Capitalisme et Démocratie


par  J.-P. MON
Publication : janvier 1981
Mise en ligne : 14 octobre 2008

Dès 1941, les stratèges financiers américains ont commencé à préparer la réorganisation de l’économie industrielle mondiale de l’après- guerre sur (les bases extrêmement favorables aux Etats-Unis. Leurs plans se sont concrétisés en 1944 à Bretton Woods par la création du Fonds Monétaire International (F.M.I.) et de la Banque Mondiale (B.M.). Le dispositif a été complété un peu plus tard par la signature des accords « G.A.T.T. » (Général Agreement on Traffic and Tade). Quels étaient les rôles ou les fonctions de ces organismes ou accords ?

- Toutes les nations membres du FM.I. (44 à Bretton Woods) (levaient accrocher leur monnaie au dollar américain ou à l’or (dont les Etats-Unis détenaient à l’époque 72 % des réserves mondiales). Cela permettait en fait au F.M.I. de fixer les taux de change des monnaies des puissances adhérentes.

- Créée en principe pour fournir aux pays d’Europe les fonds nécessaires à leur reconstruction, la Banque Mondiale s’est progressivement mise à accorder des prêts aux nations non industrialisées pour aménager leur infrastructure (ports, routes, ...) de façon à faciliter l’exportation des matières premières vers les pays industrialisés.

- Le but officiel des accords G.A.T.T. était de « libéraliser  » les échanges commerciaux entre nations. En fait, ils permettent essentiellement de rendre plus malaisée pour les pays les plus pauvres la protection de leur industrie naissante.

Bien entendu, les trois systèmes ne fonctionnent pas indépendamment les uns des autres : c’est pourquoi il est interdit à la Banque Mondiale d’accorder (les prêts à tout pays non affilié au F.M.I. ou ne souscrivant pas aux accords G.A.T.T.

On peut constater que le dispositif mis en place a bien joué son rôle pour le plus grand profit des multinationales. Et malheur aux récalcitrants !
Un nouvel exemple (le « mise au pas » vient de nous être donné par les élections jamaïcaines (lu 30 octobre dernier, où le Parti National Populaire (P.N.P.) au pouvoir depuis 1972, vient d’être balayé « démocratiquement  » par une vague (le mécontentement dont l’ampleur a finalement surpris les jamaïcains eux-mêmes. Que s’est-il donc passé  ?

L’envoyé spécial du « Monde » à la Jamaïque décrivait ainsi la situation peu avant les élections :
« Elu premier ministre en 1972, réélu en 1976, M.  Michaël Manley, président du People National Party (P.N.P.) a engagé son pays dans la voie du « socialisme démocratique  ». Les réalisations sociales de son gouvernement sont incontestables  : réduction de moitié de la mortalité infantile, éducation gratuite, alphabétisation des adultes, établissement d’un salaire minimum, égalité de traitements pour les femmes, mise en place de conseils de communautés permettant aux citoyens de participer directement aux décisions affectant leur vie quotidienne.
« Mais M. Manley s’est fait des ennemis. Une réforme agraire pourtant timide a fait peur aux grands propriétaires terriens. Le renforcement du contrôle de l’Etat sur les échanges internationaux a aliéné les industriels qui n’investissent plus depuis 1975. L’augmentation des taxes sur la bauxite et l’alumine, la création d’une association internationale des producteurs de bauxite, dont le siège est à Kingston, ont poussé les multinationales implantées à la Jamaïque à baisser la production ici, quitte à l’augmenter dans d’autres pays du monde. Enfin, les prises de positions en faveur d’un nouvel ordre économique international où l’admiration pour M.  Fidel Castro, dont M. Manley fait publiquement état, ont braqué contre lui un nombre considérable de personnes, aussi bien à l’intérieur qu’à l’étranger.
« La situation économique se résume en deux chiffres  : le produit national brut par tête a diminué de 25 % en sept ans ; le chômage se situe aux environs de 35 % ».

Comment en est-on arrivé là ?
La Jamaïque est obligée d’importer 70 % de sa nourriture, notamment à cause des structures et des habitudes alimentaires héritées de l’époque coloniale. Elle avait besoin d’emprunter pour financer ses importations. C’était donc une proie facile pour les Etats-Unis.

« En 1974, le gouvernement de M. Manley obtenait du F.M.I. un premier droit de tirages au titre des financements compensatoires, qui devait être suivi de nouveaux prêts, en 1976 et en 1977. En 1978, il impose une série de dévaluations qui finiront par atteindre 50 %, le gel des salaires, la diminution des dépenses publiques et la mise en place des conditions redonnant au secteur privé un rôle dominant. Le gouvernement de M. Manley décide d’accepter les conditions du F.M.I., en échange de quoi il devait recevoir une aide qui aurait pu s’élever à 429 millions de dollars.
« En décembre 1979, la Jamaïque n’ayant pas rempli une des conditions concernant ses réserves et devises, l’organisme international impose de nouvelles mesures, notamment une diminution des dépenses publiques devant entraîner le licenciement de près de 20 des fonctionnaires. Le gouvernement refuse puis convoque des élections anticipées pour donner au pays l’occasion de décider du chemin à suivre ».

Comme l’explique M. N. Girvan, ancien directeur de l’Agence Nationale de Planification

« Accepter les conditions du F.M.I., c’était mettre un terme au processus de réformes engagées et, par là, nous discréditer. Nous ne pouvions pas accepter des mesures renforçant le secteur privé, c’est-àdire ceux-là mêmes qui s’opposent à toute modification de l’ordre social existant.  »

Les Jamaïcains n’ont pas compris et c’est désormais un homme à la solde des Etats-Unis, M. E. Seaga, qui gouverne le pays. Avant même sa victoire, M. Seaga était assuré de pouvoir obtenir un crédit de 300 millions de dollars du secteur privé américain et les banques américaines avaient fait savoir que la Jamaïque pourrait bénéficier d’une aide accrue s’il l’emportait.
Le nouveau gouvernement va ainsi pouvoir ouvrir dans des conditions très favorables les négociations sur sa dette extérieure qui s’élève à 1 milliard de dollars. Les Etats-Unis peuvent maintenant relancer la mise en place du « Caricom », le marché commun des Caraïbes...
Tout le monde vous dira, j’en suis sûr, que le peuple jamaïcain a choisi souverainement et démocratiquement son nouveau gouvernement et que les Etats-Unis sont restés neutres.
C’est un exemple à méditer.


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