Médecin, avant d’être Français

Témoignage …
par  G. FEDERMANN
Publication : juin 2002
Mise en ligne : 20 janvier 2007

Je considère que le médecin a une fonction privilégiée : celle de pouvoir être le dépositaire des états d’âme, de la subjectivité, de l’expression de la faillibilité de son prochain et de son lointain. C’est un privilège qui génère en ce qui me concerne beaucoup d’angoisse car en tant que médecin on est toujours partagé entre le sentiment d’incapacité devant la perpétuation de la souffrance de son patient et la tentation de toute puissance attachée à son intervention. On apprend, ou plutôt on essaie d’apprendre, à accepter malgré sa sincérité et son engagement, que l’autre puisse parfois continuer à souffrir, même si l’on fait son possible pour l’aider à trouver les moyens de l’apaisement. On accepte d’être une sorte de compagnon de route sur le chemin de la vie, de “l’être au monde”. Ce faisant, je considère que nous avons une responsabilité civique et spirituelle. Compte tenu du fait d’avoir peut-être une plus grande sensibilité à différentes formes d’expression de la souffrance humaine, on peut essayer d’acquérir une plus grande capacité à discerner la différence que porte chaque individu en lui-même et d’accepter que cette différence psychologique et physique, loin de constituer un danger, est incontournable et que plutôt que de la mettre en marge, on peut essayer de s’en nourrir par la confrontation. Evidemment, aucun médecin ne fera taire la douleur que chaque homme porte en lui.

J’ai participé en 1996 à l’extraordinaire débat public que le mouvement des sans-papiers a suscité. J’ai signé l’appel à la désobéissance civique qui nous invitait à prendre avant tout en compte l’humain représenté à l’époque par ces milliers d’hommes et de femmes, d’origine étrangère, que l’évolution de la loi avait jetés dans l’illégalité et que la droite et l’extrême droite avaient laissés amalgamer à des délinquants, des hors-la-loi.

Dans l’intervalle, comme tout un chacun, j’ai été témoin des horreurs continuant à se dérouler, à nos portes, au Kosovo, de l’autre côté de la Méditerranée, en Algérie, après celles de l’ex-Yougoslavie, suscitant un intérêt spectaculairement médiatisé et étant ensuite aussi vite rejetées dans les oubliettes et l’indifférence de l’histoire et de la conscience (voir à ce sujet l’absence d’échos de la demande de moratoire des expulsions vers l’Algérie).

En juin 1997, avec le retour de la gauche dite “plurielle” aux affaires, j’ai, à nouveau, espéré que le courage politique l’emporterait sur le parti pris politicien à courte vue, et que les lois Pasqua-Debré seraient abrogées ainsi que l’ordonnance de 1945, comme le laissait entendre J-C. Herrgott, directeur de cabinet de Catherine Trautmann et comme celle-ci le soutenait avant de revenir au pouvoir (accueil de la caravane des sans-papiers au Parlement européen, septembre 1996).

J-C.Herrgott évoquait tout récemment dans la Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est : « Ce texte, fondateur de la législation et de la règlementation actuelle sur les étrangers, encourt trois séries de critiques qui, ensemble, justifieraient que soit posée la question de son abrogation et que soient envisagés pour le remplacer des principes mieux adaptés à la réalité actuelle de la présence étrangère en France… C’est pourquoi étranger-citoyen c’est non seulement possible mais nécessaire ».

Et dans la pratique quotidienne, j’ai certainement dû accueillir dans mon cabinet, ac-compagner, trai-ter des personnes d’origine étran-gère venues me solliciter par le biais d’associations humanitaires ou rencontrées à “Printemps 95”.

Je dois reconnaître que je ne me suis pas préoccupé de leur situation ad-ministrative. Avaient-ils des papiers ? Étaient-ils assurés sociaux ? Étaient-ils en mesure de régler le montant de mes honoraires ? Sollicité par un humain en souffrance, national ou non, blanc ou noir (allusion au 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage), j’ai automatiquement fait référence au serment d’Hippocrate, à la charte de Cracovie, ainsi qu’aux engagements de l’association médicale mondiale.

Ce faisant, je risque les sanctions prévues par l’article 21 du texte dit “Ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France” : « Toute personne qui, par aide directe ou indirecte aura facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 200.000 F. »


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