La transition écologique, alibi ou réalités ?
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Publication : février 2019
Mise en ligne : 25 mai 2019
Dans un précédent article de La Grande Relève, Du bon usage de l’écologie, André Bellon pose une très bonne question : nos dirigeants et leur politique sont ils aptes à faire face au défi de notre monde ?
— Je serais tenté de répondre par la négative.
La transition écologique (ou énergétique) est un concept vague, un peu rassurant. Il laisse penser que nous avons un mauvais moment à passer mais qu’un avenir meilleur nous attend, pour peu que l’on consente aujourd’hui à un minimum d’efforts. À condition aussi de ne pas se tromper sur les directions à prendre. D’abord imaginer que le monde de la fin du XXIème siècle sera différent du nôtre, aboutissement d’une trentaine de siècles de “civilisation” pendant lesquels, en dépit de multiples catastrophes, de terribles injustices, de conflits meurtriers, la situation des hommes s’améliorait de siècle en siècle. La population mondiale croissait lentement, la nature était inépuisable, la science progressait, la durée de vie s’allongeait.
Nous n’en sommes plus là et les indices positifs sur l’avenir de l’humanité sont rares. Alors vers où aller ? Les orientations sont multiples et contradictoires. Les inégalités règnent partout, et, en même temps, la pauvreté absolue est en régression, la mondialisation détruit beaucoup de nos activités, mais certaines solidarités apparaissent. Bon an, mal an, la démocratie progresse, même si certains retours en arrière sont inquiétants.
La dernière guerre mondiale est derrière nous depuis 70 ans et si s’expriment encore bien des rodomontades et perdurent des conflits insupportables, les boucheries inhumaines comme celles dont nous venons de fêter le centenaire sont devenues peu probables.
Et pourtant, nos inquiétudes de l’avenir vont croissant. Les réseaux de communication ont transformé toutes nos existences. Nos relations avec le monde sont bouleversées : nous avions peur de la nature, elle avait toujours raison sur nous, et voilà que notre propre capacité à la détruire nous effraie.
Le réchauffement terrestre et ses probables conséquences dramatiques représentent l’image la plus prégnante de cette inquiétude Nous ignorons l’amplitude, la localisation et la date du désastre ; nous savons seulement qu’il proviendra de l’usage effréné des combustibles carbonés, perpétué depuis à peine deux siècles.
Les plus optimistes se bercent de l’idée que le soleil nous envoie en permanence 10.000 fois la quantité d’énergie dont nous avons besoin. Energie que la terre renvoie dans le cosmos, mais avec de plus en plus de difficultés au fur et à mesure qu’augmente la concentration en CO2 dans l’atmosphère. Mais comment récupérer une partie de cette énergie solaire, inépuisable à l’échelle de l’humanité ?
Chaque pays tente de s’en sortir avec des solutions plus ou moins imaginatives.
En France, nos gouvernements successifs s’intéressent officiellement à la transition énergétique et les tentatives se multiplient pour faire semblant d’agir. Les pouvoirs publics se bornent, le plus souvent, à se fixer des objectifs, mais les gestes efficaces se décalent d’année en année. Devant l’imminence de la catastrophe, se multiplient les décisions contradictoires, les solutions partielles, les bonnes intentions.
Toutes soumises à des contraintes financières manipulées par des lobbys puissants, soucieux avant tout de leurs profits à court terme.
La France est gérée par un ministère des finances dont toutes nos actions dépendent. Les ministères dits techniques, souvent très ignorants des conditions de mise en œuvre de leurs propres prescriptions, s’imaginent qu’obtenir un budget plus conséquent que l’année précédente sera suffisant. Ils s’étonnent ensuite de constater que leurs objectifs ne sont pas atteints et que les sommes difficilement obtenues auprès de Bercy ne sont même pas toujours dépensées.
Les affectations budgétaires sont sous-tendues par quelques grands objectifs devenus consensuels dans l’opinion publique. Le plus évident étant l’imminence du réchauffement terrestre, et donc la réduction de l’usage des combustibles fossiles. Il faut donc faire des économies d’énergie et promouvoir les énergies renouvelables. La France a un atout puissant, la part importante du nucléaire dans la production d’électricité (75%), elle lui permet de limiter ses émissions de gaz carbonique. Nous en sommes à moins de 4 tonnes par an et par habitant, proche de la moyenne mondiale, très loin des émissions des Etats-Unis (12 tonnes/hab./an). Si la population mondiale restait stable, ce qui est peu probable, la biosphère et les océans seraient capables de recycler environ 2 tonnes/hab./an. Pour en rester à ces ordres de grandeur, il nous faudrait donc diviser au moins par 2 notre consommation d’énergie, en premier lieu celle des énergies fossiles.
Mais comment s’y prendre ?
Les plus avisés de nos dirigeant connaissent en gros les deux domaines les plus consommateurs d’énergie : les logements et les transports, mais peu imaginent que bien d’autres sont concernés : la production de biens matériels, la mutation du travail, la nature, l’usage et la répartition des équipements publics, l’agriculture… C’est tout notre quotidien qui devrait en être transformé.
L’exemple du logement
Le cartésianisme français nous pousse à croire qu’en prenant chaque problème l’un après les autres on parviendra à la bonne solution. C’est évidemment faux. Prenons l’exemple du logement. On s’insurge avec raison sur l’abondance des “passoires thermiques” qui plombent toutes nos consommations. Alors on invente des dispositifs complexes pour distribuer des aides : à l’amélioration de l’isolation thermique, au changement des vieilles chaudières, à la promotion des pompes à chaleur. Le tout soumis à des procédures restrictives pour éviter les “effets d’aubaine”, si savantes que personne n’y comprend plus rien, et que les crédits, durement acquis auprès de Bercy, n’aboutissent pas toujours aux résultats escomptés.
D’après un rapport de l’ADEME cité par la revue Que Choisir, 32% des habitations individuelles ont déjà fait l’objet de travaux d’isolation thermique entre 2014 et 2016, mais peu ont permis une amélioration sensible : « Seules 25% ont fait gagner au moins une classe de DPE (Le diagnostic de performance énergétique) et à peine 5% ont permis un gain de deux classes ou plus ».
Tout ce système de subventions laisse une charge trop élevée à la majeure partie des ménages dont le pouvoir d’achat est trop limité.
Faut-il d’ailleurs le regretter ? Car ces travaux portent sur des logements souvent mal adaptés aux impératifs du XXIème siècle, et dont ils renforcent malheureusement la pérennité.
La majorité des logements que nous habitons ont été construits à une époque où les ménages comportaient en moyenne trois personnes, et la France, moins de 50 millions d’habitants. Nous sommes maintenant plus de 65 millions avec seulement deux personnes, en moyenne, par ménage. Il faut donc beaucoup plus de logements, quitte à ce qu’ils soient un peu plus petits. Dépenser de l’argent public pour rénover des structures périmées n’est donc peut-être pas très opportun. Ne vaut-il pas mieux en profiter pour rénover nos structures urbaines : les densifier par endroits, pour mieux les desservir en transports en commun, concevoir des immeubles énergétiquement neutres, faciliter la fréquentation d’équipements publics, tenir compte de l’évolution des relations entre le domicile et le travail.
Car ,sans rentrer dans les détails, il est évident que toutes les grandes métropoles sont engluées matins et soirs dans des embouteillages massifs, lourds consommateurs d’énergies fossiles, engendrés par les migrations quotidiennes.
Un des moyens d’y remédier consisterait à favoriser le télétravail, l’usage des réseaux d’informations étant quasi généralisé dans beaucoup de professions, la proximité physique permanente dans un même lieu devient peu utile. Malheureusement, l’idéologie soupçonneuse d’une grande partie du patronat français le conduit à ralentir toutes les expériences. Les systèmes hiérarchiques traditionnels, fondés sur un contrôle constant des collaborateurs, deviennent en effet inopérants.
Malgré ces réticences l’avancement du télétravail est en route et quelques incitations publiques pourraient le favoriser. Mais il s’adapte mal à la conception actuelle de nos logements et une pièce de plus dans les logements serait utile.
Rapprocher lieux de travail et lieux de résidence serait une autre piste. Elle a été tentée dans les villes nouvelles où l’équilibre entre habitat et emplois était l’un des objectifs. Malheureusement, on avait négligé la faible mobilité résidentielle en regard de celle des emplois. En même temps, l’accession à la propriété était favorisée aux dépens de la location, ce qui n’a pas non plus facilité la mobilité ; les migrations alternantes n’y ont donc pas trouvé leur compte.
Toutes ces constatations ne sont pas nouvelles, et de multiples rapports y font allusion. Le dernier fut le rapport Borloo [*] et on se souvient de la manière expéditive dont il a été reçu par Emmanuel Macron. La question qui paraît vitale oblige à choisir entre la poursuite d’un système incapable d’assumer une vraie transition, et l’opportunité de refonder l’organisation physique de notre société.
Les transports et les déplacements
C’est un domaine où les actions publiques ne sont pas non plus à la hauteur de l’enjeu énergétique. Comme le logement, les transports consomment une part importante de notre énergie. Celle-ci est en grande partie tributaire des combustibles carbonés. Jusqu’à maintenant l’essentiel des économies ont été obtenues à partir d’améliorations techniques des moteurs à combustion interne. Mais, là encore, bien des dispositions ont été prises sans vision à long terme.
On a pris l’habitude de se déplacer sans retenue, et surtout de transporter des marchandise. Dans tous les modèles de fabrication industrielle, le faible coût de l’énergie a conduit à une dispersion des lieux de production. La plupart de nos produits élaborés ont déjà fait un tour du monde au moment de leur distribution !
Cette pratique, qui semble établie pour encore longtemps, pourrait bien cependant évoluer. D’une part en raison d’une robotisation progressive qui rend caduque la concurrence entre les lieux de production. Concurrence fondée sur le coût de la main d’œuvre. Mais le transfert du travail vers l’outil, lui-même fondé sur le capital, a déjà commencé.
Tout ceci pour prouver que les problèmes de transport n’auront pas de solution sans vision politique de l’économie, vision qui devra être fondée sur d’autres critères que la loi du marché.
La vision du chef de l’État, orientée en priorité sur la recherche d’emplois, risque fort d’être sans avenir. Si l’ensemble des activités de production détruit progressivement des emplois, ceux liés directement aux transports disparaîtront aussi. Les véhicules “autonomes” se généraliseront à court terme et rendront inutiles certaines professions. Il est illusoire d’espérer régler la transition énergétique liée au transport sans avoir conscience de cette mutation.
Ne chercher les solutions que dans la fiscalité nous conduira à une impasse dont l’écotaxe est une illustration.
De même, l’idéologie de la concurrence conduit à de fausses solutions, alors qu’elle est cependant bien ancrée dans les milieux managériaux. L’exemple le plus typique est la substitution de cars routiers à une partie du trafic ferré de voyageurs. La concurrence entre compagnie n’a pas été très probante, car plusieurs sont en difficulté après quelques mois de fonctionnement.
Le bilan énergétique de cette expérience est mauvais : un car consomme environ 3 fois plus d’énergie par km-passager qu’un TGV.
Si son prix de vente est plus faible, cela tient en grande partie au fait que les cars ne financent pratiquement pas l’entretien des routes !
De même, le transport des marchandises par camion consomme environ 3 à 4 fois plus d’énergie que le transport ferré.
Et pourtant les poids lourds absorbent 90% du trafic de marchandises !
La gestion du système ferroviaire français est un modèle d’incohérence. Tout a été fait depuis 30 ans pour casser le service public, sous prétexte de l’ouvrir à la sacro-sainte concurrence. Le démembrement de la SNCF en multiples filiales coûte très cher. Le syndicat Sud-rail estime que le coût des transactions inter-filiales, voire des contentieux internes, équivaut, depuis le démantèlement de la SNCF, à la dette d’une trentaine de milliards, qui grève son budget et la rend si peu compétitive par rapport aux transports routiers.
L’indifférence de l’État vis-à-vis de l’optimisation énergétique des transports rend à peu près inutiles toutes les mesures fiscales ou réglementaires prises un peu au hasard, puis retirées en hâte sous la pression contestataire de tels ou tels usagers de la route. Les exemples en sont multiples.
Les énergies renouvelables
Alors bien sûr, les énergies renouvelables doivent prendre le relais des énergies carbonées, mais lesquelles et à quel prix ? Ce n’est pas le lieu de les évoquer toutes ici. Le Programme Pluriannuel pour l’Énergie (PPE) en donne un aperçu assez complet : les énergies solaires, photovoltaïques, thermiques et marines, la méthanisation, le biogaz…
On y trouve cependant, assez peu évoquée, la cogénération (c’est par exemple ce que nous faisons quotidiennement dans les voitures en utilisant le refroidissement du moteur pour chauffer l’habitacle) qui permettrait pourtant, dans certaines conditions, de récupérer beaucoup de chaleur à basse température, actuellement perdue dans les rivières, la mer ou l’atmosphère.
Mais beaucoup de ces énergies renouvelables ont des conséquences économiques et environnementales difficilement contournables.
Les parcs éoliens en sont un bon exemple.
Le vent est gratuit, mais pas les éoliennes. Compter sur lui est un peu illusoire, car il est intermittent et ne fonctionne guère qu’un cinquième du temps. Le relais doit donc être pris par d’autres moyens. L’Allemagne avait choisi le charbon, la pire des solutions pour s’affranchir du danger de l’effet de serre. Elle tente d’y renoncer. En France nous avons encore le nucléaire qui prend en partie le relais, combiné avec les quelques centrales thermiques qui demeurent en service.
Pour développer l’éolien, l’État a dù mettre en place des compensations économiques invraisemblables dans un système qui se dit libéral. Le prix de production des éoliennes est encore deux à trois fois plus élevé que celui du marché. Les usagers du réseau électrique sont donc contraints de payer la différence sous forme d’une contribution attachée à leur consommation.
Cette manne financière a attiré les requins alléchés par l’odeur de l’argent. Des sociétés se sont créées pour écumer les emplacements venteux susceptibles d’accueillir des parcs éoliens. Car l’affaire est très rentable. Une éolienne s’amortit en trois à quatre années et elles sont prévues pour fonctionner entre quinze et vingt ans. Au bout de cinq ans la quasi totalité des gains appartient à l’opérateur privé. Il touchera ainsi une rente pendant une dizaine d’années, pratiquement sans frais. Comme ces opérateurs sont souvent étrangers, cela revient à faire payer leur profit par les consommateurs français, au grand dam de notre balance commerciale.
Huit mille éoliennes sont déjà installées en France, pour une production relativement modeste, au plus 3 à 4% du total de nos énergies utilisées. Le PPE en prévoit six ou sept mille de plus dans les années qui viennent. Mais le désastre environnemental est déjà avéré. Une partie non négligeable du territoire rural est déjà affecté et les refus de parcs nouveaux sont de plus en plus fréquents.
La transition est-elle possible dans le respect des institutions ?
Ces refus illustrent bien le dilemme auquel le pouvoir est confronté. La transition énergétique a un coût économique et environnemental difficile à faire accepter. D’autant plus qu’il est très inégalitaire. Les économies se traduisent souvent par une perte d’efficacité des services publics. On les raréfie dans les territoires ruraux, au profit des grandes métropoles. Les petites gares et les lignes secondaires sont fermées. Les grandes infrastructures lacèrent les paysages ruraux sans les desservir. Les énergies nouvelles s’accompagnent d’équipements de nature industrielle, construits au moindre coût sans aucun souci esthétique. Le pire étant les éoliennes, facilement acceptées par les habitants des grandes villes qui en sont loin, mais difficiles à supporter pour les ruraux. Il suffit de constater l’impact environnemental de machines de plus de 200 mètres de hauteur situées à 500 mètres des habitations, génératrices de bruit, d’infrasons, d’acouphènes, de perturbations mentales, de vertiges…
Cette accumulation de mal-être de toutes natures, assortie de mesures fiscales, en apparence minimes, mais dont l’accumulation sur une population relativement peu nombreuse, conduit aux désordres que nous constatons.
Pour que quelques individus acceptent de passer des nuits entières sur les routes, dans le froid, la pluie, la fatigue pour tenter de se faire entendre, il faut que l’exaspération ait atteint des limites insupportables. Pour certains qui n’ont plus rien à perdre, la violence devient alors le seul recours.
Devant cette contestation le pouvoir réagit dangereusement. Persuadé de détenir les clés de l’intérêt général, il tente à la fois d’amadouer les contestataires et, en même temps, de limiter leurs possibilités de recours légaux.
On instaure le “grand débat” (dont l’avenir dira s’il est vraiment sincère)… tout en mettant en place des dispositions peu compatibles avec l’esprit de nos institutions ! Nos républiques, depuis qu’elles existent, ont toujours respecté le principe de la séparation des pouvoirs, en particulier du judiciaire et de l’exécutif, chère à Montesquieu.
Or la loi dite “anticasseurs” permet aux préfets, représentants de l’exécutif, de juger et de priver de certaines libertés, alors que ces interventions devraient rester de manière intangible du domaine du pouvoir judiciaire.
En matière d’éoliennes, devant la difficulté de les faire accepter par les populations locales, le pouvoir s’affranchit des procédures normales : les permis de construire ne sont plus nécessaires, les possibilités de recours sont détournées, voire supprimées, les enquêtes publiques sont instruites par des commissaires enquêteurs sous la dépendance des préfets. En fin de compte ces derniers ont tout pouvoir de décisions sans aucun recours possible.
Cela peut paraître anecdotique, mais quand un pouvoir remet en cause, même de façon marginale, le principe absolu de la séparation des pouvoirs, il s’engage dangereusement sur la voie de la dictature, et il est regrettable que la transition énergétique en devienne un prétexte.
[*] Voir Le rapport Borloo, avancée ou faux espoir ? dans GR 1199.