ILS sont partis sans espoir de retour les emplois de ceux qu’on appelle
les cols bleus, partis avec les industries qui les employaient. Les
uns et les autres ont été balayés par le raz-de-marée
technologique qui constitue le fond de la crise que nous traversons.
Il s’agit des industries traditionnelles, comme les aciéries,
l’automobile, le caoutchouc et les textiles qui, il n’y a pas encore
si longtemps formaient la charpente de notre économie. Rien qu’aux
EtatsUnis, elles ont perdu, depuis 1978, plus d’un million d’emplois
qui ne seront jamais créés à nouveau. Plus de 1
500 d’entre elles ont définitivement fermé leurs portes
depuis 1975.
Pourquoi ? Parce que les industriels américains ont de plus en
plus recours à l’automatisation des ateliers et aussi parce que,
là où elle n’est pas possible ou rentable, mieux vaut
laisser les tâches subalternes de fabrication à la main
’à des pays à bas salaires. En Chine, par exemple, la
main-d’oeuvre est payée 1,06 francs de l’heure. Aucun ouvrier
de pays industrialisé ne peut accepter de travailler à
ce tarif.
Quelques chiffres précisent l’ampleur du désastre. Toujours
aux Etats-Unis, l’automobile a vu son personnel réduit d’un tiers
eh 4 ans. En 20 ans, le nombre des travailleurs du rail a baissé
de 68 %. Globalement, les aciéries ont perdu 57 % de leurs ouvriers
en 25 ans et le textile 41 %.
Le phénomène est irréversible. Les travailleurs
qui accomplissent des tâches« manuelles dans des secteurs
où l’automation est possible ou dont les activités peuvent
être transférées à l’étranger sont
menacés dans leur emploi à court ou à moyen terme.
Qu’ils n’espèrent pas se reclasser tous dans les domaines en
expansion. Si, au cours des trois dernières années, les
emplois des cols blancs ont augmenté de 5 %o en moyenne, ceux
des cols bleus ont baissé de 10 %.
Que peuvent faire les travailleurs en présence de cette évolution
? Certains peuvent se recycler dans des secteurs nouveaux après
avoir reçu une formation nouvelle. Pour diverses raisons, tous
ne le peuvent pas. Le pourraient-ils qu’ils ne seraient pas sûrs
d’être embauchés.
Directement menacés de licenciement d’autres acceptent, ou même
proposent, qu’on réduise leurs salaires espérant ainsi
permettre à leur entreprise de’ retrouver sa rentabilité
en réduisant ses coûts de production. Mais qu’ils ne se
fassent pas d’illusions. Ils ne font que retarder l’échéance.
Une autre attitude consiste pour les travailleurs à racheter
leur entreprise et à l’exploiter eux-mêmes. Qu’on en juge.
En décembre 1981 les employés d’une usine de roulements
à billes de la Général Motors ont repris leur usine
sur le point de fermer. Leur première mesure a consisté
à voter une réduction de 25 % de leurs salaires. En France,
M. Krazucki déclarait il y a quelques jours qu’il n’était
pas possible d’accepter une baisse de pouvoir d’achat pour 1982. Comment,
pourtant y échapper dans un tel contexte ?
Pour remonter le moral de la nation les économistes annoncent
l’avènement de l’ère post-industrielle, sorte de nouvel
Eden où les usines seront propres et agréables et dont
les tâches répétitives auront été
bannies. Une étude de l’université Carnegle-mellon prévoit
que d’ici l’an 2000, 3 millions d’ouvriers auront été
remplacés par des robots. A peu près dans le même
temps, ajoute cette étude le chiffre d’affaires de l’industrie
américaine de lai robotique aura été. multiplié
par près de 50. Soit, mais un chiffre d’affaires ne représente
pas des : emplois. Moins optimiste, un dirigeant syndicaliste voit, la
nouvelle société coupée en deux par un fossé
de plus en plus profond séparant les riches des moins riches.
Il a peut-être bien raison.