Allô mamans, bobo !

Tribune libre
par  A. CHIFFON, E. PAPAVOINE
Publication : novembre 1988
Mise en ligne : 9 juin 2009

Depuis le siècle des lumières, les naturalistes, en accord avec le colonialisme galopant, ont essayé d’attribuer au biologique (sexe, couleur) des vertus particulières.
Nous n’avons pourtant jamais constaté que les ovaires soient porteurs de qualités d’amour, de douceur, de fidélité, d’altruisme, ni aucune des spécificités dont un brave monsieur nous régale dans le dernier numéro de la G.R.!
Le maniement de la serpillère ou du biberon n’est pas plus féminin que masculin. Tout ce qu’un homme peut faire nous pouvons le faire... Inversement, jusqu’à présent, tout ce qu’une femme pouvait faire, un homme le pouvait, sauf... pour ce qui est de porter neuf mois et de mettre au monde un enfant, dont le père reste toujours la grande inconnue.
Les rôles stéréotypés masculin/féminin, ont été imposés culturellement, afin que les femmes, qui disposaient peut-être de certains pouvoirs dans les époques reculées, soient exclues de la vie sociale.
Dans l’Histoire, écrite par les hommes, nous n’avons pas notre place. Nous n’avons pas davantage promu la formation du vocabulaire, que l’urbanisme (triste !), les lois, ou la naissance des religions (toutes misogynes). Ce n’est pas nous qui avons établi les frontières géographiques, ni inventé I"’étranger", l’Ennemi, le soldat. Ni d’ailleurs, le médecin militaire qui le soigne, ni le prêtre qui lui donne les sacrements, ni le marbrier qui élèvera la stèle aux "Morts pour la Patrie"  !

Nous sommes, depuis des milliers d’années, évacuées de la Comédie que se jouent les hommes entre tueries, armistices, châtiments, tortures, prisons, sanctions et... aministies, palmes, médailles ou diplômes...
Qu’ils se repaissent donc de films de guerres, de bateaux coulés, d’avions en flammes, de matchs de boxe, de luttes, et autres tape-dessus...
Nous n’avons pas participé à l’architecture selon Violet le Duc, Haussmann ou Le Corbusier. Nous n’avons pas choisi la disposition des grandes cités, ni la forme, le poids, le matériau de nos meubles. Nous n’avons notre place dans l’Histoire que comme reproductrices potentielles et appendices, cautions, témoins de l’Odyssée masculine, lorsque cela donnait du piquant d’y introduire cette dimension fantasmatique : LA Femme (1).
Aux hommes, le sérieux, la construction, la politique... qui seraient du solide, de l’important ; aux femmes : le frivole, la décoration, le foyer, sorte d’agrément, pour adoucir la société masculine ! Cette conception des rôles est bien archaïque.
Durant les migrations, les croisades, les joutes et guerroiements des mâles entre eux, bien des femmes ont fait preuve de force, d’esprit d’initiative, de compétences dans tous les domaines habituellement réservés aux hommes. Dès leur retour, les époux-soldats, Héros de leur propre farce virile, en dépossédaient les femmes. Les usines d’armement ont été tenues par les femmes pendant les guerres, pendant que d’autres cultivaient les terres. Dans certains ports africains, ce sont les femmes qui déchargeaient les bateaux, pendans que les moines d’Angleterre utilisaient les femmes, même pendant leurs grossesses, et les jeunes enfants, pour des salaires inférieurs qui arrangeaient bien les Directions (mâles).

On peut dire que l’Histoire des civilisations est l’histoire du renoncement (obligé) des femmes.
Dans les sociétés communautaires, primitives, les femmes avaient une place capitale : elles assuraient la survie du groupe humain tout entier ; ce sont elles qui ont inventé l’agriculture (à la houe). Elles s’occupaient entièrement des cultures vivrières, des tissages, de la poterie utilitaire, de la construction des huttes, de l’élevage des animaux domestiques, du transport de fardeaux, et en plus de l’éducation des enfants, de la cuisine... Pendant que les hommes, comme encore dans beaucoup de contrées, s’adonnaient à la chasse et à la pêche, mais aussi aux beuveries, fêtes, et bagarres de clans.

Voilà au moins 8.000 ans que nous subissons les farces et attrapes à la gloire de la virilité. Que les savoirfaire de nos mères ont été progressivement introduits dans la société marchande. Contraintes d’y participer sous les ordres de chefs et de contremaîtres, souvent abusifs et humiliants par leurs prétentions au droit de cuissage, nous avons acquis à l’usine, dans les manufactures, un salaire dit d’appoint, avec lequel acheter tissages, confitures, conserves, charcuteries, trafiquées, malsaines pour nos enfants, (placés dans des crèches...) et à des prix que notre seul salaire ne pouvait assumer.

La médecine aussi a été volée aux femmes, soignantes, sages-femmes, "sorcières" ; 9.000.000 ont été brûlées à travers toute l’Europe. Mais aujourd’hui le corps médical, et l’ordre des médecins est majoritairement masculin, et ce sont des hommes qui nous accouchent, sous le titre honorifique de "maïeuticiens"  ! et un salaire en conséquence. Ailleurs, pour des alibis divers que les pharaons devraient nous expliquer, on mutile sexuellement des femmes 82.000.000 actuellement, dans toute l’Afrique Noire, le Proche et le Moyen-Orient, Ambroise Paré, également, chez nous... Entre temps on avait bandé jusqu’à la gangrène, les pieds des plus jolies chinoises : quelques unes survivent aujourd’hui dans leur fauteuil d’infirme : Un empereur amoureux en avait décidé ainsi ! Parfois les hommes se sont servis de leurs compagnes, matrones ou concubines, pour faire ces sales tâches, tout comme les nazis faisaient faire les plus sales besognes par les juifs eux-mêmes, dans les camps !
Pendant ce temps-là, le sexe dit "fort" a créé des frontières, pour pouvoir se combattre allègrement  : pas une île, pas un lac, pas un océan, pas un caillou n’échappaient à sa manie de coller des noms, des numéros, des prix à tout !
Car l’homme, blanc, bourgeois (HBB) après n’avoir que distingué les esclaves des maîtres, a entrepris la nomenclature de tout ce qui l’entoure, afin d’en établir la hiérarchie : des minéraux aux végétaux et aux animaux ; puis des poissons aux insectes, aux reptiles, aux oiseaux et enfin, aux mammifères. Parmi ceuxci, il distingue les mammifères inférieurs des supérieurs et bien entendu parmi ces derniers, la femme de... qui donc, tout à fait au-dessus ? L’H.B.B.!
Sous prétexte de "maîtriser" la nature, il châtre les chevaux, pollue les mers, crève le ciel (fuyez, ozone), scinde l’atome dans une rage schizophrène à s’en détruire lui-même. Mais pour soigner son organisme usé de tant d’abus, il lui faut aussi crucifier les grenouilles.
Pour son plaisir, le HBB raffine. Autrefois, il faisait sauter les lions dans des cercles de feu. Aujourd’hui il fait s’entretuer les coqs armés de lames bien aiguisées et des taureaux trafiqués tombent sous les hourrah de la foule.
Rien ne doit échapper au HBB, qu’il soit resté dans l’hémisphère nord ou qu’il ait émigré chez les Indiens. Pourtant il est saisi d’angoisse dans le désert, tout comme par l’abondance des enfants chez les autres.
Il a inventé le réveil, et découpé le temps pour soumettre le monde à sa .maniaquerie. On a arraché les vieillards à leur famille, les gosses à leur sommeil , jeté les uns dans les usines (on les appela manuels) et les autres dans des facultés (on les appela intellectuels). Il décida - comme notre distributiste de conseils - de toujours ramener les femmes au foyer, où, à l’oeil, elles allaient produire et reproduire, jusqu’à ce que le maître dépérisse et périsse en réclamant les soins, toujours bénévoles, de celle qui lui survit en moyenne 8 années. Les 8 premières années de sa liberté !!
Les surhommes, sans doute approuvés par les autres, nous ont tous répertoriés, fichés, des caméras fonctionnent dans toute la ville, les indicateurs, les satellites, ainsi passons-nous hommes et femmes, par la grille de QUI nous maintient en otages.

Avant, ils avaient déboisé, défolié, effectué des manipulations génétiques, cultivé des bactéries à des fins militaires. On piquait la viande au rouge, les citrons au dyphénil, les charcuteries à l’amarante. On élevait des veaux aux antibiotiques et aux hormones, les pondeuses en batteries... Les mêmes s’occupent actuellement des femmes et de leurs ovulations...
On créa des vaches géantes dont les pis s’engorgeaient, à un moment où on ne savait plus en quoi transformer les excédents de lait !
Grâce aux plus instruits d’entre eux, on lobotomise un peu partout, on électrocute, on fait hurler sous les coups, on viole des jeunes filles avant de les assassiner, dans certaines contrées plus viriles encore, on enterre vivantes des femmes, même enceintes. On déverse des bombes (venues de pays civilisés) on saupoudre de produits toxiques et de gaz divers, l’ensemble de populations ; femmes et enfants compris...
Au XIXe siècle, les vieux papas de la médecine savante avaient déjà mesuré le cerveau DU noir, le nez DU juif, le bassin de LA femme. Aujourd’hui on vend du sang, des organes, des cheveux, des foetus, des enfants, des femmes : convoitise de toutes sortes de maquereaux qui déshabillent Pierrette pour habiller Paulette. On échange des reins, des pacemakers, des prothèses, des ventres (de femmes).

OU SONT LES MILLIONS D’HOMMES NON-COMPLICES qui se sont élevés contre cette corruption et cette militarisation viriloïde de leur monde ? Que faisaient-ils, ces dernières années, quand nous sommes descendues par dizaines de milliers dans la rue, quand beaucoup ont tenté d’infiltrer les instances de décisions, quand d’autres ont renoncé à faire des enfants, dans ce monde là ?

Et aujourd’hui un monsieur que je présume d’une autre génération crie Allo ! Mamans ! Bobo ! alors que l’ensemble de ceux qui composent le Patriarcat nous ont barré la route pendant des milliers d’années !

Il fallait voir tout ça AVANT !

Distributiste, il ne faut pas l’être seulement en projet, plus tard, par système économique. Pour les sentiments aussi, pour les tâches ménagères aussi, pour l’éducation des futurs hommes aussi, pour l’information, la compréhension, l’intelligence aussi !!!
Nous ne somme plus des aidesoignantes, des cuisinières, des blanchisseuses, et des prostituées, le tout dans la même personne. Nous ne sommes pas forcément des mères, ni des comptables, ni des femmes de ménage, ni les consolatrices au grand coeur, en une seule épouse ou compagne !

En quoi sommes-nous concernées par ces 8.000 années de décisions prises au-dessus de nos têtes, et contre nos nombreux avertissements ?

NOUS N’Y SOMMES PLUS POUR PERSONNE ! DO NOT DISTURB  !

Eulalie Papavoine et Augustine Chiffon

P.S. Des milliers de livres de par le monde, viennent d’être publiés : il parait, d’après les libraires, que les hommes les achètent peu. Les violées y parlent aux violées, les femmes battues aux battues, les ménagères aux ménagères, les abandonnées aux abandonnées, les prisonnières, les prostituées, les filles-mères, les mères de famille nombreuse, les solitaires, les homosexuelles... Toutes les analyses faites par des femmes, depuis Louise Labé jusqu’à nos jours, existent. Instruisez-vous, ceci évitera de tenir des propos d’un autre âge.

(1) Nous connaissons LE dinosaure, pas LA femme, mais LES femmes, personnalisées, diverses, multiples.


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