Attention danger !

Actualité
par  J.-P. MON
Publication : juin 2002
Mise en ligne : 19 janvier 2007

Après le choc du premier tour des présidentielles qui ont vu l’arrivée en seconde position de Le Pen avec 16,95 % des voix, tous les partis républicains ont claironné haut et fort avoir compris le message des électeurs : il fallait les écouter, gouverner autrement, pas d’en haut mais localement, parler un langage compréhensible par tous, penser aux plus démunis,… Mais pour mettre en œuvre un tel changement, il fallait avant tout faire barrage au Front national. À l’issue de deux semaines de manifestations qui mirent dans la rue des millions de personnes (surtout des jeunes), la gauche et la droite votèrent massivement pour Chirac qui rassembla plus de 82% des suffrages. Un véritable plébiscite donc pour la République mais que la droite (qui n’avait pas appelé à manifester, bien au contraire) détourna tout de suite à son profit, le transformant en une approbation du programme politique proposé par Chirac.

 Le retour des godillots

La droite s’est réjouie : la France allait redevenir la France, elle n’aurait jamais dû être gouvernée par la gauche, ce fut une aberration… Et sitôt passée la soirée de festivité du 5 mai, l’équipe Chirac-Juppé entreprit de constituer le nouveau gouvernement : un pantin patelin, Raffarin (Démocratie libérale) comme Premier ministre, et quelques personnalités de la société civile, comme on dit, pour leurrer la France profonde. En coulisse, les grands caciques du RPR, chacun avec son ambition, tirent les ficelles. Beaucoup d’annonces fracassantes mais peu d’action. Comment pourrait-il en être autrement alors que ce gouvernement n’est que provisoire dans l’attente du résultat des élections législatives ? Pour mener à bien son programme (ou en prendre le contre-pied, comme il l’a fait par le passé), Chirac a besoin de gagner ces législatives. Et après le plébiscite, il propose à la droite le parti unique, l’Union pour la majorité présidentielle (UMP). Ainsi, à ce jour, Chirac est à la fois le Chef de l’État en titre, le véritable chef du gouvernement et le chef de l’UMP. Bel exemple de cumul ! Un des arguments avancés par l’UMP pour gagner ces élections est que les Français ne veulent plus de la cohabitation, car la cohabitation, c’est l’impuissance. En fait, il n’en est rien, les constitutionnalistes montrent que c’est même un retour aux sources de la Cinquième république. C’est la compétition Chirac - Jospin, parce qu’ils étaient tous deux candidats à la Présidence, qui a perturbé le bon fonctionnement des institutions. Il faut se rappeler que lorsque la droite se partageait le pouvoir entre 1974 et 1981, la compétition entre le Président de la république, Giscard, et le Premier ministre, Chirac, avait conduit ce dernier à démissionner. Ne nous laissons donc pas berner par le faux argument de la cohabitation.

Il serait tout à fait imprudent de la part des Français, qu’après avoir rejeté Le Pen, ils accordent à un seul homme, Chirac, dont on connaît la versatilité, un pouvoir quasi absolu : Assemblée nationale, Sénat, Conseil constitutionnel, présidence des Régions (aux mains des godillots de l’UMP), nomination discrétionnaire des hauts fonctionnaires : préfets, recteurs, …

 Un programme trompeur

Si toutefois le programme économique de Chirac pouvait laisser entrevoir une amélioration du sort des plus défavorisés, des laissés pour compte de la prospérité (la France est un pays riche, ne l’oublions pas !), on pourrait à la rigueur être tenté de lui donner la majorité qu’il souhaite. Mais il n’en est rien. Il s’agit pour Chirac et ses amis de satisfaire avant tout leurs “clients” : Medef, multinationales (traitement des eaux), grosse paysannerie, patrons de PME.

 Que propose-t-il ?

Principalement : une baisse des impôts de 30% en cinq ans (5% dès cette année) ; la diminution des charges sur les salaires pour rendre la France plus compétitive et créer ainsi plus d’emplois ; la “révision” des 35 heures ; l’éradication de l’insécurité ; l’impunité zéro pour les délinquants ; la résolution du problème des retraites.

Ce dont il ne parle pas, c’est la libéralisation à outrance de toute l’économie dans le cadre de l’AGCS [1], et notamment les privatisations des services publics (EDF, nucléaire, Air France) qui seront à l’ordre du jour,… après les élections si la droite l’emporte.

 La réalité

• La baisse des impôts ne profitera qu’à ceux qui disposent de revenus élevés. Elle ne concerne ni les chômeurs ni les salariés précaires qui, pour la plupart, ne sont pas assujettis à l’impôt sur le revenu (ce sont pourtant eux qui ont voté massivement pour l’extrême droite au premier tour des élections). C’est une mesure purement électoraliste à courte vue, du clientélisme.

• La diminution des charges sur les salaires, qui est souvent mise en avant comme un outil de création d’emplois, est en réalité un facteur de gel et souvent de baisse des salaires. En effet, mises en place vers la fin des années 1980, les réductions de charges ont poussé au développement des emplois à temps partiel et à la flexibilité du marché du travail. Puis la baisse des charges patronales initiée en 1993 par le gouvernement Balladur, et poursuivie par la gauche, a eu pour effet d’augmenter le nombre des emplois de faible niveau de qualification où se concentrent les plus bas salaires. Qui plus est, les employeurs ont intérêt à ne pas augmenter les salaires de ces employés pour ne pas dépasser le seuil de déclenchement des allégements de charges. Enfin, la “prime pour l’emploi” a encouragé les employeurs à ne pas augmenter la rémunération des employés concernés. En définitive, les mesures d’allégement des charges ont fait que le nombre des bas salaires est passé de 32 à 40% des emplois depuis 1993.

Autant dire que cette “mesure phare” du programme de Chirac n’est… qu’un miroir aux alouettes.

Ajoutons que le patronat et la droite continuent à dénoncer « le coût exorbitant de la main d’œuvre française » alors que les statistiques européennes prouvent que ces coûts en moyenne sont moins élevés en France qu’en Allemagne, en Belgique et en Suède.

• Les 35 heures : mal appliquées, parce que les patrons (et l’État tout particulièrement) n’ont pas joué le jeu en créant les emplois nécessaires pour compenser la baisse de la durée du travail, malgré les nombreux avantages financiers qui leur ont été concédés. Si les ouvriers ont vu leur temps de travail diminuer, ils ont surtout vu leur salaire stagner et leur “flexibilité” augmenter. Notons que la levée des restrictions sur les heures supplémentaires pour permettre, selon le slogan de la droite, à « ceux qui veulent travailler plus de gagner plus », ne peut avoir d’impact que si elle s’accompagne d’une forte croissance [2]. En fait, comme ce sont principalement les cadres qui profitent de la réduction du temps de travail grâce à des congés supplémentaires, il est peu probable que la droite remette en cause les 35 heures.

•L’insécurité : oui, bien sûr, elle existe mais ce n’est pas uniquement celle qui sévit dans certaines cités ou dans certaines zones urbaines, qui constitue le “fonds de commerce” de la droite “lepénisée” et qui a fait l’objet d’une “promotion” éhontée à la télévision avant le premier tour des présidentielles. (C’est un procédé couramment utilisé aux États-Unis « où les médias amplifient, sinon fabriquent, les réactions de peurs liées à une insécurité à la fois gonflée et en partie engendrée par sa mise en spectacle systématique avec les conséquences politiques, en Amérique comme en Europe, dont on ne finit pas d’observer les effets » [3]). Mais il y a surtout l’autre insécurité, celle dont on parle beaucoup moins : l’insécurité économique et sociale avec les emplois précaires, les bas salaires, les horaires bouleversés par la flexibilité, l’impossibilité de se projeter dans l’avenir [4], le stress, la menace du chômage qui touche directement ou indirectement des millions de Français … Qui plus est, « la montée des incertitudes n’est pas réservée à une fraction particulière du salariat et les frontières entre les emplois les plus et les moins exposés sont loin d’être étanches [5] ». L’externalisation, la sous-traitance provoquent l’éclatement des communautés de travail qui se traduit par une « forte angoisse des salariés à devoir faire face tout seuls aux changement continuels que leur imposent les entreprises [6] ». Et ces types d’insécurité sur lesquelles la droite reste très discrète, ne pourront qu’être aggravés par les mesures “libérales” du programme Chirac.

• L’impunité zéro : le zéro n’est qu’un effet d’annonce. Bien sûr, il faut punir justement les délinquants mais pas seulement ceux qui volent un auto-radio : il faut aussi exiger “l’impunité zéro” pour les délits financiers des grands groupes, pour le blanchiment d’argent sale par les banques, pour les maffieux divers, pour les détournements de fonds faits par les chefs d’entreprise au détriment de leurs salariés, pour les pollueurs, pour les clients des paradis fiscaux, pour les violations du code de la route,…

• Les retraites. Il n’y a pas de problème de financement des retraites. Il n’y a que la volonté d’offrir un très gros marché aux banques et aux assurances (dont, on ne le dira jamais assez, M. Denis Kessler, par ailleurs vice-président du Medef, préside l’association). Nous avons déjà à plusieurs reprises [7] [8] décortiqué le problème des retraites et montré qu’il s’agit d’un choix politique, d’un enjeu de société : c’est le choix entre la logique de solidarité qui défend la retraite par répartition et la logique individua-liste qui défend le chacun pour soi de la capitalisation. Cette dernière est la forme dite “moderne” de la loi de la jungle, celle du plus fort, le capital financier. Elle tend à la financiarisation de l’économie dans laquelle les impôts (donc les services publics) et les salaires sont réduits et deviennent des “charges“ qualifiées d’intolérables : l’employé(e) est écrasé(e) au profit du capital. On peut représenter cette économie par le schéma suivant :

Pour que les progrès techniques entraînent un véritable progrès humain, il faut, au contraire, pousser plus avant la logique de solidarité et organiser la répartition non pas seulement des retraites mais aussi celle des revenus, c’est à dire répartir équitablement (sans impôts ni cotisations) les richesses produites. C’est ce que nous proposons et qui peut-être schématisé ainsi :

Enfin on ne confond plus dans une même comptabilité les hommes et le matériel ! Il n’y a plus de chômage, mais du temps libéré tout au long de la vie pour participer aux prises de décision essentielles, et au développement de l’éducation, de la culture, de la recherche et des loisirs. C’est dans cette perspective qu’on peut voter pour l’avenir.


[1AGCS = Accord général sur le commerce des services, voir GR N°1011, de juin 2001.

[2Le Monde-Économie, 14 mai 2002.

[3Le Monde, 19-20 mai 2002.

[4L’exemple de Danone montre qu’un salarié, même à contrat à durée indéterminée ne se sent plus à l’abri aujourd’hui, puisque des employés qui avaient parfois plus de vingt ans d’ancienneté ont été licenciés.

[5Eric Maurin, L’égalité des possibles, Seuil, coll. “La république des idées”, 2002.

[6Claude-Emmanuel Triomphe, Université européenne du travail.

[7La Grande Relève, n° 989, juin 1999.

[8La Grande Relève, n°1017, janvier 2002.


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