Réduire la fracture sociale

RÉFLEXIONS
par  J. HAMON
Publication : avril 2005
Mise en ligne : 4 novembre 2006

Faute d’une action concertée efficace pour freiner la dérive climatique, les sociétés que nous connaissons disparaîtront probablement dans un siècle. Par contre, faute d’une action concertée contre la fracture sociale, ces sociétés pourraient disparaître bien plus tôt ; c’est l’avenir proche de nos enfants et de nos petits-enfants qui est en question.

Réduire la fracture sociale est un objectif qui paraît commun à toutes les formations politiques françaises républicaines, même s’il n’a pas toujours été énoncé sous cette forme. De ce fait, il a rarement été défini. Pour combler ce vide, on peut admettre qu’il s’agit de donner, ou de redonner, à chaque résident français sa dignité, confiance dans son avenir et dans celui de ses enfants et, dans l’immédiat, d’assurer un logement décent dans un environnement sain, une couverture sociale (dont médicale) essentielle, la possibilité d’éduquer, d’habiller et de nourrir les siens convenablement, ce qui implique la possibilité de choisir le nombre de ses enfants sans craindre que ces enfants ne se retrouvent à la rue, le droit à une retraite dans des conditions définies acceptables et, évidemment, la garantie d’un emploi correspondant à ses qualifications et de stages de formation permettant d’améliorer cette dernière, et de disposer d’un temps libre choisi pouvant notamment être consacré aux siens et à des activités sociales nonmarchandes, dans un environnement respecté.

Les ressources matérielles requises existent, la majorité des entreprises françaises, agricoles comprises, travaillant en dessous de leurs capacités de production, ce qui donne un coût très modeste au surplus qui pourrait être produit en cas de demande solvable supplémentaire, bien que l’accessibilité à un logement décent puisse poser un problème n’ayant de solution qu’à moyen terme. Malheureusement, ceux affectés par la fracture sociale ne disposent pas des moyens financiers pour accéder à ces ressources et, le plus souvent, sont au chômage ou bénéficient d’emplois à temps partiel non choisis ne leur assurant ni dignité, ni confiance dans l’avenir. Les évolutions socio-économiques récentes ont aussi fragilisé une proportion croissante des bénéficiaires d’emplois à temps plein, même au sein des classes moyennes, créant une atmosphère durable de morosité.

L’évolution du PIB ne constitue pas un bon indicateur de la satisfaction des besoins sociaux essentiels car, entre autres, il ne tient aucun compte des activités familiales et associatives non salariées mais, en attendant un consensus sur un indicateur de satisfaction sociale, il faut faire avec. Même en période de faible croissance, le taux de productivité français s’améliore d’environ 1% par an. La présente tendance est de demander aux personnels travaillant à temps plein de faire un peu plus d’heures par semaine (plus d’un pour cent par an), et de n’envisager une pension de retraite qu’un peu plus tard (1% de retard par an). Ces dérives sont modestes mais, cumulées, elles vont permettent de produire, en 10 ans, les mêmes services et biens qu’en 2004 avec 70% seulement des effectifs. Il n’est donc pas surprenant qu’en dépit d’une consommation en légère croissance, le chômage persiste.

Pour améliorer l’avenir économique des entreprises, il est usuel de réduire leurs charges sociales au prétexte qu’elles plombent leurs comptes. C’est une grave erreur. Ces soi-disant charges sociales constituent en fait des salaires différés. Réduire les charges sociales revient à réduire les salaires, donc la consommation des ménages, et leur confiance dans l’avenir.

Toute modification de la production nationale résulte en un ajustement des taxes sur les entreprises, des bénéfices distribués aux investisseurs, des salaires payés aux personnels, et des impôts perçus sur les investisseurs et les travailleurs. Les accords salariaux, nationaux ou d’entreprise, sont généralement en faveur des salariés à temps plein des grandes entreprises, les millions d’employés à temps plein des PME étant rarement entendus, et les travailleurs à temps partiel encore moins. Les chômeurs et assistés sociaux à divers titres sont les moins bien lotis. Depuis quelques années, ceux des impôts pouvant permettre une redistribution des ressources entre les résidents français en fonction de leurs besoins de base ont diminué, aggravant la fracture sociale.

Réduire la fracture sociale nécessite d’offrir aux jeunes la possibilité d’acquérir des compétences générales, puis professionnelles, pour répondre aux besoins d’aujourd’hui, et à ceux prévisibles demain. Notre enseignement de masse a ses points faibles, dont une inégalité des charges enseignantes en fonction des diplômes, que rien ne justifie. Il ne dispose pas des moyens requis pour maintenir, ou remettre, à niveau ceux qui faiblissent dans une discipline critique. Les Maisons familiales rurales ont résolu ce problème en gérant des classes à effectifs réduits et suivi personnalisé, avec un soutien automatique ponctuel aux défaillants ; cette approche à un prix, bien faible si l’on songe à celui qui sera payé plus tard par notre société en faveur de ceux laissés presque définitivement hors des circuits productifs.

Réduire la fracture sociale implique de mieux répartir les ressources nationales entre tous, tout en encourageant le travail et l’esprit d’entreprise. Une élimination du chômage, limité à l’inévitable fluctuation entre les pertes d’emploi et les offres d’emploi, devrait suffire à rétablir l’équilibre des comptes sociaux, mais la France a-t-elle besoin de plus de travailleurs ?

La France importe des produits pétroliers alors que l’exploitation du solaire thermique n’est que balbutiante. Avec un renouvellement de l’habitat et des bâtiments de service associés de l’ordre de 1 à 2% par an, plusieurs centaines de milliers de toits solaires thermiques devraient être installés chaque année, réduisant d’autant les importations de produits pétroliers, et créant des emplois.

L’énergie renouvelable actuellement la plus accessible pour remplacer les énergies fossiles, et éventuellement l’énergie nucléaire, est celle fournie par les éoliennes, ce qui rendra progressivement la France toute électrique, ou presque. La mise en place, puis l’entretien, de dizaines de milliers, puis de centaines de milliers, d’éoliennes dans notre bon gisement de vent, terrestre comme marin, demandera une main d’oeuvre qualifiée importante.

En France, l’éclairage fait encore surtout appel à des ampoules à incandescence et à des tubes fluorescents peu performants alors que des économies considérables peuvent être assurées avec des ampoules compactes à bien meilleur rendement, ce qui implique souvent une modification du cablage électrique, occasion à saisir pour vérifier la conformité de ce cablage aux présentes normes, et la sécurité des installations anciennes. Sans attendre leur destruction pour vétusté, de nombreux bâtiments peuvent aussi bénéficier d’une rénovation avec amélioration de leur isolation thermique. D’importantes économies d’énergie en découleront.

Un remplacement progressif des véhicules à combustion interne par des véhicules électriques pouvant satisfaire la majeure partie des besoins légitimes de déplacements urbains et périurbains devrait être associé à la production d’électricité éolienne et à la mise en place de dispositifs de stockage indirects de l’énergie électrique, mais une politique industrielle volontariste en ce sens tant nationale que communautaire, est interdite par le projet de Constitution de l’Union.

Les commerces et services de proximité sont en voie de disparition, alors que le coût social et économique de l’utilisation des super et hyper-marchés périurbains est notable, avec des producteurs de base soumis à des pressions rendant leurs activités à peine rentables, et des consommateurs devant avoir un véhicule pour faire leurs achats. De grandes surfaces périurbaines constructibles sont stérilisées, et le potentiel humain et social des commerces de proximité perdu.

La France vieillit. Des millions de personnes ont d’autant plus besoin d’une aide à la vie de tous les jours que la solidarité familiale s’amenuise. Cela va de la livraison à domicile des achats courants aux aides plus personnalisées, repas chauds, soins de base, écoute. La restructuration hospitalière exige un véhicule pour accéder à un service spécialisé, ou rendre visite à un ami hospitalisé, parfois maintenant à des dizaines de kilomètres du lieu de résidence. Combien de nos anciens peuvent ce faire sans aide ?

Les zones périurbaines n’ont pas été conçues pour permettre de rentabiliser les transports publics ; les familles qui y vivent ont besoin d’un véhicule par adulte et même plus s’ils veulent de petites voitures pour le quotidien, et un monospace pour les vacances. Le gaspillage d’espace et d’énergie est considérable. S’il était calculé en termes monétaires, bien des transports publics deviendraient rentables.

La désagrégation de la cellule familiale et les difficultés du quotidien incitent beaucoup de pères et mères de famille à travailler, avec deux emplois par couple, pour faire bouillir la marmite, et éviter le pire, au cas où. Le coût sociétal d’une telle situation est rarement calculé alors qu’il est considérable : un véhicule et son carburant, enfants laissés à eux-mêmes la majeure partie de leur temps libre, abus des surgelés et plats tout préparés, fatigue nuisant à l’harmonie du couple, etc. Dans bien des cas la tension quotidienne ne saurait être accrue par la présence d’un parent âgé à domicile, ou une aide quotidienne à ce parent vivant à proximité. Une amélioration des prestations sociales, et une sécurisation juridique du conjoint le plus défavorisé en cas de divorce, ou de rupture d’une union libre ayant paru durable, ré-humaniserait la famille, et rendrait disponibles des centaines de milliers d’emplois.

Nos besoins sociaux et environnementaux sont considérables, mais leur satisfaction nécessite des ressources. Sont-elles hors d’atteinte alors que personne n’ose taxer les émissions excessives de gaz à effet de serre, les coûts indirects du transport routier, et que la lutte contre la fraude fiscale ne constitue pas une priorité ? Nos addictions les plus répandues, alcool et tabac, sont-elles assez taxées ? On lit fréquemment que partager les heures de travail est impossible, mais vaut-il mieux partager ces heures ou rémunérer des chômeurs et verser des aides sociales aux plus démunis ?

La réduction de la fracture sociale nationale serait possible, avec quelques sacrifices politiques ici et là, si le texte définitif du projet de Constitution européenne n’interdisait pas aux États de l’Union toute action pénalisant les pays les moins-disants, fiscalement et socialement. Le but de cette Constitution, gravée dans le marbre si nous l’acceptons, car elle ne pourra être améliorée dans ses impératifs socio-économiques les plus astreignants qu’à l’unanimité des pays membres, ce qui revient à admettre jamais, est de niveler par le bas tous nos avantages sociaux. En attendant notre approbation de ce projet de Constitution, la directive Bolkenstein va permettre d’aller de l’avant sans perdre de temps.

La Banque centrale européenne est une autorité de l’Union ne répondant à personne de ses décisions, et n’ayant qu’une responsabilité, la stabilité de l’euro. Il n’en est que plus surprenant de constater que le projet de Constitution ne stipule pas que l’euro est l’unité de compte de l’Union et n’exige pas des pays membres, futce à terme, d’intégrer la zone euro en pénalisant politiquement (droits de vote pondérés, etc.) ceux qui ne veulent pas en faire partie.

Que des producteurs souhaitent informer le public de l’existence et de la qualité de leurs produits parait légitime. Il ne faudrait pas pour autant créer des espoirs inaccessibles pour le plus grand nombre, et encourager des comportements nuisibles à tous. C’est pourtant l’objectif principal de la publicité. Acheter une voiture surpuissante dont les performances sont interdites par les lois et règlements en vigueur. Montrer votre machisme avec un gros véhicule 4x4 en ville. Aller passez vos vacances dans un paradis à l’autre bout du monde. Voyager à bas prix dans des avions dont le carburant est détaxé, mais contribue à l’effet de serre. Acheter aujourd’hui, et payer demain, aggravant ainsi les problèmes d’endettement social. Les promoteurs d’une réduction de la fracture sociale n’imaginent pas tout ce que notre future Constitution, si nous en approuvons le projet, va faire dans ce sens : emplois précaires, salaires en baisse, garanties sociales évanescentes.


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