Démocratie et élections

Editorial
par  M.-L. DUBOIN
Publication : février 1977
Mise en ligne : 17 mars 2008

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que ce journal n’est dirigé que par des bénévoles dont aucun n’est journaliste professionnel. Nous nous efforçons d’analyser avec bon sens l’actualité économique et sociale et d’exprimer en termes simples les conclusions logiques que nous en tirons. Notre équipe est unie par un unique mais solide lien : la leçon tirée de l’enseignement de Jacques Duboin, économiste mort l’an dernier, ancien Sous- Secrétaire d’Etat au Trésor sous la 3’ République, auteur d’une vingtaine d’ouvrages d’économie politique, inventeur de la théorie de l’économie distributive, fondateur de ce journal et de l’Association dénommée Mouvement Français pour l’Abondance par le Socialisme Distributif.
Il s’en suit que cette équipe de rédaction est formée de gens venant de milieux divers, qui exercent des professions différentes que, d’ailleurs, la plupart du temps, nous ignorons.
Elle se réunit périodiquement pour lire et commenter les textes proposés. Les discussions qui s’ouvrent dans ces réunions nous amènent à débattre des problèmes d’actualité et c’est ainsi que tout naturellement les numéros précédents, et celui-ci encore, expriment en particulier notre opinion face au problème du désarmement.
Peut-être à cause de l’approche des élections municipales qui menacent de faire couler tant d’encre, ce numéro voit s’amorcer des réflexions sur le rôle du pouvoir politique dans l’économie. Il nous est apparu, lors de notre dernière réunion, qu’un grand nombre de gens avaient de plus en plus tendance à confondre le sens des mots Etat et gouvernement. Ces mots ne peuvent être confondus que dans un régime parfaitement démocratique puisque démocratie désigne un système politique dans lequel le gouvernement est exercé par le peuple souverain.
Il est communément admis qu’un tel gouvernement est matériellement irréalisable. C’est la raison pour laquelle a été imaginée par le législateur la délégation de pouvoir qui consiste à faire élire par le peuple des représentants chargés par les citoyens de prendre les décisions en leurs nom _ et place. Nos élus sont donc sensés avoir une connaissance assez parfaite de notre état d’esprit pour se comporter comme s’ils savaient toujours et avec exactitude quelle décision prendrait la majorité des citoyens si elle était consultée à chacune des questions qui se posent. Et, bien entendu, cela suppose aussi de leur part une honnêteté tout aussi parfaite pour les empêcher de laisser intervenir dans leur choix toute considération d’intérêt personnel. Ainsi, la démocratie dans notre système repose-t-elle sur l’intégrité morale et intellectuelle de nos élus.
Une telle perfection n’est pas de ce monde. On peut donc se demander s’il existe un meilleur moyen d’instaurer la démocratie.
Une première question se pose alors : sera-t-il toujours aussi vrai que la démocratie directe est irréalisable ? Et si les moyens techniques modernes de diffusion, d’information, d’enregistrement, de communication instantanée même à distance, de comptabilisation par l’informatique, venaient à changer totalement les possibilités de consultation ?
Qui prendrait alors les dispositions nécessaires pour modifier la législation en vigueur, de façon à donner le pouvoir au peuple souverain ?
Une telle décision appartient à l’heure actuelle aux élus. Mais elle consisterait pour eux à faire hara-kiri sur leur raison d’être. D’un tel cercle vicieux, il n’est pas évident qu’on puisse tirer quelque espoir !
Ce dilemme est semblable à celui que des représentants syndicaux peuvent se poser : dans un régime où le travail et le revenu seraient totalement dissociés l’un de l’autre, où serait leur raison d’être ? C’est une révolution à faire dans les esprits et qui s’avère difficile à ceux qui ont consacré leur vie à la lutte des classes.
Il appartient donc à chacun de nous d’être conscient que les moyens techniques modernes remettent aussi en question le principe même de la délégation de nos pouvoirs. Si ce n’est pour aujourd’hui, cela peut bien être pour demain.
Alors une seconde question se pose : serons-nous à ce moment tous mûrs pour être investis d’un tel pouvoir ? La prise de décision demande une connaissance parfaite des conditions qui se présentent et la capacité intellectuelle et morale de peser le pour et le contre, un véritable sens critique, un respect profond de la liberté d’autrui. Tout cela s’apprend. Et quand on voit le matraquage publicitaire et la démagogie qui tiennent souvent lieu, ici ou là, d’information dans une campagne électorale, on en revient encore à cette conclusion : tout doit commencer par aider nos concitoyens à réfléchir par eux-mêmes, à rejeter les idées toutes faites, à refuser les affirmations qui ne s’appuient sur rien et qui proviennent d’individus misant sur leur crédulité.
C’est bien là que se situent nos intentions en publiant ce journal. Comme le mois dernier, nous offrons à nos abonnés la possibilité de diffuser ces réflexions en donnant un second exemplaire autour d’eux. Puis nous leur demanderons de nous communiquer l’adresse des personnes, qu’ils auront ainsi intéressées, pour leur envoyer directement quelques numéros.
Chaque esprit qui s’ouvre à la réflexion contribue à l’évolution de l’humanité.