Un seul problème : la consommation
par
Publication : décembre 1982
Mise en ligne : 7 janvier 2009
TOUS ceux qui jettent un coup d’oeil sur les progrès prodigieux
accomplis dans le cours des dix-neuvième et vingtième
siècles par toutes les sciences naturelles entrevoient ce qu’elles
promettent de nous donner encore avant longtemps. Tous ceux-là,
dis- je, comprennent qu’une ère nouvelle s’ouvre pour l’humanité
puise qu’elle possède tous les moyens pour y atteindre.
Mais d’autres, obstinément tournés vers le passé,
se refusent encore à reconnaître cette évidence.
Un évêque, ces jours-ci, dans une lettre pastorale, n’hésitait
pas à débuter par ces mots « la misère a
toujours existé et existera toujours ».
Cette misère qui étreint des millions d’Européens
apparaît encore comme un phénomène naturel, inéluctable
comme la mort, un phénomène faisant partie du sort de
l’être humain.
Ces pessimistes impénitents se croient au temps de la disette,
alors que les greniers sont pleins ; ils oublient que la misère
n’avait de raison d’être que parce qu’il y avait trop peu de biens
et trop d’hommes qui en avaient besoin.
Or, c’est précisément tout le contraire aujourd’hui, puisque
nous devenons tous les jours, grâce à la science, plus
riches en marchandises alors que diminue le travail humain nécessaire
pour les produire. Le fait que le chômage existe en face de stocks
invendables ne vient-il pas démontrer que le problème
de la consommation reste à résoudre ?
C’est donc la consommation qui rie marche pas. Pourquoi ? Tout simplement
parce que les aspirants-consommateurs n’ont pas les moyens d’acheter
ce qui existe, et même ce qui existerait en bien plus grande abondance
si la production pouvait prendre l’essor que le progrès technique
rend possible.
Par un raisonnement bien simple, on incrimine la monnaie qu’on déclare
n’exister qu’en quantité insuffisante pour assurer l’achat de
tous les produits qu’il est possible de créer.
Cependant, on constate que la quantité de monnaie existant en
France bat tous les records connus. Elle n’a jamais été
aussi abondante qu’aujourd’hui.
Et cela nous amène au coeur du problème. Si l’on partageait
également entre tous les Français la quantité de
monnaie en circulation et même celle qui est thésaurisée,
chacun de nous ne recevrait guère que 2 000 francs pour sa part.
Evidemment, nous ne pourrions pas aller bien loin puisque nos moyens
seraient inférieurs à l’allocation que touche le chômeur...
C’est dire que la monnaie, dans le régime actuel, joue un rôle
de simple intermédiaire et qu’elle vient dans la poche du consommateur
que pour en ressortir aussitôt dès qu’il consomme. A ce
moment- là, la monnaie devrait revenir dans la poche du consommateur
afin de lui permettre de continuer à acheter ce dont il a besoin
pour vivre.
Si elle n’y revient plus aujourd’hui, c’est simplement parce que le
consommateur n’a pu s’en procurer parce que son travail n’était
pas nécessaire pour constituer les stocks invendus...
On voit donc qu’il est impossible de résoudre le problème
de la consommation et vaincre ainsi la misère, si l’on se refuse
d’admettre que le droit aux produits et aux services doit être
libéré de la considération du travail fourni, puisque
le travail de l’homme, lorsqu’il se conjugue avec un outillage de plus
en plus perfectionné, donne un rendement qui est sans commune
mesure avec le labeur encore nécessaire.
Tant que ce postulat n’est pas admis, à quoi bon discuter avec
les gens qui, ayant installé un moteur sur une vieille carriole,
s’imaginent avoir construit une automobile !
Au contraire, si ce postulat est admis, on voit qu’il conduit à
une. transformation complète du régime économique
puisque la production sera répartie en totalité à
la consommation, à condition que chaque travailleur fournisse
la part de travail que le progrès technique rend encore nécessaire.
Lorsque ce postulat sera admis,, les moyens de transition entre les
deux régimes n’épouvanteront plus personne.
... a été écrit en 1937 !
Les choses ont-elles vraiment changé ?