Un siècle perdu ?
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Publication : avril 2003
Mise en ligne : 18 novembre 2006
Malraux aurait, dit-on, prophétisé : « le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas ». Est-ce qu’au contraire ce siècle serait sur le point de se perdre parce qu’il est dirigé par un nombre croissant d’acteurs politiques “illuminés” par des religions diverses ? Au Moyen-Orient, les fondamentalistes musulmans ont lancé Ben Laden et ses troupes à l’assaut du monde occidental, les intégristes israéliens cherchent à anéantir les Palestiniens ; aux États-Unis, le président Bush fait toujours commencer les Conseils des ministres par une prière, il organise fréquemment à la Maison Blanche des petits déjeuners de prières et prêche inlassablement la croisade du Bien contre le Mal ; l’Europe elle-même n’est pas épargnée : au Royaume-Uni, Tony Blair est le Premier ministre britannique le plus religieux depuis William Gladstone, il croit aux “guerres justes“ et il a déclaré en 1993 : « J’adhère à une religion dure. Elle implique de porter des jugements sur la condition humaine. Il y a le vrai et le faux, le bien et le mal ». Alors que l’Archevêque de Cantorbéry et les dirigeants de l’Église anglicane estiment qu’une action militaire contre l’Irak, dans les conditions fixées par Washington, ne serait ni moralement, ni théologiquement une “guerre juste”. C’est cette opinion que partagent unanimement les grandes Églises : regroupées dans le Conseil œcuménique de Genève, les Églises protestantes, anglicane et orthodoxes ont déclaré qu’envisager une guerre préventive comme « un moyen de modifier le régime d’un État souverain » est un acte immoral ; les évêques catholiques des États-Unis, du Canada, d’Europe et d’Australie ont appelé leurs fidèles à prier pour la paix en estimant que si le régime de Saddam Hussein est une menace pour la population de son pays et la paix dans la région, une intervention militaire unilatérale n’est pas la réponse appropriée ; le Pape, enfin, rappelant que la guerre est toujours « une défaite pour l’humanité », a supplié les Américains d’éviter le recours à la force.
Mais ce “front” international des Églises, pas plus que les innombrables manifestations contre la guerre, partout dans le monde, y compris aux États-Unis, n’ont pu dissuader Bush et sa clique de se lancer dans une aventure qui met en péril le sort de millions de personnes sur la planète.
Pourquoi ?
— Parce que les “évangéliques”, dont Bush est très proche, soutiennent maintenant une théorie dite de la “guerre préventive”. Ce sont des chrétiens “conversionnistes” qui soutiennent les éléments les plus radicaux de l’Administration Bush, qui prêchent la conversion des musulmans et des juifs et sans faires dans la dentelle : chef de la Southern Baptist Convention (16 millions de membres), Falwell n’a pas hésité à la télévision à qualifier Mahomet de “terroriste” et l’un de ses proches, le pasteur Vines, a surenchéri en le traitant de “pédophile possédé du démon”.
Ce n’est pas nouveau : depuis les années 1950, ces milieux fondamentalistes ont toujours influencé les gouvernements américains [1]. Mais ils n’avaient jamais acquis un tel pouvoir, jusqu’à ce que G.W.Bush, sorti grâce à eux de l’alcoolisme dans lequel il avait sombré, soit devenu Président. Ajoutez à ce néo-messianisme la défense des intérêts des milieux pétroliers et du complexe militaro-industriel qui l’ont porté au pouvoir, et vous avez tous les ingrédients de l’agression de l’Irak.
Lockheed Martin (États-Unis) | 23 |
Boeing (États-Unis) | 19 |
BAE Systems (Grande Bretagne) | 14 |
Raytheon (États-Unis) | 12 |
Northrop Grumman (États-Unis) | 9 |
General Dynamics (États-Unis) | 7 |
Thales (France) | 5 |
EADS (UE) | 4 |
TRW (États-Unis) | 4 |
United Technologies (États-Unis) | 3 |
Et, pour comparer, les sommes estimées nécessaires :
pour éliminer du monde famine et malnutrition | 19 |
pour assurer à tous l’accès à l’eau potable | 10 |
pour assurer à tous la santé gratuite et lutter contre le sida | 21 |
pour contrôler les naissances | 10 |
pour éliminer l’illétrisme | 5 |
pour prévenir l’érosion des sols | 24 |
mais le système capitaliste n’y trouve pas sa rentabilité…
[1] ARTE, Les mercredis de l’Histoire : Dieu protège l’Amérique, 19 et 26/3/2003.