Parmi les innombrables réunions qui ont lieu aux quatre coins du monde, nous en avons retenu trois auxquelles nous avons assisté personnellement et où des questions qui intéressent, croyons-nous, les lecteurs de la Grande Relève ont été traitées. L’une était placée dans la perspective de l’Europe qui se fait, les deux autres avaient trait au monde en devenir.
Environnement et construction européenne
Un colloque s’est tenu sous ce titre, le 9 mai 1990,
à la Cité des Sciences et de l’Industrie de ParisLa Villette.
II a rassemblé plus de vingt intervenants choisis parmi des chercheurs,
des scientifiques, des décideurs et des politiques qui se sont
exprimés devant environ trois cents invités rassemblés
par Eurocité, centre de ressources et d’information sur l’Europe
fondé par les responsables de la Cité.
Le sujet fut divisé en trois parties animées chacune par
un journaliste, avec un invité d’honneur et quatre ou cinq spécialistes
disposant de quelques minutes pour exposer un problème précis.
Après chaque partie les auditeurs furent invités à
poser, par écrit, des questions aux orateurs de leur choix. Une
Tribune a réuni en fin d’après-midi la plupart des participants.
Brice Lalonde, secrétaire d’Etat chargé de l’environnement
et de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs
a prononcé une allocation de clôture.
La première partie fut animée par Jacques Paugam, journaliste
à FR3, avec comme président de séance Francesco
di Castri, président du programme Scope-Comité scientifique
mondial sur les problèmes de l’environnement. Intitulée
"Recherche et écologie", elle eut comme but de faire
le point sur les progrès scientifiques résultant des grands
projets européens et de donner une vision globale des équilibres
planétaires. A ce propos, le président a bien expliqué
d’entrée que si l’Europe pollue, plus de la moitié des
grandes difficultés rencontrées présentent un caractère
extraeuropéen donc planétaire, puis il n’en fut plus parlé,
sauf pour constater qu’il n’existe aucune instance au plan mondial pour
s’occuper de régler ces urgences. D’autres seront plus conséquents
comme on le verra plus loin.
Toutes les grandes pollutions qui nous menacent furent répertoriées
et l’on fit état des travaux, en particulier des mesures scientifiques
exécutées sous les auspices du projet européen
Eureka, de la Commission des Communautés Européennes et
du Centre National d’Etudes Spatiales. Francesco di Castri déplora
l’insuffisance des rapports entre scientifiques et politiciens évaluant
à 3 ou 5 % les propositions des premiers qui sont suivies d’effet.
On s’éleva jusqu’aux grandes interrogations philosophiques, pour
s’accorder sur la disparition des clivages entre physique et métaphysique
et l’on retomba ici et maintenant pour constater la difficulté
de contraindre les états de la CEE, par exemple à interdire
la fabrication de produits non biodégradables.
L’animateur de la seconde partie fut François Roche, rédacteur
en chef de "A pour affaires économiques", avec, comme
invitée d’honneur Simone Veil, ancienne présidente du
Parlement européen et actuelle présidente du Comité
Français pour l’environnement. On y parla d’une politique européenne
dans ce domaine ; pour conclure que, sur la centaine d’actes réglementaires
édictés depuis 1972-73, bien peu étaient réellement
appliqués. On y dressa le palmarès des bons élèves :
RFA, Pays-Bas et Danemark, des moyens dont la France, et des médiocres.
En réalité, le droit communautaire est ignoré de
la plupart des nations. Pour être applicables les directives européennes
doivent être ratifiées par les parlements nationaux. Dans
la situation présente, les sanctions ne sont nullement dissuasives.
II faudrait une Haute Autorité communautaire et un inspectorat
qui fonctionne, ce qui n’est pas le cas. Se référant aux
traditions différentes des états, notamment en matière
de démographie, Simone Veil se demanda si une synthèse
entre développement et environnement est possible ; pour se consoler
en plaidant que,sans la CEE, la situation serait pire...
Le début d’après-midi était consacré à
"Environnement : nouvel exercice de la démocratie"
et placé sous la présidence de notre ami Jacques Robin,
médecin, directeur de "Transversales Science-Culture"
(1). Les invités d’honneur étaient Michel Barnier député
RPR, rapporteur spécial du budget de l’environnement et Huguette
Bouchardeau député, ancien ministre, présidente
pour la France de l’Entente européenne pour l’environnement.
L’animateur fut André Dumas, journaliste à Europe 1. Robert
Picht, vice-président de la fondation européenne de la
culture à Amsterdam, reconnut la nécessité de revoir
nos modes de pensée. Hans Scheuer, de la Commission des Communautés
Européennes à Bruxelles, insista sur l’information et
l’éducation du citoyen européen. David Cabot, conseiller
spécial auprès du premier ministre irlandais, promit que
la présidence irlandaise de la CEE se terminerait avec une déclaration
majeure sur ces problèmes.
Jacques Robin ne manqua pas de s’interroger sur notre modèle
de croissance dont il craint le pire, surtout après 1992. II
fit bien la distinction entre l’écologie, science fondamentale,
et l’environnement, techno-science soumise aux aléas de la finance
et de la politique. Enfin, il évoqua l’exigence d’une écologie
planétaire et d’un changement économique, pour aller vers
une économie plus distributive.
Michel Barnier et Huguette Bouchardeau parlèrent des difficultés
de leur travail quotidien au Parlement. Le premier venait de déclarer
à la télévision, fin avril, que le combat contre
la pollution coûterait cher et que le pays ne pourrait pas le
mener sans un prélèvement important sur les dépenses
militaires.
Nous lui avons donc demandé s’il maintenait cette position, ce
qu’en pensaient ses amis politiques et ce qu’il pourrait faire concrètement.
A notre surprise, la question ne fut écartée ni par les
organisateurs, ni par l’intéressé. L’assistance fut sensible
au courage de Michel Barnier qui avoua s’être fait "engueuler"
par ses collègues de parti, mais se dit décidé
à poursuivre dans cette voie et prêt à proposer
un transfert de 5 % des crédits d’armement vers le budget de
l’environnement. Bravo, mais c’est une proposition malheureusement irréaliste
souvent avancée, jamais suivie d’effet.
Assises du mondialisme
Elles eurent lieu à la mairie de Tours, comme
nous l’avions annoncé, du 24 au 28 avril 1990. Au rythme de cinq
le matin et de cinq l’après-midi, une quarantaine de conférenciers
se sont succédé à la tribune. A partir de 18 heures
environ, un débat public clôturait la journée. Le
mardi 24 avril fut consacré à une conférence de
presse boudée par les journalistes, même locaux, puisque
seul Pierre Imbert de la "Nouvelle République du Centre-Ouest"
assista à la réunion. Aucun autre journal que celui-ci
et le "Courrier Français de Touraine" n’a assuré,
à notre connaissance une couverture convenable des réunions.
Claude Tellier, responsable du centrer tourangeau des Citoyens du Monde,
remarquable organisateur, remercia la municipalité menée
par Jean Royer de lui avoir donné l’hospitalité de la
Grande Salle des Fêtes de l’Hôtel de Ville. II prononça
une brillante allocution d’ouverture, mettant chacun des habitants de
cette planète devant ses responsabilités face aux menaces
de tous ordres qui l’assaillent.
Parmi les interventions du premier jour, citons celle du docteur Jacques
Mongnet de l’Association des Médecins français pour la
prévention de la guerre nucléaire, qui dénonça
la mainmise des militaires français sur l’économie de
la Polynésie. Yves Angelloz annonça que les prochains
"Jeux mondiaux de la Paix" qui doivent "vider les tribunes
et emplir les stades" auront lieu au Maroc, du 17 au 22 juillet
1990. Pierre Cochery du MURS (2) a traité de la responsabilité
des scientifiques, particulièrement en ce qui concerne l’arme
nucléaire. II s’est montré optimiste sur l’avenir des
relations entre les grandes puissances. Cette journée a été
marquée aussi par l’absence d’Edgar Morin qui devait traiter
de la "paix par la conscience planétaire" et surtout
la défection de Bernard Benson pour de regrettables raisons financières.
Roland Nivet du Mouvement de la Paix a dénoncé le maintien
des dépenses d’armement françaises. J.M. Lavieille de
l’Université de Limoges s’est attaqué au complexe scientificomilitaro-industriel
et a rappelé les sondages d’opinion favorables, en France, à
une réduction des crédits militaires. Bernard Maire a
évoqué la mémoire de son frère Gabriel,
prêtre et fondateur du Mouvement Populaire des Citoyens du Monde,
assassiné le 23 décembre 1989 à Vitoria (Brésil)
où il travaillait, dans sa paroisse, en faveur des déshérités.
II a demandé justice.
Le jeudi 26 était consacré au développement mondial.
Jean-Marie Fardeau, d’Agir ici, a parlé du sommet des sept pays
les plus pauvres et annoncé la fondation d’un observatoire international
permanent du développement et de la démocratie. Franco
Bettoli a rappelé l’existence d’EmmaüsInternational qui
a participé au financement des Assises.
Dorin Hehn, esperantiste roumain, s’est félicité de l’accession
de son pays à la démocratie et a fait part de sa crainte
d’une renaissance des nationalismes. Daniel Durand du Fonds Mondial
de Solidarité contre la Faim, création des Citoyens du
Monde et du Congrès des Peuples a précisé qu’il
s’agissait d’une institution transnationale et mutualiste d’aide ponctuelle
aux affamés du Tiers-Monde. Maribel Wolf de Terre des Hommes
a parlé de la démocratie en relation avec le sous développement.
Elle a très bien stigmatisé les informations partielles
ou fausses propagées dans les grands médias par des journalistes
carriéristes, donnant l’exemple du Panama où les bombardements
par les troupes des Etats-Unis avaient fait, proportionnellement à
la population, beaucoup plus de morts qu’en Roumanie, dans l’indifférence
presque générale des grands organes internationaux. Jeanne
Bisilliat a examiné la subordination des femmes en rapport avec
le sousdéveloppement.
Alexandre Marc a soutenu sa thèse fédéraliste intégrale
troisième voie nécessaire, d’après lui, entre le
capitalisme et le communisme. II a rappelé que Jacques Duboin
avait, le premier, dénoncé le régime économique
qui entraine la misère dans l’abondance, mais a cru nécessaire
de répéter ses préjugés contre le distributisme
(3). Thèses contre lesquelles nous nous sommes évidemment
élevés. Enfin Charles Loriant, président du Mouvement
vers une Autogestion Distributive a excellemment exposé aux mondialistes
pourquoi l’économie distributive était une alternative
crédible et incontournable. Au cours du débat et lors
d’une réunion des associations, le 29 avril, Charles Loriant
a fait état de son projet de banque de données interassociative
et interdisciplinaire avec un certain succès auprès des
responsables présents qui ont adopté une motion finale
de soutien.
Les interventions du 27 avril étaient placées sous le
titre général :"Sauvegarder la biosphère".
Alfreda Maruska, médecin lituanien, membre des "verts",
s’exprimant en esperanto a dit son opposition à l’industrie nucléaire
soviétique et aux bases aériennes. Pour "Nature et
progrès", Marc Trouilloud a dit son opposition à
l’agriculture chimique et Isabelle Totikaev d’Ecopora-France a déploré
la déforestation de l’Amazonie. La communauté Baha’ie
était représentée par Wytze Bos du Canada qui s’est
rallié au fédéralisme au nom de l’existence de
Dieu.
Un espérantiste de RFA, le docteur Günther, a rappelé
toutes les menaces qui pèsent sur notre terre et a lancé
un appel pour un meilleur contrôle global de l’environnement.
La présidente en exercice du Congrès des Peuples, Muriel
Saragoussi, chercheur à Manaus, a proposé un pacte amazonien
de sauvegarde.
Enfin Michel Beaud du groupe pour l’appel de Vézelay
a défini les réflexions du groupe sur les risques technologiques
majeurs, il a précisé les solutions à éviter
et les voies qui paraissent prometteuses. Michel Beaud tient aussi dans
"Le Monde" une rubrique intitulée "A travers les
revues". Malgré un échange de correspondances, il
n’a pas cru devoir faire la moindre allusion à notre publication.
Nous lui en avons demandé la raison et plus généralement
pourquoi les professionnels de l’information font le silence sur le
distributisme et le mondialisme. II nous a répondu qu’il n’était
pas journaliste mais universitaire, qu’il écrirait sur l’économie
distributive si, un jour, le thème général de sa
chronique s’y prête. II a ajouté qu’à son avis,
les journalistes attendent tous qu’un de leurs collègues aborde
les thèmes qui nous intéressent pour en parler eux-mêmes
!.. Cette réponse n’a pas modifié la piètre opinion
que nous avions déjà sur le sens de la responsabilité
des maîtres des médias dont le métier, capital en
régime démocratique, devrait être, en principe,
d’informer l’opinion aussi complètement que possible.
Le 28 avril, dernier jour des réunions publiques, nous avons
entendu Marie Serpereau du Groupe Français d’éducation
nouvelle parler de "Citoyenneté et savoir" et Alain
Raphestan, maire de Fussy (Cher), témoigner de son expérience
de premier magistrat de l’une des 950 communes mondialisées.
Badi Lenz a soutenu sa thèse d’une seconde chambre populaire
auprès de l’A.G. des Nations Unies. Alain Faure, président
d’Amnesty France, a expliqué la position de son association face
à la raison d’Etat.
L’après-midi, Guy Héraud, ancien candidat
à la présidence de la République, a donné
un aperçu théorique du fédéralisme, depuis
le maître Proudhon jusqu’à Denis de Rougement et des fédérations
locales jusqu’à la fédération mondiale. Les voies
et moyens du mondialisme furent dénombrés par Georges
Bernard, directeur honoraire de recherches au CNRS et membre du Mouvement
Universel pour une Fédération Mondiale. Et la séance
fut clôturée par Roger Wellhof, directeur du Registre International
qui a rappelé les raisons pour lesquelles l’enregistrement des
Citoyens du Monde reste nécessaire face aux dangers qui menacent
actuellement la vie sur Terre.
Mais celui qui retint évidemment l’attention des 450 personnes
présentes fut évidemment l’Abbé Pierre Grouès,
fondateur des Compagnons d’Emmaüs. II suscita l’émotion
parmi les plus anciens mondialistes, en rappelant la part prépondérante
qu’il prit au premier congrès de ce qui était alors le
Mouvement Universel pour une Confédération Mondiale à
Montreux, en 1947. II évoqua ses rencontres avec Lord Boyd Orr,
premier président de la FAO et avec Stringfellow Barr, auteur
de "Let’s join the human race" (Chicago 1950) ainsi qu’avec
Albert Einstein. II termina en stigmatisant les positions racistes,
face aux réalités de la démographie mondiale, et
en lançant un appel à la jeunesse pour qu’elle l’aide
à lutter contre la faim et la souffrance.
(à suivre)
(1) Voir nos blocs-notes
(2) Mouvement Universel pour la responsabilité scientifique. Président Jean Dausset Prix Nobel de médecine.
(3) Voir notamment "L’économie à l’Institut d’études mondialistes" GR n° 871 et Courrier des lecteurs, GR n° 874.