Mais pourquoi le minimum ?

Éditorial
par  M.-L. DUBOIN
Publication : juillet 1985
Mise en ligne : 13 mars 2009

Une évolution certaine se manifeste. Que ce soit l’échec de la reprise américaine ou la prise de conscience que la modernisation des entreprises ne permettra sûrement pas de retrouver le plein emploi pour tous, l’opinion reconnaît enfin, quelques dizaines d’années après nous, que le chômage est un fait structurel. Et que, par conséquent, à moins de refuser aux chômeurs le droit de vivre, il faut trouver les moyens d’assurer la survie de tous ceux dont le travail n’est plus nécessaire à la production. C’est un grand pas qui est franchi puisqu’il y a encore trois ou quatre ans, quand on osait se préoccuper du sort des chômeurs et des futurs chômeurs, on s’entendait couramment répondre que ces paresseux n’avaient qu’à chercher du travail...
Mais c’est le moment d’être très clairs et très fermes dans nos propositions. En effet, alors même que les perspectives électorales feraient croire que les partis politiques fourbissent leurs armes pour s’opposer, on assiste en fait à un véritable consensus, la droite et la gauche se retrouvant parfaitement d’accord sur un point : il faut sauver la société capitaliste à tout prix. Et comme le problème du chômage la met en danger, il faut accepter l’idée d’un revenu minimum de survie afin d’en atténuer les effets les plus scandaleux. Cette convergence de partis opposés a été soulignée récemment dans « l’événement du jeudi » (du 9 au 16 Mai) : un article sur le chômage mettait en relief précisément le fait que deux députés proposent la même solution  : J-M Belorgey (P.S., Allier) après avoir défini le chômage, « sanction non pas de la paresse mais de la non performance » et déploré « les trous de la protection sociale  », propose « d’introduire dans la politique sociale la notion de revenu minimal garanti » ; A. Zeller (U.D.F., Bas-Rhin), devant la réduction de l’assistance, suggère la création « d’un revenu minimum d’existence » et l’introduction de « la notion d’handicapé social ». Plus concrétement, dans l’Ille-et-Vilaine, le mouvement ATD-Quart Monde, avec l’aide de la Caisse d’Allocations Familiales, garantit, en 1985, un revenu minimum (3292 F mensuels pour un couple avec un enfant) à 130 familles. Mieux : à Nîmes, le Conseil Municipal (le maire Cacharel) décide de prélever sur son budget les fonds nécessaires pour verser un minimum (2700 F) à tous les sans-ressources de la ville. Ce consensus est tel que les chômeurs eux-mêmes font chorus, tout au moins ceux que mène M. Pagat, puisque c’est les 2/3 du SMIC qu’ils réclament !
Tout en nous félicitant de cette prise de conscience des besoins vitaux de ceux que le monde échangiste rejette, nous devons souligner qu’assurer ce qu’on appelait naguère un « minimum vital  » n’est qu’une mesure destinée à maintenir le système capitaliste et non pas l’amorce de l’économie distributive. Elle a, certes, l’avantage de montrer que notre époque voit se produire une véritable révolution en matière financière  ; révolution énorme, en ce sens qu’il n’y avait, depuis des siècles, que deux façons légales de se procurer de l’argent : vendre sa force de travail ou placer un capital pour qu’il rapporte un intérêt. Et on constate qu’au XXe siècle, il a fallu en inventer un troisième : des revenus doivent maintenant être distribués sans contrepartie, ni contre un travail, ni contre un intérêt. Cette troisième source de pouvoir d’achat, à laquelle on commence à donner le nom de revenu social, représente déjà environ 40 °7o du revenu des ménages. Et devant l’essoufflement des deux autres, nous disons que la troisième est appelée à les remplacer, permettant ainsi l’organisation d’une économie des besoins.

Mais tant que ces distributions resteront une aide versée à une certaine catégorie de gens, placés ainsi en position d’assistés, elles ne seront qu’une caricature de l’économie distributive. Ces aides sont un moyen d’amener ceux dont la production n’a pas besoin à survivre dans la misère, alors que c’est l’abondance que cette production serait capable de distribuer. C’est cette énormité, absurde, qu’il faut dénoncer. Proclamons-le bien haut, même si nous sommes encore les seuls, même si aucun parti politique n’est en mesure de comprendre, même si nous ne sommes pas compris des syndicats, même pas par celui des chômeurs : notre époque est révolutionnaire parce qu’il n’est plus nécessaire de prendre aux uns pour donner aux autres ; nous possédons les moyens de produire de façon à distribuer à tous un MAXIMUM vital ! Et il n’y a pas à s’entretuer pour cela...