La galaxie distributive
par
Mise en ligne : octobre 2005
C’est dans la période de tensions extrêmes et de conflits que nous venons de décrire, que se développe le mouvement distributiste.
Dabord par le création en 1933 des J.E.U.N.E.S. (Jeunes Équipes Unies pour une Nouvelle Économie Sociale), qui en 1936 adhèrent au Front populaire, puis par celles de La Rénovation Sociale, de la Ligue pour le Droit au Travail et le Progrès Social (D.A.T.P.S.), du groupe DYNAMO, et de Nouvelles Énergies Féminines (N.E.F.).
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Les J.E.U.N.E.S.
« Les J.E.U.N.E.S. cest dabord un
effort de pensée claire, de pensée logique, de pensée
libre.
Cest encore et beaucoup plus quune analyse et quune
doctrine, cest un état desprit et une volonté.
Aussi étrange que cela puisse paraître aujourdhui,
les J.E.U.N.E.S. nont pas de chef. Personne devant eux qui les
mène ! Ni troupeau, ni armée ! Des équipes dhommes
conscients et résolus ! Les J.E.U.N.E.S. sont une fédération
déquipes constituées dhommes, au cur
et à lesprit jeunes, unis non pas contre quelquun,
mais unis pour quelque chose : pour une nouvelle économie !
Les J.E.U.N.E.S. réalisent déjà la démocratie
qui sera celle de demain : commissions spécialisées, de
techniciens ou de compétences, mettant sur pied des projets que
la base approuve ou désapprouve par oui ou par non, sans discussion
stérile, et qui sont réalisés dès quapprouvés.
Les J.E.U.N.E.S. sont limage dune démocratie vivante
et décidée. [...] »
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LA RÉNOVATION SOCIALE
Cest un centre détudes où sélaborent en liaison avec le Droit au Travail et dautres groupements, les plans de réformes économiques et sociales qui « préparent la Civilisation de demain ». Il est présidé par Jacques Duboin.
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LIGUE POUR LE DROIT AU TRAVAIL ET LE PROGRÈS SOCIAL (D.A.T.P.S.)
Jacques Duboin en rappelle les objectifs dans son
éditorial du N°2 de la Grande Relève du 1 au 15 Novembre
1935 :
« Quel est lobjet de cette nouvelle Ligue ?
Dabord, elle nest pas nouvelle, puisquelle a plus
dune année dexistence.
Ensuite, ce nest pas une Ligue sur le modèle des autres.
Ses membres ne se proposent pas de descendre dans la rue et de troubler
lordre public. Ils déplorent même que ces intentions
aient pu germer dans lesprit de leurs contemporains exaspérés
par un mal qui ne sévit pas exclusivement chez nous, mais qui
fait des ravages dans tous les grands pays civilisés.
Lobjet de notre Ligue nest même pas politique. Nous
prétendons quil ne sagit pas dêtre contre
quelquun, ni même contre un parti, car cest vraiment
un peu simpliste que de simaginer quon peut résoudre
le problème qui se pose en se bornant à changer les hommes.
On y a cru aux États-Unis, en Allemagne, en Italie, en Belgique ;
nulle part le chômage na disparu. Les magasins continuent
à être pleins de marchandises et les rues pleines daspirants-consommateurs.
Les monnaies dansent une sarabande, mais ne viennent pas, pour cela,
dans la poche de celui qui en a besoin pour faire vivre sa famille.
Il sagit donc bien dun problème qui se pose à
tous les gouvernements, quels quils soient. Cest le même
que tous les grands pays évolués ont à résoudre
et qui se pose ainsi : comment faire pour que les hommes consomment
tout ce quils peuvent produire et tout ce quil serait si
heureux de consommer ?
Travaillez ! répond la sagesse des nations.
Mais cest précisément le travail qui manque !
La Ligue pour le Droit au Travail et le Progrès Social a pour
but de faire connaître le sens profond des événements
qui se déroulent autour de nous et nous déconcertent par
leurs incohérences.
Elle ne demande donc à aucun de ses adhérents de quitter
le parti politique de son choix et que le hasard, demain, peut porter
au pouvoir. Mais elle voudrait que, dans chaque parti, on voulût
bien étudier le problème quil faudra résoudre
coûte que coûte.
Car il sera résolu, nen doutez pas ; la Terre ne sarrêtera
pas de tourner sous prétexte quun prodigieux progrès
de toutes les techniques a rendu le travail humain de moins en moins
nécessaire.
La Ligue fait donc appel à toutes les bonnes volontés,
quelles viennent de droite ou de gauche, car cela na pas
la moindre importance.
Elle réclame simplement des hommes qui raisonnent de bonne foi
en faisant taire, au moins sur ce terrain là, leurs passions
politiques.
Elle dit à tous : « Du moment que le travail, même
réduit, est encore nécessaire, il est juste que chacun
en ait sa part. Sans quoi, il nest plus possible de vivre... »
Or, voilà bientôt cinq ans quon annonce que tout
va sarranger, alors que tout saggrave.
Nest-ce pas tout simplement parce que les hommes tournent le dos
aux véritables solutions ?
Est-il admissible quils deviennent de plus en plus malheureux
sous prétexte que la science vient les libérer de la plus
grosse part de leur travail ?
Un grand physicien, Jean Perrin, annonçait, lautre soir
à la TSF, que lavenir de tous les hommes était magnifique,
quils connaîtraient bientôt labondance de toutes
choses et quils bénéficieraient de loisirs dont
ils ne se font aucune idée, même dans leurs rêves
les plus extravagants.
Jean Perrin a raison. Labondance est à nos portes, et les
loisirs ont fait leur apparition par la porte basse du chômage.
Mais, pour que la prophétie de Jean Perrin se réalise,
il faut sadapter. Il faut que le progrès social rejoigne
le progrès technique.
Cette adaptation se fera inéluctablement, parce quil nest
pas possible de faire autrement. Sy opposer, cest condamner
tous les jours un peu plus dhommes à la misère qui
finira par nous submerger tous, sans exception.
Cette adaptation sera imposée par une dictature de droite ou
de gauche, même dans le cas où elle naurait pas cet
objectif en vue. Elle risque simplement dy parvenir dans un désordre
qui fera dinnombrables victimes.
Des Français, épris de liberté, devraient vouloir
léviter. Et, sils le veulent, ils le peuvent. »
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LE GROUPE DYNAMO
« Cest essentiellement une commission de
documentation qui travaille avec celles du Droit au Travail et des J.E.U.N.E.S.
Son but est de réunir le plus possible de documents concernant
la situation économique. Ayant achevé ses études
sur les causes de la crise, la commission économique des J.E.U.N.E.S
sattacha tout naturellement à prévoir les grandes
lignes dune économie nouvelle appuyée sur le développement
formidable du machinisme, accroissant dune part le chômage
et dautre part labondance des richesses. Si les chiffres
du chômage pouvaient être connus (avec une confiance limitée)
à partir des statistiques officielles, les chiffres concernant
les richesses et les facultés de production du pays restaient
inconnus. Pour palier cette carence, les J.E.U.N.E.S. décidèrent
de sentourer de techniciens compétents, représentant
toutes les branches de lactivité économique et sociale.
Pour bien marquer le caractère technique et impartial des recherches,
il fut formellement spécifié que DYNAMO serait intégralement
autonome et accepterait comme membre tout spécialiste ou technicien,
quelles que soient ses opinions politiques, désireux de collaborer
à luvre commune du recensement des richesses de la
France et de ses possibilités de production.
Ce travail de documentation est très important puisquil
complète et renouvelle les arguments des conférenciers,
des rédacteurs de la Grande Relève et de tous les militants
pour léconomie distributive. »
Signalons aussi que cest dans la collection DYNAMO que René Dumont, (lingénieur agronome qui fut plus tard candidat écologiste à la Présidence de la République), édita son ouvrage Misère ou prospérité paysanne, préfacé par J. Duboin.
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LES NOUVELLES ÉNERGIES FÉMININES (N. E. F.)
Les femmes ne sont pas absentes du combat abondanciste.
Nombre dentre elles écrivent dans La Grande Relève
dès sa création. Il nest pourtant pas encore très
fréquent à cette époque, plutôt machiste,
que les femmes prennent de telles initiatives ...
Certaines dentre elles décident de créer leur propre
mouvement, Nouvelles Énergies Féminines, indépendant
des J.E.U.N.E.S. et du D.A.T.
« Son but est de préparer, pour la société
telle quelle surgira des travaux entrepris par le groupe DYNAMO,
des bases solides et précises au point de vue philosophique et
culturel.
Les femmes qui le composent croient avoir compris : elles sadressent
à toutes les autres femmes pour leur faire comprendre, à
leur tour, labsurdité de leur existence. En un temps où
le machinisme et la technique ont atteint un développement tel
quun minimum de travail procure un maximum de bien-être,
en ce temps qui pourrait être lâge dor,
que des femmes consentent à travailler comme des esclaves pendant
seize heures par jour semble un défi au bon sens. Et cest
un exemple entre cent : le mode dexploitation de la femme, que
ce soit au foyer, au bureau, à latelier ou sur le trottoir,
revêt les formes les plus variées.
Cest tout simplement monstrueux. Et dautant plus quelles
subissent cette vie anormale comme un état naturel et intangible.
Elles la subissent sans joie, évidemment ; elles se plaignent,
se lamentent, mais là sarrête leur révolte,
purement stérile.
Nous refusons de continuer à vivre de cette façon.
Cette vie absurde, il faut en changer.[...] »
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Tous ces groupes sexpriment dans La Grande Relève des Hommes par la Sciencedont le premier numéro paraît dans la quinzaine du 16 au 31 octobre 1935.
Pour populariser les thèses développées par le D. A. T. P. S., des sections se constituent dans tous les arrondissements parisiens, en banlieue, en Province, en Algérie, en Belgique.
Des conférences, suivies par un nombreux public, ont lieu un peu partout.
Des débats où interviennent degrands noms de lépoquetels Henri Bergson, Jean Perrin, Paul Langevin, Joliot-Curie, Painlevé, Albert Bayet, Le Corbusier, Antonelli, Romain Rolland, Jean Giono, P. Vaillant-Couturier, Aragon, popularisent lAbondance.
Mais la grande presse, par contre, sapplique à lignorer !