El gusto

ou l’espoir que la musique devienne un prélude à la Paix

par  C. DUC-JUVENETON
Publication : février 2012
Mise en ligne : 15 mars 2012

Grand retour d’un orchestre composé de musiciens juifs et musulmans, séparés par l’histoire et qui, 50 ans plus tard, se retrouvent pour faire revivre leur passion de la musique chaâbi :

Bienvenue en ce début d’année au cœur de la Casbah d’Alger des année 50 ! Les cafés, les fumeries et les ruelles, où la musique populaire algéroise rythmait la vie quotidienne : tel est le cadre du projet El Gusto.

Ils ne se sont pas revus depuis 50 ans, depuis la guerre d’Algérie. Ils sont Juifs ou Arabes. Ils jouent du violon, de la mandoline, du piano, du luth, de la derbouka, du banjo … Ils aiment chanter cette musique qui fait oublier la faim, la soif et la misère qu’ils transcendent en joie de vivre. C’est ce qu’ils appellent El Gusto.

Le documentaire de Wim Wenders Buena Vista Social Club avait fait connaître dans le monde entier les gloires de la musique afro-cubaine. Une réalisatrice algérienne de 30 ans, Safinez Bousbia, a suivi la même démarche que le réalisateur allemand : cette jeune irlando-algérienne, se promenant dans la Casbah en 2003, achète un petit miroir peint dans l’échoppe d’un vieux monsieur ; ils sympathisent et il lui raconte sa vie d’avant, dans les années 50 quand il jouait de l’accordéon dans le grand orchestre chaâbi dirigé par Sheik El Anka. Bouleversée, elle part à la recherche de ces hommes, témoins d’un monde enfoui, séparés par la vie et la guerre. Elle fait se rencontrer ces vieux musiciens, les fait parler et jouer le chaâbi. Elle en fait un film documentaire, aboutissement de deux ans de recherche, puis deux ans de tournage, qui ravive la mémoire de cette musique qui avait le don de dépasser les différences religieuses et culturelles. Intitulé El Gusto (mot d’origine espagnole intégré dans le dialecte algérois, signifiant passion, goût, plaisir), ce film mêle témoignages des anciens musiciens, à Alger, Paris ou Marseille, répétitions dans la salle de classe de l’époque, et déambulation dans la basse Casbah.

 Le chaâbi

Ces hommes ont été les porteurs d’une culture musicale créée dans les années 20 par le grand maître du chaâbi, Sheikh El Anka. Reconstituer le même orchestre que celui des 40 musiciens de la 1ère classe de chaâbi au Conservatoire d’Alger, c’est construire à nouveau une passerelle entre Alger la Blanche et Marseille la Radieuse. Ainsi, en 2012, grâce à El Gusto, le fils du dieu du chaâbi rencontre les derniers survivants de cette mémoire, qui renouent eux-mêmes, à 70 ans, voire 80 ans et plus, avec leur jeunesse.

Le chaâbi (musique populaire en arabe) est un style qu’on peut qualifier de révolutionnaire dans le sens où il a rendu la musique arabo-andalouse, considérée comme savante, accessible au plus grand nombre. Les premiers fondateurs du chaâbi, El Hadj Mrizek, Cheikh Nador et surtout El Hadj M’hamed El Anka, ont construit ce nouveau style en s’inspirant de la structure de la musique arabo-andalouse, et en introduisant de nouveaux rythmes et des textes de la poésie populaire. « Quand on parle du chaâbi, c’est la musique d’Alger, et surtout, de la Casbah », explique Ahmed Bernaoui, chanteur et joueur de mandole (l’instrument roi du genre).

Cette musique avait également une dimension politique car elle a permis à la société algérienne de se réapproprier une partie de sa culture, écrasée par la domination coloniale française. Quand la musique chaâbi est née, cela faisait un siècle que la France occupait l’Algérie. Pendant la guerre d’Indépendance, les paroles des chansons en arabe véhiculaient des messages codés… Autre particularité de cette musique : elle avait des adeptes aussi bien chez les Algériens que chez les Pieds-Noirs.

Renaissent les souvenirs d’une époque où musiciens juifs et musulmans parlaient le même langage, mais aussi les traumatismes et déchirements engendrés par la guerre d’Algérie. « Étant juif et faisant de la musique arabe, on m’a dit qu’on était en guerre, qu’il ne fallait plus que je chante en arabe, raconte le guitariste pied-noir Luc Cherki. Mais je ne pouvais pas, c’était mon grand kif à moi ».

 El Gousto en concert

Lors de leur première tournée, notamment à Londres, Paris ou Marseille, la presse a bien exprimé l’émotion ressentie par le public : assister au concert de l’orchestre El Gusto, c’est partager un grand moment d’émotion. On peut en voir la vidéo sur la toile à l’adresse : http://www.youtube.com/watch?v=8incLTxVuqc

Pionniers de cette musique, mais aussi auteurs de certaines de ses plus belles mélodies, si généreux sur scène, ils retrouvent enfin la reconnaissance dont ils ont été privés, il y a 50 ans. 

En plus du documentaire sorti en France le 7 janvier, un disque a été enregistré en public à Marseille en 2007, lors du concert des retrouvailles entre ces musiciens. Que cette émouvante aventure nous fasse espérer que l’art réussisse là où le reste a jusqu’ici échoué et devienne un prélude à la paix.


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