De l’eau à notre moulin...
par
Publication : août 1989
Mise en ligne : 11 mai 2009
C’est vraiment la Révolution ! Voilà que le gratin de l’économie se met à réclamer une profonde réforme du système monétaire : le prix Nobel 1988 d’économie, Maurice Allais, le gouverneur de la Banque de France, M de Larosière, l’ancien Directeur Général de l’Institut des Finances Internationales, ...Mais où allons nous ?
L’échec de la science économique
Et tout d’abord un constat qui fait la quasi unanimité :
la science économique patine dans la choucroute. C’est ce que
nous dit un économiste de base, Michel Beaud, dans son livre
"L’économie mondiale dans les années 80" (1)
: "La plupart des auteurs continuent à penser en termes
d’économies nationales, territoriales, bien bordées en
leurs frontières, avec un intérieur et un extérieur
bien définis... mais c’est la réalité des économies
nationales, mondiales, interpénétrées et comme
emmêlées, qui se renforce chaque jour. Ainsi nos structures
de pensées, et plus encore, la présentation des informations
statistiques nous empêchent de voir, d’analyser toute une dimension
majeure de la réalité."
Maurice Allais, l’un des rares experts à avoir prévu le
krach d’Octobre 1987, va plus loin (2) : Pour lui, l’économie
mondiale reste potentiellement instable et son évolution à
court terme est largement imprévisible. Pour supprimer cette
instabilité, il convient de réformer profondément
les institutions monétaires et financières. C’est qu’en
effet "l’activité économique a pour objet de satisfaire
les besoins pratiquement Illimités des hommes avec des ressources
limitées dont ils disposent, en travail, en richesses naturelles
et en équipements antérieurement produits, compte tenu
des connaissances techniques limitées qui sont les leurs"...
"La science économique a pour tâche essentielle de
définir correctement les principes généraux du
cadre institutionnel dans lequel doit se dérouler l’activité
économique, si elle veut atteindre son objectif. L’expérience
montre que, tant au plan national que mondial, cette tâche n’a
pû être réalisée, notamment sur le plan monétaire
et financier.
Le problème majeur des économies de marché occidentales
est en effet celui, tout à fait irrésolu aujourd’hui,
des fluctuation conjoncturelles et des variations de la valeur réelle
de la monnaie qui compromettent à la fois l’efficacité
de l’économie, l’équité de la répartition
des revenus, la sécurité de l’emploi et des ressources
et finalement la paix sociale. L’instabilité économique,
la sous-production, l’iniquité, le sousemploi, la détresse
et la misère qui les accompagnent, sont les fléaux majeurs
des économies de marché... Toutes les difficultés
rencontrées résultent de la méconnaissance d’un
fait fondamental, c’est qu’aucun système décentralisé
d’économie de marché ne peut fonctionner correctement
si la création incontrôlée ex-nihilo de nouveaux
moyens de paiement permet d’échapper, au moins pour un temps,
aux ajustements nécessaires. Il en est ainsi toutes les fois
que l’on peut s’acquitter de ses dépenses ou de ses dettes avec
de simples promesses de payer, sans aucune contrepartie réelle,
directe ou indirecte, effective... Qu’il s’agisse des taux de change
ou des cours des actions, on constate le plus souvent une dissociation
entre les données de l’économie réelle et les cours
nominaux déterminés par la spéculation. Partout
cette spéculation, frénétique et fébrile,
est permise, alimentée et amplifiée par le crédit
tel qu’il fonctionne actuellement. Jamais dans le passé elle
n’avait atteint une telle ampleur."
M. Allais dénonce en outre la monétisation accélérée
des dettes, c’est à dire l’utilisation des dettes comme instrument
de liquidité, la confusion croissante entre épargne et
monnaie et, surtout, l’utilisation mondiale, comme unité de valeur,
du dollar dont la valeur réelle sur le plan international est
extraordinairement instable et imprévisible. C’est qu’en effet
"personne ne parait réellement s’inquiéter du fait
que l’utilisation internationale du dollar donne aux Etats-Unis le bénéfice
de la création de monnaie sur le plan international, véritable
tribut payé aux plus riches par les plus pauvres." C’est
si vrai que le niveau de vie moyen américain est maintenu par
des prêts de l’extérieur à une valeur de 3% plus
élevée que celle qu’il aurait dans une situation d’équilibre.
En fait, les Etats-Unis restent le premier débiteur du monde
(3) : les statistiques publiées par le gouvernement américain
le 29 Juin révèlent une dette extérieure nette,
à la fin de 1988, de 532,5 milliards de dollars, soit une hausse
de 41% par rapport à 1987.
Propos de Colloque
Ce n’est pourtant pas de cette dette là qu’ont
parlé les participants au Colloque sur l’endettement international
qui vient de se tenir fin Juin et dont le thème, "Développement
et Démocratie au péril de la Dette" était
déjà en lui-même assez audacieux, pour ne pas dire
affreusement gauchiste, pour l’establishment économique et financier.
A coté de déclarations, somme toute classiques et attendues,
compte tenu de la personnalité de leurs auteurs "Le Brésil
a remboursé avec la faim des pauvres" (Celso Furtàdo,
économiste, ancien ministre) ; "Le remboursement de la dette
se fait au détriment de l’emploi, de la santé, de l’éducation"
(Gustave Marin, économiste chilien), on a pu de manière
plus surprenante et dont il faut se réjouir, entendre le Gouverneur
de la Banque de France affirmer que : "la crise de la dette constitue
un défi pour la démocratie. ’M. André de Lattès
a annoncé pour sa part que "la dette des plus pauvres sera
annulée d’une façon ou d’une autre".
Des tabous sont donc tombés et il est maintenant
évident que le remboursement intégral de la dette est
un concept enterré. Tant mieux ! Et nous devons nous réjouir
que la France sous l’impulsion de son Président, aît depuis
longtemps travaillé à cet enterrement. Du coup, les Américains
commencent à suivre notre exemple.
Toujours à ce même colloque, on a entendu une journaliste,
Susan George, dénoncer les banques qui ont reçu le beurre
et l’argent du beurre, c’est à dire les remboursements et les
capitaux enfuis des pays endettés.
Enfin Lionel Stoléru, Secrétaire d’Etat , chargé
du Plan, a conclu en appelant chacun à oeuvrer pour que "de
sélective ou éphémère, l’indignation face
aux problèmes soulevés par la dette devienne permanente."
Nos lecteurs peuvent donc se réjouir que , d’une façon
ou d’une autre, les thèses que nous avons si souvent défendues
dans nos colonnes commencent à trouver des échos auprès
des plus hautes autorités.
Une réforme indispensable
Mais on ne pourra changer l’état du Monde que
par une profonde réforme de notre système économique
et financier. Bien des économistes commencent à y penser.
C’est ainsi qu’en concluant son ouvrage, M. Beaud déplorait "l’absence
d’une véritable organisation internationale capable de définir
les règles du jeu économique."
Quant à Maurice Allais, il écrit (2) "En fait, sur
le plan national comme sur le plan international, les principes fondamentaux
sur lesquels repose actuellement le système monétaire
et financier doivent être entièrement repensés et
une structure institutionnelle appropriée serait relativement
facile à définir dès lors que les principes à
considérer seraient déduits de l’observation des faits
et non de conceptions a priori. Une réforme convenable du système
monétaire international... impliquerait notamment l’abandon total
du dollar comme monnaie de compte, comme monnaie d’échange et
comme monnaie de réserve sur le plan international,... et finalement,
l’établissement progressif d’une monnaie commune sur le plan
international. "
Bien sûr, on n’en est pas encore à l’Economie Distributive,
mais on voit bien que les choses avancent peu à peu. La révolution
économique n’est peut-être pas aussi loin que ça !
(1) La Découverte,1989
(2) Le Monde, 27 et 29 Juin 1989
(3) Le Monde, 1er Juillet 1989