ceux qui sont encore vivants sont, comme moi, déçus. Je crois que les meilleurs de nos décideurs sont trop englués dans les difficultés du jour, et trop soucieux de la prochaine échéance électorale, pour traiter des problèmes à moyen et long terme du monde, œuvrer à un minimum de justice sociale et fiscale et s’intéresser au sort des générations futures, où qu’elles soient. J’espère tout de même me tromper.
Si l’on s’en tient aux technologies prouvées et disponibles, il est possible de faire disparaître la grande misère affectant près de la moitié des habitants de notre planète, il est possible d’enrayer l’épidémie de sida, même en Afrique tropicale, il est possible de stabiliser le climat, il est possible de sauvegarder nos systèmes de protection sociale et nos services publics, il est enfin possible d’éliminer les imperfections les plus criantes du projet de Constitution de l’Union européenne avant de l’adopter.
Toutes ces interventions auront un prix, individuel et collectif, mais modeste si l’on tient compte de ce que c’est l’avenir des terriens qui est en jeu.
Sommes-nous disposés à agir et à payer ce prix ?
… Meilleurs vœux.