Projet 93
par
Publication : avril 1989
Mise en ligne : 15 mai 2009
Le 28 Janvier dernier, l’association "Europe 93" organisait à la Villette une réunion intitulée "L’Europe, acte pluriel". En introduction à cette rencontre, Edgar Pisani a lu le message rédigé par le Président de la République à cette intention. L’association a bien voulu nous en confier le texte, que voici :
Mesdames, Messieurs,
Vous vous êtes mis à l’ouvrage pour
élaborer un" projet de civilisation". Vous ne rejetez
point la dynamique de l’économie, vous voulez éviter
qu’elle ne régente la société des hommes. Vous
refusez que le marché façonne l’Europe ; dans une économie
qui se mondialise, vous exigez que l’Europe maîtrise son propre
destin et que pour celà elle existe politiquement. Vous êtes
épris de sciences et de techniques mais vous n’y enfermez pas
le savoir, encore moins la sagesse humaine. Partant de là vous
affirmez que c’est plus dans la richesse de sa culture et l’équilibre
de son modèle d’organisation que l’Europe peut proposer au
monde une référence utile. Vous ne rejetez pas les exigences
de l’instant mais vous êtes obsédés par l’avenir
de l’espèce et par celui de la planète. Vous voulez
que les droits de la personne soient respectés partout et pour
tous, que tout mépris, toute domination disparaissent, que
le droit à la vie, à la santé, contre la misère,
le droit au développement soient reconnus mais vous proclamez
les droits de l’espèce, partout menacée par ses oeuvres
et par ses excès. Vous magnifiez le travail car il est la maitrise
de l’homme sur lui-même et sur la matière. Vous croyez
à l’égalité comme à la liberté
mais vous savez qu’elles ne sont pas des dons de la nature, elles
sont de difficiles conquêtes. Vous croyez au progrès
mais vous ne vous fiez pas à lui. En bref au moment où
se crée l’Europe vous voulez qu’elle se donne une civilisation
qui soit à son échelle, à l’heure du temps, respectueuse
de l’homme. Et, prolongeant votre démarche, vous faites d’utiles
suggestions en matière sociale et universitaire en particulier.
Il convient d’en poursuivre l’élaboration.
Vous êtes conscients des deux difficultés de votre entreprise.
Comment fonder la construction culturelle et politique de l’Europe
sur l’unité de peuples qui doivent demeurer divers ? L’Europe
n’abolit pas la patrie, elle lui offre l’organisation où elle
peut le mieux s’épanouir dans un monde qui s’organise en vastes
ensembles de pouvoir et de civilisation. Unité et diversité,
identité et ouverture : voilà le premier défi
que vous relevez.
La seconde difficulté est d’une autre nature : peut-on vraiment
élabo-rer un "projet de civilisation" ? N’est-ce pas
la société elle-même, ses connaissances, ses entreprises,
la modeste vie de tous les jours qui produisent consciemment ou inconsciemment
cet ensemble de réalités palpables et de valeurs implicites
qu’on appelle civilisation ?
Vous récusez cette attitude, optimiste et fataliste à
la fois, qui abandonne le fleuve de l’histoire à une force
qui serait irrésistible et dont il faudrait subir la loi. En
effet, les hommes aussi font l’histoire et ils la font consciemment.
Inventer un projet de civilisation c’est réinventer la politique,
cet art difficile et cette morale exigeante par lesquels dans le respect
de l’homme, de la nature et du savoir, l’homme redeviendra maître
en sa demeure pourvu qu’il la gère avec le souci de l’avenir.
François MITTERRAND
Le travail de l’association se poursuit avec ardeur. Trois commissions ont été créées : ECOLOGIE, CULTURE, SOCIAL. Chacune élabore un texte qui sera soumis à discussion dans le courant du mois d Avril . Les distributistes qui voudraient soumettre des idées à l’une de ces commissions sont invités à les envoyer à la Grande Relève le plus tôt possible. Un texte sur l’économie et la monnaie est en préparation. L’ensemble devrait pouvoir être prêt pour publication, en plusieurs langues , à la fin de l’été.