Le chômage est bon pour la santé…
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Publication : avril 2003
Mise en ligne : 18 novembre 2006
Un haut dirigeant du Groupe Toyota, le responsable de ses filiales à l’étranger, Kosuke Shiramizu, vient de rendre un hommage appuyé à sa main d’œuvre française, une élégante façon de critiquer du même coup celle d’autres pays. Trop grassement payés, les ouvriers américains auraient perdu le goût de l’effort. Et les Britanniques seraient globalement peu performants.
Il souligne en particulier que l’usine Toyota de Valenciennes, inaugurée en 2001, a d’ores et déjà une productivité de 20% supérieure à celle de son homologue britannique plus ancienne.
La raison de cet exploit lui est apparue de façon lumineuse : « En France, il y a beaucoup de chômeurs, c’est pourquoi ceux qui ont un emploi ont tendance à travailler plus dur. »
Merveilleux effet du chômage, qui évite que les gens soient trop grassement payés comme en Amérique, ou que, comme en Angleterre, ils se laissent aller. Si cela permet d’augmenter la productivité de 20% tout en payant la main d’œuvre moins cher, on peut bien sûr, sans trop de difficultés, accorder une modeste allocation de survie aux quelque 8 ou 10% de chômeurs qu’il semble nécessaire de posséder en stock pour obtenir ce résultat.
Vu sous cet angle, le chômage est une richesse qu’il convient d’entretenir.
Parues dans le quotidien britannique Financial Times, ces confidences n’ont pas été du goût des syndicats britanniques. Pourtant, ils auraient pu se sentir moins blessés en découvrant dans la même interview que M. K.Shiramizu n’était guère plus tendre vis-à-vis de ses compatriotes, et faisait le constat que les Japonais eux-mêmes commençaient à s’amollir : « Ils passent leur temps à traîner et ne sont plus disposés à travailler autant qu’avant. » Espérons pour lui que les syndicats britanniques n’ont pas de filiales au Japon et ne reçoivent pas là-bas le Financial Times.
Ces intéressants propos nous étaient relatés en première page du Monde, dans son numéro daté du 5 mars, où les journalistes qui ne sont que journalistes continuaient à accomplir leur remarquable travail d’information sur tous les sujets, sauf un peut-être, celui du récent livre à scandale consacré aux activités extra-journalistiques de leur direction, sur lesquelles il valait mieux se montrer moins curieux.
Ces propos n’avaient pas échappé non plus au Canard Enchaîné du 12 mars, très étonné que ce patron japonais n’hésite pas à dire tout haut ce que notre baron Seillière a la prudence de penser tout bas. Mais nous avons nous aussi nos gaffeurs, tel Denis Jeambar lorsqu’il avait dénoncé dans L’Express une différence d’espérance de vie de cinq à sept ans entre fonctionnaires et salariés du secteur privé [1].
[1] GR 1027, décembre 2002.