Des chômeurs dans la rue
par
Publication : juillet 1985
Mise en ligne : 13 mars 2009
Le Syndicat des Chômeurs a décidé de « descendre dans la rue », pour défiler, pacifiquement, le 30 mai, de la République à la Bastille - deux symboles - et de clamer, sur leurs banderolles aussi bien que dans leur mensuel « Partage » (tiré pour la circonstance à 100.000 exemplaires) leurs légitimes revendications, leurs angoisses, leurs droits, leur appel à la solidarité. Nous avons déjà, dans la Grande Relève, signalé et dénoncé la « situation » faite aux chômeur.
« Partage » donne des précisions effarantes (source : étude CFDT de fin 1984) :
- 998.806 chômeurs touchent une allocation de
base dont le montant moyen est de 3.400 frs, donc inférieur au
SMIC ;
- 551.406, en fin de droits, touchent 42 F 40 par jour, soit, 1.242
F par mois ;
- Les autres - environ 1 million - ne touchent rien (c’est à
peu près le chiffre donné par Krasucki à la télévision
et que nous avions repris dans la G.R.).
André Bergeron, qui n’est pourtant pas un «
dur », déclarait le 26 avril dernier : « Il y aura
un grand clash social, tôt ou tard, si le gouvernement et le patronat
n’apportent pas de solution aux problèmes du chômage. Pas
besoin de sortir de l’ENA pour comprendre cela (...) Ça peut
partir n’importe où, n’importe quand. » Il vient de récidiver
à l’occasion de la manifestation du 30 mai... et du match de
la Coupe d’Europe à Bruxelles. Pour lui, le chômage crée
un risque d’explosion similaire. Face à cette réalité,
le gouvernement a enfin pris de nouvelles mesures en faveur de l’indemnisation
et de l’insertion des chômeurs :
- le « bénéfice » des TUC sera étendu
eux jeunes de 22 à 25 ans, demandeurs d’emploi depuis plus d’un
an ;
- l’allocation spécifique de la solidarité versée
par l’Etat sera augmentée de 50 % ce qui ne fait guère
que 1935 francs par mois !) ;
- le minimum de ressources des chômeurs âgés de plus
de 57 ans et ayant travaillé plus de dix ans sera porté
à 2580 francs par mois. Enfin, un crédit de 500 millions
de francs a été ouvert pour lancer en 1985-86 un programme
de lutte contre la précarité et la pauvreté.
C’est mieux que rien, mais c’est une aumône indigne
d’un pays industrialisé qui doit et peut assurer à tous
un revenu décent.
Ce qui est intéressant, c’est que, dans le n° de «
Partage » distribué à la manifestation, on trouve
quelque parfum de nos analyses :
« Les mutations technologiques en cours démontrent en effet qu’il n’y aura plus jamais assez d’emplois à plein temps
pour toute la population en âge de travailler. Il faut donc réaliser
une réduction programmée de la durée du travail,
et, dans l’immédiat, passer aux 35 heures. Avec une compensation
salariale intégrale pour les bas salaires car il ne s’agit pas
de partager la misère. Le chômage est devenu aujourd’hui
un phénomène massif, structurel et de longue durée.
Il disloque le monde du travail, suscite de nouvelles et profondes inégalités
sociales et tend à créer une nouvelle classe de marginalisés
et d’exclus. Une économie dualiste s’instaure donc, avec son
élite privilégiée de travailleurs permanents et
ses masses flottantes de travailleurs précaires, de chômeurs
totaux ou partiels, mal on non indemnisés. »
Et dans le courrier des lecteurs, un chômeur lance un rappel au
gouvernement « socialiste » :
« L’article 23 de la Déclaration Universelle des Droits
de l’Homme dans son alinéa 1 spécifie clairement ce droit
fondamental : Toute personne a droit au travail, au libre choix de son
travail, à des conditions équitables et satisfaisantes
de travail et à la protection contre le chômage. »
***
Nous avons signalé, dans un précédent
article sur le chômage, qu’en France, en 1984, avec une production
en hausse de 2 °/« , le nombre des chômeurs avait augmenté
de 300.000 (et non de 86.000 comme l’avait prévu l’INSEE, fin
1983). Or, le Commissariat au Plan, dans une étude sur les conséquences
qu’aurait eue l’application de la « flexibilité de l’emploi
» selon Gattaz (le droit d’embaucher et de débaucher à
volonté doit créer des emplois) montre qu’il y aurait
eu 100.000 chômeurs de plus à court terme.
Par ailleurs, l’OCDE prévoit que, parmi les pays occidentaux,
c’est en France que le chômage croîtra le plus dans les
18 mois à venir, quels que soient les changements politiques
pouvant intervenir en 1986. Si l’équipe au pouvoir change, nous
verrons comment M. Toubon, RPR, justifiera sa belle envolée récente
: « Pour lutter contre le chômage, on ne le dira jamais
assez, il faut créer des emplois. » M. de la Palisse n’est
décidément pas mort et heureusement pour Toubon que le
ridicule ne tue plus.
Nous, nous ne dirons jamais assez - mais malheureusement nous n’avons
pas l’audience d’un Toubon - que l’économie de marché
est vouée à la logomachie en matière de création
d’emplois. On ne peut pas avoir le beurre - la productivité à
tout prix - et l’argent du beurre, l’emploi.
A suivre