Les deux fonctions sociales majeures
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Publication : février 1994
Mise en ligne : 13 décembre 2005
Jacques Derrida, grand philosophe français de renom, vient de faire paraître aux Editions Galilée un essai, sous le titre Spectres de Marx.
Dans ce livre que son auteur lui-même déclare intempestif, c’est de la réhabilitation d’une certaine pensée de Marx qu’il s’agit.
Au haut de la p.36 de l’Essai, il est écrit textuellement Pas d’avenir sans Marx. Il faut ajouter, pour bien traduire la pensée de l’auteur, sans un certain Marx, car l’auteur croit qu’il y a plusieurs Marx.
Jacques Derrida efface une honte, celle d’une Intelligentsia occidentale quasi-unanime qui, depuis trois ans, proclame sans état d’âme :« que le communisme est mort et qu’il n’y a donc pas d’alternative à l’économie libérale capitaliste de marché. »
Je tiens à rappeler, qu’à mon point de vue, le maître-concept de la pensée marxienne est celui de l’homme générique, l’homme qui, tout au début de la société humaine, du fait du faible développement des forces productives, associait tout naturellement son travail individuel à celui des autres membres de sa communauté, sans la médiation de l’Argent.
L’objectif fondamental que doit réaliser la Révolution, aux yeux de Marx, c’est de transformer les hommes aliénés et déshumanisés de la société devenue antagonique, en hommes génériques capables, consciemment cette fois, de récupérer toutes les forces individuelles retranchées d’eux, sous l’aspect de la force politique et de transformer toutes ces forces individuelles récupérées, en forces sociales de solidarité et de fraternité. L’Homme générique doit pouvoir de nouveau associer son travail individuel à celui des autres membres de sa communauté, sans la médiation de l’Argent-capital.
Faire la Révolution selon Marx, c’est donc essentiellement faire disparaître le salariat, l’achat et la vente de la force de travail.
Toute société humaine se ramène à deux fonctions sociales fondamentales : la fonction de production et la fonction de consommation. Cette dernière fonction, le mode de production capitaliste est incapable de la garantir suffisamment et continuement et c’est ce qui provoque les crises périodiques de récession. Mais comment accomplir, dans la nouvelle société planétaire post-capitaliste future, la fonction de consommation, si le travail n’est plus rémunéré ?
Le plus simplement et le plus logiquement du monde. Voici : le montant total annuel de la valeur des richesses produites par le travail collectif étant connu, la société met en circulation, aux mains de tous les individus existants - travailleurs et non travailleurs - un montant total annuel de crédits de consommation correspondant. A la base, il y a un crédit individuel minimum social de consommation octroyé aux individus sans formation et sans qualification.
[*] Ce crédit individuel minimum social de consommation, suffisamment important pour permettre une vie aisée, est multiplié un certain nombre de fois, selon la formation et la différente qualité sociale de chaque travail individuel. Les capitalistes propriétaires des grands moyens collectifs de production sont expropriés sans indemnité. Toutes les entreprises de production et de services sont dévolues en nue-propriété cédée gratuitement à tous ceux qui les font fonctionner en commun. Pour leur création, leur fonctionnement et leurs investissements, les entreprises coopératives de production ou de services reçoivent de la société, des crédits, dont elles ne sont tenues de rembourser que les trois quarts. Elles ne sont pas autorisées à réaliser de bénéfices inutiles. Elles fixent librement leurs prix dans les limites du crédit qu’elles ont à rembourser au plan des seules écritures comptables. Elles demeurent en concurrence positive entre elles, ce qui est un facteur de créativité.
Le salariat est supprimé. La monnaie réelle circulante thésaurisable, ayant une valeur, disparaît. La classe capitaliste exploiteuse et la classe salariée exploitée, disparaissent. La société est devenue non-antagonique et le rôle de l’état n’est plus de gérer les intérêts dominants.
Sur la base matérielle des nouveaux rapports de production socialistes, puis communistes, l’action de chaque conscience individuelle sur elle-même, peut enfin parvenir progressivement à réaliser le stade ultime de l’émancipation humaine : la recréation de l’homme générique restitué à son humanité et à la fraternité, dans une démocratie réelle et une liberté réelle, dans les seules limites de la nécessité.
[*] NDLR. Ce paragraphe n’engage que son auteur.