Ils y viennent !
Publication : novembre 1982
Mise en ligne : 9 janvier 2009
• Extrait d’un entretien avec J. Ellul du « Nouvel Observateur » du 17-7-82 :
D’un entretien avec J. Ellul dans « le Nouvel Observateur » du 17 juillet :
J.E.- Pousser une politique d’automatisation extrêmement
rapide de l’ensemble des entreprises françaises implique une
réduction brutale des possibilités de travail, par conséquent
une augmentation du chômage. C’est-à-dire qu’il faut réviser
les idées que nous avons en tête, à savoir : travailleur
avec un salaire ou chômeur avec une indemnité. Ce n’est
plus possible. Dans l’O.C.D.E., il y a 28 millions de chômeurs
; pour 1985., on en prévoit 35 millions. Ce n’est pas en créant
trois cents emplois par-ci par-là que l’on va résorber
ça. Autrement dit, cela suppose que l’on pense une politique
de changement total de répartition du revenu national. Ça
ne peut plus fonctionner avec des salaires, ce n’est pas possible. Il
y a un gâteau global que l’on partage en tranches approximativement
égales ; pas forcément totalement égales ; le travailleur
. ne reçoit plus un salaire mais sa part de revenu national,
et le non-travailleur aussi...
N.O. - Est-ce que vous ne croyez pas qu’à ce moment-là
l’obstacle ne réside pas tellement dans la définition
politique, gouvernementale ou administrative du chômeur, mais
dans la tête du chômeur lui-même et dans la manière
dont il ressent son statut ?
J.E.- Pas si on cesse de distinguer, comme on le fait encore,
chômeur et non-chômeur ; pas si le travail n’est plus la
valeur suprême de la société et devient une activité
parmi les autres pas si on comprend réellement qu’après
tout le travail de la ménagère équivaut au travail
de la femme dans son bureau ou que le travail de l’artisan qui vend
ses bijoux dans la rue équivaut au travail de l’ouvrier en usine,
si le travail n’est plus la valeur de la société ! C’est
là le retournement mental. Parallèlement, il faudra enfin
accepter dans les entreprises une extraordinaire souplesse - rendue
possible par l’appareillage moderne - dans le travail, une très
grande diversité dans les horaires, etc.
(Envoi de nombreux lecteurs dont Mme Montanet de Grenoble et M. Couton, de Paris).
• Extrait du « Journal du Centre (27.7.82) :
REPENSER LE TRAVAIL
par Jean-François KESLER
« La France compte environ deux millions de chômeurs. La
disparition du chômage ne peut pas être envisagée
à court terme. Il faut donc reprendre le travail.
A la vérité, ce qui s’impose c’est une révolution
mentale. Il devient nécessaire de distinguer entre rémunération
et emploi. L’avènement de l’« Etat-Providence » et
l’édification d’un vaste système de sécurité
sociale ont déjà constitué une rupture radicale
avec la pensée économique libérale. A partir du
moment où ont été attribués des allocations
en cas d’impossibilité de travailler pour quelque cause que ce
soit (maladie, invalidité, maternité, vieillesse, etc.)
le lien entre travail et revenu a été rompu. L’assurance
chômage procède d’ailleurs du même esprit. Il n’est
plus nécessaire, dans nos sociétés développées,
de travailler pour percevoir un revenu (étant entendu que les
revenus de remplacement n’ont rien à voir avec l’assistance et
présentent toutes les caractéristiques d’un salaire).
Il faut aller plus loin. A l’heure actuelle, le travail a une double
dimension : une dimension financière (c’est le moyen pour chacun
de gagner sa vie, s’il est apte au travail), et une dimension morale
(l’homme trouve sa dignité dans le travail). Certes, cette deuxième
dimension est battue en brèche par les nouveaux modes de pensée.
Pourtant, elle demeure fondamentale.
C’est pourquoi il convient d’adopter le diptyque suivant tout homme
a droit à un revenu minimum, lié au niveau de la production
nationale, quelle que soit sa situation ; tout homme, s’il est apte
au travail, doit travailler.
Mais, il faut ensuite distinguer entre emploi (rémunéré)
et occupation (non rémunérée).
Il doit exister des obligations réciproques entre le travailleur
sans emploi et la société. A la société
d’assurer à tout travailleur sans emploi un revenu de remplacement.
Au travailleur sans emploi de contribuer, à la mesure de ses
capacités, aux besoins de la société, sans pour
autant exiger un salaire, étant donné qu’il est déjà
pris en charge par cette société. C’est donc le lien entre
rémunération et occupation qu’il faut rompre. L’employeur
ne doit pas être forcément le payeur. Le payeur, déjà,
n’est pas toujours employeur ».
(Envoi de G. ROTYCOLARD, Paris)