Vous qui lisez parfois Politis, vous avez peut-être remarqué comme moi une interview du représentant des armateurs français tendant à expliquer que le regrettable naufrage de l’Erika était dû à un niveau de frais journaliers devenu ridiculement insuffisant pour couvrir l’amortissement des pétroliers. Les chiffres cités m’ont donné envie de faire quelques hypothèses et je les ai adressées à Politis, afin que le journaliste, auteur de cette interview, puisse vérifier leur bien-fondé. Pas de réponse. Je suppose qu’il doit bien exister parmi les lecteurs un spécialiste de ces questions et s’il tombe sur les lignes qui suivent, peut-être pourra-t-il éclairer notre lampe (à pétrole) ?
Comme, pour une fois, des chiffres étaient donnés dans l’interview par Thierry Brun du délégué général du Comité Central des Armateurs de France (CCAF), il m’a paru intéressant de les faire parler. D’essayer tout au moins. Un pétrolier coûte 400 millions de francs. Amorti sur 28 ans (on peut supposer que c’est l’objectif des armateurs, puisque l’Erika, s’il n’avait pas coulé à l’âge de 25 ans, aurait peut-être “rempilé” trois ans de plus), cela donne une charge d’amortissement, disons de 14 MF par an. Le délégué du CCAF semble déplorer que les frais journaliers de ce type de transport soient tombés de 40.000 à 15.000 dollars par jour, soit un écart d’environ 150.000 F par jour. En supposant que l’exploitation d’un pétrolier permette de facturer aux affréteurs 200 jours par an, cet “écart” traduirait un “manque à gagner” de 30 MF par an, ce qui correspondrait à une durée d’amortissement réduite à 13 années de navigation.
Haro sur les responsables ?Il est tout de même singulier de voir mise en cause une série de présumés responsables qui n’ont fait qu’observer la règle d’or du libéralisme : maximisation des gains par compression des coûts, liberté pour chacun de faire n’importe quoi en faveur de la “croissance” aux retombées dispensatrices de tous les bienfaits. Légion, pourtant, sont les victimes du profit et celles de la “marée noire” sont partiellement la conséquence de cette course à l’argent qui doit faire feu de tout bois pour former et accumuler les revenus. Henri Muller. |
A supposer toujours qu’un pétrolier naviguant 200 jours par an, transporte, à raison de cinq rotations annuelles, 150.000 tonnes de mazout, les 30 millions à payer pour prix de la sécurité auraient une incidence de 20 centimes par litre de mazout. Je ne sais plus quel est le prix actuel du baril, et il serait intéressant de vérifier mes hypothèses et de refaire ce calcul sur des bases réelles. Mais je pense qu’on devrait retrouver ces ordres de grandeur, et si c’était le cas, qu’on ne vienne pas nous dire qu’il est impossible de faire une petite place à ces 20 centimes entre le prix du brut et celui de mon litre de super à la pompe. On pourrait même sans doute payer correctement les marins et leur assurer une couverture sociale.
La conclusion du délégué des armateurs recueillie par T. Brun : « il y aura toujours des pépins pétroliers, à moins de renoncer collectivement à transporter le pétrole par mer. Est-ce que les consommateurs et les électeurs sont d’accord pour ça ? » prend dans ces conditions des allures de fatalisme, ou de menace absolument insupportables. On aurait aimé un commentaire de Politis à ce sujet, tant il apparaît que les compagnies pétrolières prennent délibérément ce risque, considérant qu’un tel désastre aura moins d’incidence sur leurs résultats que le coût de couverture du risque écologique et humain, qu’ils feront largement partager à la collectivité.