Il y avait du monde, ce matin- là, sur la Grand’Place
de Saint Céré, et pas seulement des péquenots,
quand M. le Président de la République, précédé
de la fanfare municipale et du corps des sapeurs pompiers en tenue de
gala, arriva devant le monument érigé par souscription
nationale à la gloire de l’enfant du pays, Pierre Poujade, au
pied duquel l’illustre papetier soi-même l’attendait rouge de
confusion.
On était - comme le temps passe ! - en avril 1988. Giscard terminait
son deuxième septennat, et comme il se trouvait bien à
l’Elysée il ne voyait pas d’inconvénient, si les FrançaisesFrançais
le lui demandaient gentiment, à y rester encore sept ans de plus.
Juste le temps de juguler l’inflation et de résorber le chômage.
Mais faisons un petit retour en arrière...
Dix ans auparavant, alors que la France, en plein essor économique
se lançait pour le sprint final dans le peloton de tête
de la compétition internationale, avec à peine deux millions
de chômeurs et un déficit budgétaire de quelques
petits milliards de francs, la crise de l’énergie survenait sans
qu’on l’ait vue arriver, pour ruiner tous nos espoirs.
Un ayatollah en délire qui se mettait à prêcher
la guerre sainte, les émirs d’Arabie qui fermaient leurs robinets,
il n’en fallait pas plus pour semer la panique et transformer le redressement
définitif en récession et la récession en pagaille
générale.
La crise. L’or flambait, la Bourse baissait. Le prix du pétrole
était devenu prohibitif. On n’en était pas encore arrivé
au point critique annoncé par un mauvais plaisant de voir le
litre de super atteindre le prix du beaujolais nouveau. Mais on n’en
était pas loin. Du reste, on ne trouvait déjà plus
de beaujolais nouveau. Peut-être le mettait-on dans les bagnolles.
La situation devenait préoccupante. Mais pas encore désespérée.
On pouvait à la rigueur attendre des jours meilleurs en chantant
« a ira mieux demain ». Mais’ les élections présidentielles
approchaient. Et pour Giscard, entreprendre une campagne électorale
dans un tel climat politique avec, en plus, la casserole des diamants
de Bokassa accrochée au derrière, c’était courir
au désastre.
Il fallait pourtant en sortir. On cherchait. Un matin, dans sa salle
de bains. comme Archimède, un économiste distingué
eut une soudaine illumination.
Il faut, se dit-il, exporter pour vivre. Mais pour exporter il faut
produire. Pour produire il faut du pétrole. Et pour payer le
pétrole qu’on n’a pas il faut exporter. Or, puisque nous n’avons
pas de pétrole en France, mais tout de même quelques idées,
il ne reste plus qu’une solution faire notre pétrole nous-mêmes.
»
L’idée était lancée. Faire du pétrole ?
Facile. La matière première ne manquait pas chez nous.
On en trouvait partout, dans la mer, dans l’air, dans la terre, les
broussailles, le varech, la bouse de vache - mais si -, la betterave,
et dans le topinambour.
Et c’est Pierre Poujade, alors en voie de recyclage, qui allait donner
le coup d’envoi de la campagne nationale pour le nouveau carburant,
en roulant à 120 km à l’heure avec l’envoyé spécial
du JOURNAL DU DIMANCHE dans une bagnolle alimentée au jus de
topinambour. Et tout le pays a suivi.
Du Nord au Midi, de l’Est à l’Ouest, la France s’est couverte
de topinambours. Partout le rhizome miraculeux, si longtemps dédaigné,
surgissait des terres fraîchement labourées, des landes
incultes, des garrigues abandonnées. On ne voyait plus que çà,
au bord des routes, dans les squares publics, aux balcons et aux fenêtres.
Jusque sur les Champs-Elysées, où M. Chirac, le maire
d’alors (1), le faisait garder par des C.R.S. armés.
Quelques mois plus tard, en avril 1981, Giscard, après avoir
annoncé que la récolte du topinambour estimée en
équivalent pétrole, suffirait non seulement à couvrir
nos besoins énergétiques, mais serait largement excédentaire,
se faisait triomphalement réélire Président de
la République...
... Ce fut une belle cérémonie dont tout Saint-Géré
se souvient encore aujourd’hui. Après le discours du Président,
le dépôt d’une gerbe de topinambours au pied du monument,
l’exécution de la Marseillaise, version Giscard, par la fanfare
municipale, la foule se dispersa, tandis que sonnaient les douze coups
de midi.
Mais la journée n’était pas finie pour Giscard. Le programme
comportait encore, selon l’usage, une visite chez des autochtones qui
lui offraient un gueuleton. A la pensée que Saint-Céré
n’est pas loin de Sousceyrac (un des fleurons de la gastronomie française),
il sourit et hâta le pas.
Il ne fut pas déçu. Ses hôtes, tout fiers de recevoir
le Président de la République, avaient bien fait les choses.
Au milieu de la grande table recouverte d’une nappe blanche trônait
un énorme plat de topinambours. De quoi régaler une compagnie
de C.R.S.
Il fallait bien résorber les excédents.
(1) Ça m’a échappé !