Mort ou résurrection du PS ?


par  J.-P. MON
Publication : février 2017
Mise en ligne : 19 mai 2017

En 1983, le gouvernement de François Mitterrand décidait de suivre le tournant libéral initié par Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Finis les changements que l’élection de mai 1981 avait fait espérer… La Grande Relève avait réagi en publiant une brochure dont le titre, Sortir le socialisme de la crise, était un programme d’espoir. Alors que les débats autour de l’élection primaire de janvier dernier ont mis en évidence la coupure profonde entre la gauche et la droite au sein du PS, Jean-Pierre Mon a relu cette brochure et résume ici la présentation que Marie-Louise Duboin y faisait de propositions qui sont toujours d’actualité.

Avec Jaurès et Blum, le PS a eu ses heures de gloire. Avec Mollet, il s’est enfoncé dans l’indignité. Il serait trop long d’en faire l’histoire intégrale. Nous nous bornerons donc à sa renaissance au début des années 80 du siècle dernier.

 1981

Après 33 ans d’une Cinquième République, gérée sans discontinuer par la droite, l’élection de François Mitterrand à sa présidence et l’avènement qui en découle d’un gouvernement de gauche soulèvent de grands espoirs dans la population. En effet, avec 58 % des sièges à l’Assemblée nationale, le parti socialiste a les mains libres pour mettre en œuvre les “110 propositions pour la France”, inspirées du Programme Commun signé en juin 1972 par le parti socialiste, le parti communiste et le mouvement radical de gauche. Les vastes réformes sociales (baisse de l’âge de la retraite, semaine de travail de 39 heures, cinquième semaine de congés payés, lois Auroux,…) engagées en 1981-82 en sont tirées. Elles confirment les attentes de la grande majorité des Français tandis que la droite et une partie des “élites économiques” dénoncent cette « gauche du programme commun » comme un risque de communisme…

Les réformes engagées augmentent considérablement les dépenses de l’État si bien que l’inflation atteint 13,4% à la fin de 1981.

Dans le même temps, le néolibéralisme a pris son essor avec les politiques restrictives de Margaret Thatcher au Royaume-Uni et de Ronald Reagan aux États-Unis. De son côté, l’Allemagne lutte contre la hausse des prix. Le franc est attaqué de toutes parts. Les capitaux fuient en Suisse… La France ne peut plus se permettre de continuer sa politique de relance dans un tel contexte.

En octobre 1981, le gouvernement procède à une dévaluation du franc de 3%, puis en juin 82 à une nouvelle dévaluation de 5,75%.

En mars 83 la gauche perd les élections municipales et Pierre Mauroy démissionne de ses fonctions de Premier ministre. La situation internationale de la France est très mauvaise : malgré les dévaluations, la fuite des capitaux continue. Le mark allemand et le florin néerlandais sont réévalués de 4,25 % par rapport aux autres monnaies du SME [1]. Le franc perd 8 % par rapport au mark. Tous les indicateurs financiers (budget, balance commerciale, balance des paiements) sont dans le rouge.

Pendant une dizaine de jours, François Mitterrand hésite. Rompre avec la Commu­nauté économique européenne, quitter le Système monétaire européen et isoler l’espace économique français en développant une politique protectionniste ? C’est la position défendue par J.P. Chevènement, ministre de la Recherche et de la Technologie puis de la Recherche et de l’Industrie qui refuse de participer au troisième gouvernement Mauroy [2] pour s’opposer au tournant libéral du PS impulsé par Jacques Delors, ministre de l’économie et Laurent Fabius, ministre du budget. Après de longues discussions, Mitterrand finit par opter pour la rigueur  : augmentation des prélèvements obligatoires, diminution des dépenses budgétaires, blocage des prix et des salaires…

Ce “tournant de la rigueur” marque en fait le ralliement du parti socialiste français à l’économie de marché et la fin d’une politique de “rupture économique”.

C’est son “Badgodesberg” [3] qui sera désormais la nouvelle culture des gouvernements “socialistes” français.

En avril 83, cependant, Louis Mermaz, membre de la direction nationale du parti socialiste depuis 1971, élu président de l’Assemblée nationale le 2 juillet 1981 (poste qu’il occupera jusqu’en 1986) appelle à réagir : « Il appartient aux socialistes de porter une appréciation sur les deux années qui viennent de s’écouler, de faire le bilan des succès et des difficultés rencontrées, de proposer les moyens de surmonter les obstacles. Il faut que ceux qui, au sein du parti, ont des propositions à faire, s’expriment ».

Mauroche = François MITTERAND, P. MAUROY, M. ROCARD, J-P CHEVENEMENT

Cet appel a été entendu par des militants de diverse associations, tous profondément socialistes (membres ou non du parti, distributistes, mondialistes, …).

Ils entreprirent de rédiger une brochure intitulée Sortir le socialisme de la crise dont les rédacteurs de la Grande Relève ont été la cheville ouvrière.

Ils l’ont signée François Mauroche* pour manifester leur volonté de promouvoir des idées qui pourraient être acceptées par tous les courants.

Dans l’éditorial de la GR817 (de novembre 1983) Marie-Louise Duboin en faisait ce résumé en trois points :

• Comprendre la réalité de la création monétaire, les crises provoquées par les grandes transformations des moyens de production (et comment elles furent surmontées), l’absolue nécessité pour le capitalisme de la croissance et de la solvabilité (plus ou moins artificielle) des ménages, l’échec de la théorie du déversement d’Alfred Sauvy face aux progrès de la robotique…

• Inventer une monnaie non transférable, un revenu universel, un service social (en bref les trois principes fondamentaux de l’économie distributive).

• Préparer : il est du devoir du parti socialiste d’agir pour mettre en route ce programme. « Faute de saisir cette chance historique pour concrétiser le changement en lequel les Français avaient espéré, non seulement la gauche perdra, et pour longtemps, toute crédibilité et tout pouvoir mais l’instauration du revenu social, parce qu’elle est nécessitée par les faits, se fera sans elle dans un contexte infiniment moins ouvert… Il sera alors l’instrument d’une société durable (déjà amorcée) dans laquelle une classe peu nombreuse de “jeunes loups” décideurs aura tout pouvoir sur le choix des productions à entreprendre tandis que le grand troupeau inemployé sera considéré comme tout juste bon à consommer ce que “l’élite” saura lui faire désirer ».

L’indispensable phase de préparation « consiste autant sinon plus à populariser une nouvelle façon de vivre en société qu’à définir les changements matériels à mettre sur pied. Elles devront créer un état d’esprit, expliquer la mutation en cours, montrer que la surcompétition économique est devenue nuisible, que les progrès récents nous apportent des possibilités entièrement nouvelles : celle de ne plus passer sa vie à la gagner, de mettre à profit le temps libéré pour des activités gratuites, humainement enrichissantes ».

La brochure fut envoyée à tous les parlementaires socialistes… et nous n’en eûmes aucun écho, même pas un accusé de réception !

 Une longue agonie ?

Après la perte des élections municipales de 1983, les désastres électoraux du PS se succèdent : européennes en 1984, cantonnales en 1985 et législatives de mars 1986 qui ouvrent le temps de la cohabitation avec la droite. Ce qui n’empêche pas Mitterrand d’être réélu président de la République en 1988 avec 54% des voix ! Faisant suite à l’échec de la gauche aux législatives de mars 1993, une nouvelle cohabitation présidée par Mitterrand va durer jusqu’en mai 1995. C’est le succès personnel de Mitterrand, pas celui du PS : outre les premières mesures sociales et sociétales qu’il avait prises au début de son premier mandat, les traces culturelles matérielles qu’il a laissées au cœur de Paris (l’Opéra Bastille, le Grand Louvre et sa pyramide, l’arche de la Défense, la Bibliothèque nationale de France, l’Institut du monde arabe, la Géode et le parc de La Villette, la Cité de la musique et le ministère de Bercy) ont sans doute pesé en favaeur de sa réélection.

Le PS reviendra au pouvoir lors de la cohabitation de 1997-2002 avec Chirac. Jospin nommé Premier Ministre eut le grand mérite d’imposer la durée hebdomadaire du travail à 35 heures. Mais son échec catastrophique à la présidence de la République en 2002 éloignera le PS du pouvoir pour dix ans.

L’espoir allait revenir avec l’homme qui le 22 janvier 2012 déclarait au Bourget : « Dans cette bataille qui s’engage, je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance ». Cet homme, c’était le candidat socialiste à la présidence de la République. Vous l’avez, bien sûr, reconnu : c’était François Hollande qui, à peine élu, se précipitait dans les bras de la finance. Mais, comme l’explique [4] si bien Jean-François Kahn, beaucoup d’autres promesses n’ont pas été tenues. Les électeurs n’ont pas tardé à réagir : le PS, qui au printemps 2012 détenait toutes les régions, la majorité et la présidence du Sénat, un très grand nombre de municipalités et de conseils généraux, a aujourd’hui presque tout perdu. Mais seuls quelques ministres courageux ont désapprouvé la politique de Hollande et ont quitté le gouvernement pour marquer leur désaccord.

 2017

La crise politique qui touche la France n’est pas une exception. Ce n’est pas une crise locale, c’est une crise systémique.

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, dans la plupart des pays occidentaux, régnait la social-démocratie. Pour faire bref, disons qu’il s’agit d’un état d’équilibre qui s’était établi entre le travail et le capital : les syndicats négociaient les salaires avec les employeurs et l’augmentation des salaires des travailleurs accroissait la demande, donc les profits des entreprises… Les économistes soutenaient l’idée que les gouvernements devaient assurer l’emploi. Ce qui encourageait la plupart des partis de gauche à faire la paix avec le capitalisme au lieu de chercher des alternatives plus radicales…

Or, partout dans le monde, et depuis de longues années, cette social démocratie se délite.

Plus de trente ans après les Trente Glorieuses, les hommes politiques de gauche continuent de rêver à cet âge d’or. Mais durant ces trois décennies, le monde a subi de grands changements dans les domaines économique, social, culturel et politique dont les effets souvent imprévisibles s’accélèrent pour le meilleur comme pour le pire. Au point de vue politique, maîtriser ce monde en pleine transformation est devenu extrêmement complexe.

Pour le moment, le néolibéralisme est plus que jamais triomphant, les riches deviennent de plus en plus riches alors que les pauvres continuent de s’appauvrir. En 2016, les 62 personnes les plus riches du monde possédaient autant que la moitié la plus pauvre de la population mondiale du globe, soit environ 3,5 millions de personnes [5] . (Ce qui est injustifiable : il est bien évident qu’une seule personne ne peut pas être 100 millions de fois plus “productive” qu’une autre, en bonne santé et raisonnablement instruite [6]).

Signalons aussi aux fanatiques de l’emploi salarié que, selon l’Organisation Interna­tionale du Travail, le chômage devrait encore augmenter en 2017 de 3,4 millions, ce qui portera le total mondial à 201 millions de chômeurs) [7] .

Pour couronner le tout, les État-Unis se sont dotés d’un président irresponsable pour qui le réchauffement climatique n’existe pas et qui, tout en dénonçant ”les élites“, gouverne pour le plus grand profit de la finance et des grosses entreprises.

 L’espoir

Les primaires du PS ont eu le mérite de mettre en évidence les désaccords profonds au sein de ce parti. Les résultats du premier tour ont suscité un certain espoir qui s’est manifesté par une forte hausse de la participation au second tour, donnant une large majorité (58,65% des suffrages ) à Benoît Hamon contre Manuel Valls. Un fois encore, la vox populi a mis en échec les sondeurs professionnels qui n’avaient pas vu que le succès de Benoît Hamon était prévisible parce que c’est le seul candidat qui faisait des propositions nouvelles, ouvertes vers un monde meilleur !

On peut dire que son projet de revenu universel a fait couler et continue de faire couler beaucoup d’encre, le plus souvent pour raconter, hélas, n’importe quoi. À ce sujet, La Grande Relève a fait de nombreuses mises au point qu’on pourra retrouver notamment dans les numéros GR1097 d’avril 2009 et GR1116 de janvier 2011.

De ce dernier, voici un extrait de l’article intitulé Un programme pour la gauche  ? : « Institutionnalisée avec ces garanties et politiquement encadrée, l’allocation universelle est à même de devenir le fer de lance d’une nouvelle offensive de la gauche, adaptée aux circonstances actuelles pour prendre le contrôle collectif des moyens de production, c’est-à-dire de l’espace social et économique dans lequel nous voulons vivre ».

Ce même article précisait que « pour que l’allocation universelle puisse devenir la charpente d’un projet de gauche, elle doit faire partie d’un train de mesures comportant d’abord un salaire minimum dont le montant soit fixé par la loi au moins au niveau du seuil de pauvreté et ensuite la garantie par les pouvoirs publics de l’accès inaliénable pour tous, sans condition, et sans pression, à des services sociaux de qualité, tout aussi importants que l’allocation universelle, tels que l’enseignement, la santé, les aides à la personne ».

L’indépendance matérielle est la condition de la liberté et d’une citoyenneté réelles. Pour l’instaurer dans notre monde, soumis à toutes sortes de pouvoirs asymétriques, la garantie politique de l’allocation universelle est indispensable.

Ces considérations étaient en 2012 très éloignées des projets du PS. Aujourd’hui, si ce parti veut continuer à exister, il doit en faire l’ossature du programme de son candidat.


[1SME = Serpent Monétaire Européen, système monétaire ayant précédé la mise en place de l’euro.

[2Après plusieurs remaniements, ce troisième gouvernement démissionnera le 17 juillet 1984 à la suite du rejet du projet de loi Savary mettant en place un grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale. Pour ne pas cautionner la politique de rigueur, le parti communiste refuse de participer au nouveau gouvernement présidé par Laurent Fabius mais continuera à le soutenir.

[3Congrès au cours duquel le SPD a formellement abandonné les idées d’inspiration marxiste, reconnu l’économie de marché et s’est déclaré lié au peuple entier et non aux seuls travailleurs.

[4J.F. Kahn, L’ineffaçable trahison, Plon éd., 2015.

[5Rapport Oxfam International sur la répartition de la richesse dans le monde en 2016.

[6Per Molander, The Anatomy of Inequality : Its Social and Economic Origins- and Solutions, Melville House/Random House, 2016.

[7Rapport OIT, Emploi et questions sociales dans le monde – tendances 2017.


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