DANS le « Nouvel Observateur » du 23 mai
dernier, Michel Bosquet, sous le titre « les économistes
communistes ont-ils raison ? », analyse les calculs effectués
par le P.C.F. Il souligne que celui-ci ne fait que « proposer
ce que la gauche a toujours dit : il faut prendre aux riches pour donner
aux pauvres ». Il montre qu’un tel transfert au cours de l’année
qui vient ne représenterait que 9 % du produit national français
; et que d’ailleurs cette somme à verser aux pauvres pourrait
même ne pas être prise aux riches grâce seulement
à « l’élimination de la sous-utilisation du potentiel
productif, une économie accrue des moyens matériels et
une efficacité supérieure des investissements ».
Restent évidemment les modalités de ce transfert. Et comme
pas plus Michel Bosquet que les communistes, n’envisagent de sortir
du système capitaliste des prix-salaires-profits, ils tombent
sur un écueil de taille : l’incompatibilité entre un système
qui repose sur le principe que « l’argent va à l’argent
» et tout idéal d’équité, voire seulement
d’humanité. Alors, pour résoudre cette quadrature du cercle,
Michel Bousquet propose cette solution absolument géniale : il
n’y a qu’à pénaliser les entreprises qui utilisent des
machines capables de remplacer l’homme ! Pourquoi ne proposez-vous pas,
M. Bosquet, à votre directeur, de remplacer l’imprimerie du «
Nouvel Observateur » par quelques centaines de milliers de copistes
? Si un seul quotidien suivait ce bel exemple, le problème du
million de chômeurs serait résolu ! Mais est-ce bien là
ce que vous appeliez plus haut une efficacité supérieure
des investissements ?
Il est tout de même bien triste de voir que les économistes
de gauche, qu’a priori on estime plus libérés du carcan
de l’idéologie capitaliste que ceux du camp adverse, sont tout
aussi incapables de pousser leur raisonnement jusqu’à conclure
: puisque les moyens existent de faire faire par les machines les travaux
pénibles, il faut inventer un système économique
qui permette aux hommes ainsi libérés d’en profiter !
Partout on cherche à inventer, à innover, partout on veut
que l’imagination prenne le, pouvoir... sauf en économie ! Comme
le souligne M. Bosquet, les économistes du P.C.F. formés
à l’INSEE et dans les Grandes Ecoles sont tout aussi technocrates
que les autres et nous nous posons avec lui, mais aussi à propos
de lui-même, la question : ne serait-ce pas précisément
leur formation économique qui les égare ?
M. Bosquet soulève ensuite un autre problème
si l’on donne du jour au lendemain aux pauvres les moyens d’acheter
plus, leur demande, sur le marché, ne correspondra pas à
la production préparée pour les riches. Voilà une
remarque judicieuse. Quel dommage que son auteur ne soit pas allé
jusqu’à chercher la cause de cet écueil qu’il dénonce
: l’économie capitaliste fonctionne pour satisfaire les seuls
besoins SOLVABLES, elle n’est donc pas faite pour satisfaire ceux des
pauvres. C’est bien pour cela qu’elle ne peut pas être équitable.
Ses structures l’en empêchent. C’est bien en cela que démocratie
et capitalisme sont incompatibles. Et c’est pourquoi, Monsieur Bosquet,
il ne peut pas y avoir de vrai socialisme sans changement des principes
mêmes du système économique.
La question est clairement posée : la gauche est- elle prête
à l’entendre ?