La peau de chagrin
par
Publication : juin 1978
Mise en ligne : 3 septembre 2008
PENDANT longtemps, le marché de l’emploi a assez bien résisté à l’arrivée des ordinateurs, les techniques nouvelles créant de nouveaux emplois à mesure qu’elles en supprimaient d’autres. Mais cet équilibre est resté précaire et l’apparition de la micro-électronique va bientôt faire pencher la balance dans un sens défavorable aux travailleurs. Et d’abord aux travailleurs de l’industrie de l’électronique. La revue THE ECONOMIST du 4 mars 1978 raconte la triste histoire d’un fabricant de mini-ordinateurs qui a si bien réussi qu’il a dû quitter ses installations pour en prendre... de plus petites.
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REGARDONS plus en détail les progrès
de cette industrie. Sans augmenter ses effectifs IBM produit actuellement
10 fois plus de circuits intégrés qu’en 1970. En 10 ans,
ces circuits sont devenus cent fois plus puissants pour une même
taille. En Grande-Bretagne, alors que l’industrie électronique
est en plein essor, ses effectifs pont baissé de près
d’un cinquième depuis 1971.
La fabrication d’un ordinateur gros et cher (5 millions de francs, par
exemple) entraîne des frais élevés de conception
et de vente qui représentent les deux-tiers du prix de revient
de la machine et un bon nombre d’emplois. La production d’un mini- ordinateur
de 2 500 francs représente, par contre, les quatre cinquièmes
de son prix de revient, si bien qu’il ne reste qu’un cinquième
de frais annexes et donc moins d’emplois.
Actuellement, l’ordinateur est encore souvent enfermé au plus
profond du département informatique de l’entreprise mais il va
bientôt en sortir sous la forme de mini-ordinateurs qui vont envahir
l’atelier, le bureau et même la maison. C’est déjà
chose faite dans le domaine des calculatrices, des montres et des machines
électroniques qui ont été vidées des centaines
de pièces mécaniques que des ouvriers autrefois fabriquaient.
Le central électronique qui remplace progressivement le central
électro-mécanique se contente, pour sa construction, d’une
main-d’oeuvre réduite de 70 % environ. Ainsi, la filiale britannique
de ITT a pu diminuer ses effectifs de 20 % en 1976.
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D’AUTRES marchés vont être touchés
à leur tour. Celui des récepteurs de télévision
approche de la saturation et ne reprendra vigueur que si on lui demande
de construire en grand nombre des écrans de visualisation sur
lesquels Monsieur Toulemonde pourra, de son fauteuil, et à sa
demande, lire les cours de la Bourse, les résultats sportifs
ou des recettes de cuisine qu’une banque centrale constamment mise à
jour lui enverra.
Dans le domaine de l’automobile, le contrôle de la carburation
se fera électroniquement et le garagiste, à l’aide de
détecteurs, pourra, sans lever le capot, déceler les incidents
de fonctionnement. Tant pis pour les mécaniciens.
Les bureaux nu sont pas davantage à l’abri. Selon certains experts,
d’ici 1982, les deux-tiers des 500 premières industries américaines
seront dotées d’un système de courrier électronique
qui simplifiera leurs échanges d’information. Les machines à
écrire nouvelles, munies de mémoires magnétiques,
frappent toutes seules des textes préparés. Tant pis pour
les dactylos. La transmission par photocopie de documents à distance
devient chose courante et nos PTT veulent passer commande de un million
de ces appareils. A quoi servira donc le facteur ?
Les transports publics ou privés, et singulièrement ceux
à rentabilité élevée, pourraient bien souffrir
du dernier-né des télécommunications appliquées
à l’entreprise. Dans les grands centres urbains s’installent
des centres de conférence à distance. Plus besoin pour
un directeur de sauter dans l’avion ou le Mistral pour discuter avec
des collègues d’un problème quelconque. Il les verra sur
grand écran dans la salle de conférences, leur parlera
et la caméra viendra se braquer automatiquement (sans cameraman)
sur celui qui prendra la parole (voir l’article de J.P. Mon dans la
G.R. n° 751).
Les banques réduiront leur personnel lorsque les consommateurs
seront munis de cartes magnétiques comme celles qui leur permettent
déjà de retirer de l’argent dans les distributeurs. Ils
s’en serviront pour régler leurs achats et le commerçant,
à l’aide de son terminal, débitera leur compte et créditera
le sien.
Dans certains supermarchés, une machine à rayon laser
lit le prix des articles achetés, établit la note à
payer, tient le stock et passe les commandes de réassortiment.
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QUI ne voit que ce progrès ne peut que diminuer le nombre des emplois ? II faudra bien que les gouvernements réagissent, par exemple, en réduisant fortement le nombre d’heures de travail s’ils veulent que chacun ait un emploi. Autrement, ils devront verser des indemnités de chômage de plus en plus lourdes pour la collectivité des actifs. Ils pourront également se lancer dans une fuite en avant en stimulant la production de biens peu ou pas utiles. Ce qui leur permettra de tenir encore quelque temps. Mais, un jour prochain, il faudra bien qu’ils acceptent de revoir tout le problème. L’Economie Distributive s’impose.