Au Fil des jours


par  J.-P. MON
Publication : août 1986
Mise en ligne : 24 juin 2009

La croissance du chômage, ça n’est pas près de finir : la Grande Bretagne vient de battre un nouveau record absolu avec un taux de chômage qui atteint 13,3 % de la population active, soit 3 208 600 personnes officiellement « secourues ». La GrandeBretagne se place ainsi en tête du monde industriel, à l’exception de l’Espagne, pour le taux de chômage. Mais la Grande-Bretagne n’est pas une exception : en France, le pourtant très prudent Bureau d’Information et de Prévision Economiques prévoit que sa croissance va s’accélérer pour se situer en moyenne à 2,7 % par an de 1986 à 1991 (contre 1,2 % seulement de 1979 à 1985) mais que le chômage va continuer à s’aggraver pour atteindre 3,2 millions de demandeurs d’emplois dans cinq ans. Aux EtatsUnis, l’industrie a perdu en 1985 plus de 350 000 postes de travail et le Japon lui même vient de battre son record historique de chômage avec 2,9 % de la population active (qui plus est, on sait qu’au Japon les femmes qui travaillent sont l’exception et que l’emploi « à vie » dans de nombreuses entreprises n’est qu’un moyen de dissimuler les sans-emplois). Aussi n’est-il pas étonnant que l’on trouve de plus en plus d’économistes qui commencent à affirmer que la croissance ne suffit pas, pas plus que la simple réduction du temps de travail. C’est ainsi que F. Thiot, dans « le Monde » du 4 mars 86 montre qu’entre 1959 et 1983 le nombre d’emplois créés à augmenté de 11 % pour une augmentation en volume du PIB de 162 %. Avec un rythme de croissance de 5,9 % par an (ce que l’on a connu entre 1968 et 1973), il faudrait 15 ans pour résorber le chômage actuel en supposant que la croissance démographique soit stoppée, ce qui ne sera pas le cas avant 2005 ! Pour F. Thiot, comme pour D. Taddei («  le Monde » du 4.3.1986), la solution ne consiste pas en une simple diminution du temps de travail et en un partage proportionnel des revenus mais en une diminution du temps de travail accompagné d’un allongement de la durée d’utilisation des machines et une remise en cause de la notion de salaire : « en tant que coût de la production, il est évidemment souhaitable de réduire le salaire face à une concurrence internationale accrue ; en tant que revenu du plus grand nombre, il faut non moins évidemment souhaiter l’augmenter pour stimuler les commandes » (D. Taddéi).
« Ce qui compte, c’est le volume d’heures nécessaires à la production demandée dans l’instant, volume qui est beaucoup plus fonction de l’état du stock de capital, du progrès des techniques et de la gestion que de la valeur de cette production... Abaisser la durée du travail, multiplier le temps partiel, développer les loisirs plutôt que la consommation, voilà un projet plus alléchant que le recours aux sempiternelles relances keynésiennes... qui ne reflètent rien d’autre qu’un comportement malthusien face au progrès. Encore faut-il que le corps social en prenne conscience et cesse de mettre en avant la détresse des chômeurs pour faire croire à une baisse générale du pouvoir d’achat... Depuis le début de cette prétendue crise, en 1973, pendant que 10 % de malchanceux se sont fait licencier ou se sont heurtés à porte close en cherchant un emploi, 90 % de la population active a campé sur ses positions et continué de s’enrichir, le salaire moyen par tête gagnant 22 % de pouvoir d’achat. » (F. Thiot).
Mais quand donc les hommes politiques de tous bords auront-ils le courage d’annoncer que ni le progrès technique (le nombre d’informaticiens au chômage a augmenté de 200 % entre 1979 et 1985 !), ni la croissance à tout crin ne pourront résoudre le problème du chômage ?
Depuis qu’il n’est plus Premier Ministre, L. Fabius, semble cependant prendre un peu conscience du problème. Il écrivait sous le titre « De la reconquête » dans « le Monde  » du 13 juin dernier : « Si nous voulons dessiner un projet qui puisse mobiliser le plus grand nombre dans une France où les électeurs « inactifs » sont désormais plus nombreux que les « actifs », nous devons nous adresser à tous, salariés et non salariés, tant dans la sphère du travail qu’au delà. Nous devons admettre que la reconnaissance sociale peut ne pas passer seulement par le travail. Nous devons proposer à chacun d’être davantage acteur de sa vie, capable de peser sur son propre avenir, en insistant sur nos valeurs, la responsabilité, l’égalité et la multiplication des chances, la liberté, la solidarité ainsi que sur la dimension internationale des problèmes. »
On nous parle toujours des dettes des pays en voie de développement, de la faillite prochaine du Mexique, des difficultés du Brésil ou de l’Argentine, etc... mais on est beaucoup plus discret sur la dette des Etats-Unis qui atteignait, à la fin de 1985, 107,4 milliards de dollars, ce qui fait de ce pays le champion mondial de l’endettement extérieur. Il faut remonter à 1914 pour trouver un précédent, et, à l’époque, la dette était très modeste puisqu’elle n’atteignait que 4 milliards de dollars. Fait nouveau, les Etats-Unis sont même déficitaires au point de vue agricole.
Il n’est donc pas étonnant que, sous la pression de divers lobbies, Reagan cherche par tous les moyens à s’opposer à la pénétration aux Etats-Unis de produits agricoles, ou industriels européens ou japonais. C’est ainsi, entre autres choses, que sous la pression de Boeing, le Conseiller aux affaires commerciales de Reagan, Clayton Yeutter, a accusé le consortium européen Airbus Industrie de casser les prix grâce aux subventions que donneraient les gouvernements européens. Lesdits gouvernements ont aussitôt proposé à l’administration américaine d’ouvrir leurs livres de comptes... à condition que cette opération vérité ne soit pas à sens unique. Du coup, les clameurs vertueuses américaines se sont beaucoup atténuées. Même chose en ce qui concerne les productions agricoles : Reagan veut augmenter de 35 % les taxes qui frappent un certain nombre de produits en provenance de la communauté européenne. En tout libéralisme économique, ça va de soi !
Mais dites moi, à quoi cela sert-il de devenir compétitif si on ne peut pas prendre, grâce aux lois sacro-saintes du marché, la part des autres ?


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