La Directrice de la Grande Relève étant
en mission aux Etats-Unis, j’ai la redoutable mission de préparer
cet éditorial. Je l’entreprends donc ce Dimanche 17 juin. Comment
en un tel jour ne pas penser avec le battage fait par la radio, la presse,
la télé,... que c’est demain le cinquantième anniversaire
du célèbre appel lancé de Londres par de Gaulle.
Belle occasion pour tous ses thuriféraires (et ils sont nombreux !)
de rivaliser de zèle pour nous chanter ses mérites, quitte
quelquefois à bousculer un peu la réalité, certain
n’hésitant même pas à truquer des photos dans le
plus pur style stalinien (voir l’article de Suzanne Bidault dans le
Monde du 16 Juin).
Moi, quoi qu’aît pu dire Malraux "tout le monde est, a été
ou sera un jour gaulliste’) je n’ai jamais aimé de Gaulle. Car
comme le dit un chant bien connu, mais qui actuellement sent le soufre,
"il n’est pas de Sauveur Suprême, ni Dieu, ni César,
ni Tribun..."Bien sûr, le génie militaire du grand
homme est mis en avant. N’est-ce pas lui qui , en effet, avait proposé
dans son livre "Vers l’armée de métier" l’emploi
massif des chars ?
De Gaulle est un plagiaire. L’idée n’est pas de lui mais du général
Estienne, relayé dès 1922 à la Chambre des Députés
par un jeune parlementaire qui avait servi sous ses ordres à
la fin de la "Grande Guerre"., Jacques Duboin.
La séance du 14 Mars 1922 était consacrée à
la discussion du projet de loi sur le recrutement de l’armée
proposé par le Ministre de la Guerre, André Maginot (celui
de la Ligne !). Après l’exposé du rapporteur général,
Jacques Duboin pris rapidement la parole : "Vous nous demandez
donc, monsieur le ministre, un crédit d’hommes, mais vous ne
nous dites pas quel effort vous avez accompli jusqu’ici pour économiser
ces hommes, ni celui que vous projetez pour économiser éventuellement
leur sang. Avez-vous tout au moins essayé de moderniser l’armée ?’
Il ne saurait être question de donner ici l’intégralité
des débats. Je me bornerai à en rappeler les points forts.
(Ceux que cela intéresse pourront consulter le Journal Officiel,
Débats parlementaires n° 30 du 15 Mars 1922., p. 784 à
788.) " II faut que la guerre puisse aussi rapidement que possible
être transportée sur le territoire de ceux qui nous attaquent,
....
Une grande transformation domine la dernière guerre : l’intervention
du moteur mécanique dans les transports d’abord, puis, par l’emploi
de la chenille sur le champ de bataille comme arme de combat. C’est
cette arme puissante et nouvelle qui a permis de terminer la guerre
un an plus tôt. Ce sont les Allemands eux mêmes qui le disent.
Je demande où est l’effort du gouvernement pour moderniser l’armée.
Comment expliquer dans le projet de loi la présence encore de
157.000 chevaux et de 67 régiments de cavalerie. Je ne vois même
pas la création d’une direction de cette arme nouvelle : les
chars de combat."
A un certain M. de Rougé qui lui demande comment on fera passer
les armées quand les routes et les ponts auront sauté,
J. Duboin répond : "A travers champs, mon cher collègue.
Mais je vois que vous suivez mal,la discussion, car c’est précisément
pour cela qu’il faut des véhicules à chenilles affranchis
des routes."
Après avoir fait allusion à la marine à voile et
à son remplacement par la marine à vapeur, vient la réplique
célèbre : "Vous m’avez demandé ce qu’était
une armée moderne. Je vais essayer de vous en donner une définition.
Une armée moderne, c’est une armée qui se reconnait à
l’odorat : elle sent le pétrole et ne sent pas le crottin. C’est
une armée où le moteur mécanique joue le principal
rôle."
Mr le rapporteur général : "Les idées exposées
par notre collègue Duboin méritent d’être écoutées.
II peut apparaitre ici peut-être comme unprécurseur, mais
ce sera le seul reproche que l’on pourra lui adresser. 11 va beaucoup
trop vite. Le problème qu’il signale à votre attention
est difficile à résoudre. Vous ne pouvez pas faire des
transformations brutales du jour au lendemain, supprimer le cheval et
ne plus employer que des machines sans passer par une période
de transition..."
Comme on le voit , J. Duboin que l’on voulait bien considérer
comme un précurseur, était tout de même accusé
d’aller trop vite. L’histoire lui a pourtant donné raison. C’est
encore ce qu’on lui reprochera plus tard dans le domaine de l’économie !
Mais revenons au débat du 14 Mars 1922. Après avoir rappelé
que les Allemands sont, eux, tout à fait conscients de la nécessité
de disposer de chars pouvant se déplacer très rapidement,
J. Duboin demande que l’armée française dispose surtout
d’une grande mobilité, "parce que c’est la mobilité
qui permet la surprise ; ’
Nous noterons au passage ce que certains appelleront encore le penchant
"utopiste" de J. Duboin, lorsqu’il déclare : "Je
demande également que nous fassions tous nos efforts pour que,
si nous possédons cette force, nous arrivions à l’internationaliser
et à la mettre à la disposition de la Société
des Nations, car alors, messieurs, la paix du monde est assurée."
Et enfin sa conclusion : "Quand on veut moderniser une industrie,
la première modification que l’on opère consiste à
la "moteuriser". Eh bien, pour l’armée, c’est la même
chose. La moderniser, c’est la "moteuriser"."
Tout cela a certainement dû interesser fortement le capitaine
de Gaulle qui, en 1922, était stagiaire à l’Ecole Supérieure
de Guerre, après avoir été, en 1 921 , professeur-adjoint
d’histoire à Saint-Cyr. Comment en effet supposer qu’il n’ait
pas eu connaissance, dans les fonctions qui étaient, à
ce moment les siennes, du débat sur le projet de loi sur le recrutement
de l’armée et l’organisation de la Défense Nationale ?
II ne fait donc aucun doute que de Gaulle connaissait ce texte lorsqu’il
écrivit "Vers l’armée de métier".
Reconnaitre le rôle de précurseur de J. Duboin n’aurait
pas porté trop ombrage à la gloire du grand Charles !
Les grands ont décidément de ces mesquineries...
De Gaulle, le plagiaire
Éditorial
par
Publication : juillet 1990
Mise en ligne : 16 mars 2009
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Publication : juillet 1990
Mise en ligne : 16 mars 2009