Quand le géant s’enrhume

ÉTRANGER
par  P. SIMON
Publication : février 1978
Mise en ligne : 21 mai 2008

Il est clair que les États-Unis connaissent une période difficile sans qu’aucune amélioration sensible ne se manifeste à l’horizon. Les sujets d’inquiétudes sont nombreux, trop nombreux même pour que nous puissions les évoquer tous.

La chute vertigineuse du dollar sur les places internationales entraîne le franc (et autres monnaies fragiles) dans son sillage, et a des conséquences multiples. Par exemple, que se passera-t-il si les pays de l’OPEP refusent le dollar en paiement de leur pétrole et exigent des monnaies fortes comme le franc suisse, le mark allemand ou le yen japonais ? À quel prix majoré acquitterons-nous alors notre énorme facture d’un produit que nous gaspillons allègrement ?

Que dire aussi de l’énorme déficit de la balance des paiements américaine qui pourrait bien sonner le glas du libre échangisme auquel l’Amérique est restée si attachée tant qu’elle a exporté plus que qu’elle n’importait. Dans plusieurs branches de l’industrie — dont les exportations de produits manufacturés ont chuté d’environ 70 % en un an — patrons et syndicalistes se retrouvent côte à côte pour exiger de Washington des mesures protectionnistes. Certes le gouvernement fédéral se défend officiellement d’en avoir jamais adopté, et pourtant. En mai 77, le Japon (déjà lui !) s’est vu contraint de signer un « accord » par lequel il acceptait de réduire de 40 % ses exportations de téléviseurs couleur en direction des Etats-Unis. En juin 1977, une mesure similaire affectait les importations de chaussures en provenance de Taïwan et de Corée du Sud, autres alliés privilégiés des Américains. À l’automne, le Congrès n’a renoncé à imposer aux importateurs de pétrole d’utiliser, pour environ 10 % des quantités, des navires américains construits en Amérique que lorsqu’a éclaté un scandale révélant les sommes énormes que les pétroliers versent pour financer les campagnes électorales. À son tour, l’industrie de l’acier est gravement touchée par la crise et les producteurs réclament un prix minima à l’importation qu’il suffira de faire varier pour interdire l’entrée d’acier étranger.

L’agriculture se porte mal, elle aussi. C’est une maladie chronique que les médications du gouvernement fédéral ne parviennent pas à guérir. Qu’on en juge. L’agriculteur américain souffre d’être trop efficace. Il produit trop (par exemple 27 % de plus de maïs qu’il y a dix ans) , et lorsque, comme cette année, la récolte mondiale de céréales est satisfaisante, ses revenus baissent : 20 % depuis 1973 alors que, pendant la même période, ses frais augmentaient de 30 %. Si seulement les Russes voulaient bien acheter du grain, on serait prêt à se boucher le nez. À défaut, il faut intervenir. À cet effet on dépensera 13 millions de dollars pour soutenir les cours, aider l’exportation et procéder à des distributions gratuites dans le cadre de l’aide sociale. Il faut bien maintenir les revenus du fermier en puisant dans la poche du contribuable.

Il y a encore la Sécurité Sociale (car il en existe une) menacée par l’inflation. Financée par les cotisations des actifs, elle verse des prestations aux retraités, aux handicapés, aux personnes à charge. Mais la natalité baisse, la durée moyenne de vie s’allonge et les travailleurs prennent de plus en plus tôt leur retraite (pas toujours de leur plein gré). Il y a 40 ans, on comptait 10 actifs pour 1 retraité. Ce ratio est tombé à 3 et il va sans doute décroître. Comme le Congrès ne veut pas puiser dans les caisses de la nation, il va sans doute falloir relever très fortement les cotisations (on parle de les tripler), à moins qu’on ne diminue les prestations.

On le voit bien, la première nation du monde se trouve prise entre des exigences contradictoires. D’un côté, elle ne peut renoncer ouvertement au libre-échangisme qui constitue le fond de sa doctrine économique et même, en un sens, de sa morale. D’autre part elle ne peut accepter (pour toutes sortes de raisons) que les revenus de ses citoyens soient amputés par la démographie, le progrès technique ou la concurrence étrangère. Alors, elle navigue entre deux eaux. Si elle devait couler, nous boirions le bouillon.


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