Le temporel et le divin
par
Publication : décembre 1982
Mise en ligne : 7 janvier 2009
RIEN ne va plus ! tel est l’intitulé du dernier éditorial
de M.-L. Duboin. En effet, rien ne va plus ! et nulle part ! Chômage,
inflation, déficit du commerce extérieur et du Budget
; flambée de racisme et de chauvinisme propre à toute
époque troublée gravement cure d’austérité,
rien n’y manque. Pas même les bons apôtres et autres donneurs
de conseils et prôneurs de solutions. Ainsi l’Eglise elle-même
toujours aussi prompte à s’émouvoir des conséquences
de nos difficultés que peu pressée à chercher le
pourquoi des causes qui les provoquent, vient, par le truchement de
l’épiscopat d’exposer « urbi et orbi » son plan de
sauvetage consistant à inviter tous ceux qui, bénéficiant
(pour combien de temps ?) du privilège de jouir d’un poste de
travail, donc d’un revenu, à renoncer à une partie de
leurs avantages en faveur de ceux qui, exclus temporairement ou définitivement
du circuit des échanges, ont un besoin urgent d’être aidés.
Alors, et comme de coutume, l’Eglise propose comme solution la charité,
masquée il est vrai, sous le vocable plus « up to date »
de Solidarité. Ce qui a l’avantage de dégager comme un
relent polonais des plus opportuns.
Cette méthode, qui donnait les résultats que l’on sait,
était valable sous Jésus-Christ, époque de pénurie
et de dénuement que l’on peut supposer, pouvait expliquer le
don partiel ou total de ce qu’on possédait et assurait au généreux
donateur le séjour céleste. En somme, un bon placement
et à l’abri de l’inflation. Méthode dépassée
à notre époque d’abondance où il suffirait d’attribuer
un REVENU SOCIAL à tous, de la naissance à la mort, pour
éradiquer définitivement l’odieuse plaie de la misère
honte de notre civilisation.
Dépouiller Pierre pour habiller Paul ou inversement, voilà
ce que l’épiscopat propose. C’est inacceptable. Sans doute les
paroles du Christ ont guidé la décision. N’a t-il pas
dit : « Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tous ses
biens ne peut être mon disciple ou encore, répondant à
un jeune homme qui lui demandait comment se comporter pour gagner la
vie éternelle, alors qu’il observait déjà la loi
mosaïque, « Très bien, maintenant quitte toutes tes
richesses et suis moi ». Cette philosophie de l’existence n’étant
plus de mise à, notre époque, les objections souvent véhémentes
de la part de nombreux fidèles, preuve d’un tollé général,
ont donné à réfléchir. L’aspect politique
de la question n’a pas échappé à certains qui se
montrent en outre très choqués. L’exemple de M. X., de
Niort, est exemplaire à cet égard ; il a envoyé
une lettre à son évêque pour lui indiquer que cette
fois-ci la coupe était pleine et qu’il rompait avec l’Eglise
Catholique. Cet évêque Mgr Rouzier du diocèse de
Poitiers, ’tout en approuvant la position de l’épiscopat (naturellement)
, n’en convient pas moins que s’orienter vers un partage du travail
au nom de la justice sociale pose des problèmes au niveau des
individus. Parbleu ! Qui s’en étonnerait ? Faut- il inciter les
femmes à rester au foyer, ou bien, qui de l’homme ou de la femme
doit renoncer à son salaire ? Eternel dilemme pour l’Eglise dans
son prurit de vouloir contenter tout le monde et son père. Avec
l’argent des autres... autant que possible.
Quand donc l’Eglise comprendra t-elle que vouloir concilier le temporel
et le divin est tâche impossible. Sa fonction spécifique
étant d’adorer Dieu et de propager l’Évangile, se mêler
de ce qui ne la regarde pas l’expose constamment à des contradictions
irréductibles dont elle ne sort que grâce à des
arguties savantes qui ne convainquent que ceux qui le sont d’avance.
C’est son affaire. Pourtant... Faut-il rappeler qu’après s’être
désespérément opposée à la séparation
de l’Eglise et de l’Etat, elle a dû subir cette laïcité
dont elle reconnaît aujourd’hui que le catholicisme ne s’en porte
pas plus mal. Sauf dans son orgueil dogmatique en tant que perte de
prestige, donc de puissance temporelle. De même sur les questions
concernant le divorce, la contraception, l’I.V.G., l’école confessionnelle
improprement appelée « libre », ce qui laisserait
supposer que !’autre la « laïque » est esclave ! Et
ainsi que de tout autre problème de société dont
la solution relève de la puissance civile et non d’une compétence
plus ou moins divine.
Il serait temps que les camarades distributistes croyants qui luttent
à nos côtés pour l’avènement d’une société
vraiment fraternelle puisque composée d’hommes libres économiquement,
redoublent d’efforts afin de faire admettre par l’Institution politico-cléricale
qu’est l’Eglise de Rome, qu’elle peut lutter autrement qu’avec de bonnes
intentions dont les chemins de l’enfer sont pavés, paraît-il.
En s’inspirant, que dis-je, en faisant siennes, hautement et clairement,
les idées et conclusions de précurseurs tels que St. Augustin,
St. Ambroise, St. Clément, St. Grégoire le Grand et St.
Grégoire de Mysse. Tous pareillement partisans d’une conception
humaniste de la société récusant le régime
de la propriété privée considérée
à l’origine comme une usurpation. En niant à quiconque
le droit de se dire propriétaire d’une chose qui est nécessaire
à la vie de tous. « Quand tu apparus un jour, quelles richesses
as-tu apportées avec toi ? » s’exclame St. Ambroise.
Voilà pour les anciens. Plus près de nous, les prestigieuses
figures de Theilard de Chardin, spiritualiste indéniablement,
qui écrivait dans son livre « L’activation de l’énergie
» (1) , ceci : « Je pense au phénomène du
chômage qui inquiète tellement les économistes mais
qui, pour un biologiste, est la chose la plus naturelle du monde il
annonce le dégagement de l’énergie spirituelle ; deux
bras libérés, c’est un cerveau libéré pour
la pensée » A celle si sympathique de l’abbé Monin
dont sa brochure sur « l’Eglise et le droit de propriété
» le place comme un des meilleurs précurseurs parmi les
gens d’Eglise. Que dire, enfin du Professeur François Perroux,
ni utopiste ni athée, je crois, titulaire de la chaire d’analyse
des faits économiques au Collège de France, et toujours
vivant, parmi nous, qui écrivit ces fortes paroles : « Si
l’on persistait à juger d’après les critères économiques
courants (pas de rémunération sans produit), cette masse
d’individus (les exclus de l’échange), DEVRAIT ETRE ELIMINEE
SANS APPEL ». La loi du cocotier, en somme...
L’épiscopat français connaît bien tout cela. Il
sait, par conséquent, que sa proposition, véritable coup
d’épée dans le vaste Océan de la Crise, avec majuscule,
c’est du vent. Et cela est de très mauvais goût, figurez-vous,
au moment où il urge d’apporter solution sérieuse aux
problèmes qui nous assaillent de tous côtés. Car,
je le répète, rien ne va plus ! Donc, plus qu’il n’en
faut pour dire que la proposition épiscopale péché,
non seulement de puérilité, ce qui serait déjà
grave, mais aussi de complète inefficacité. Et ça
c’est désastreux si l’on songe que cela risque d’entretenir chez
beaucoup des illusions mort-nées. En supposant qu’elle vînt
à être adoptée, cette proposition se réduirait
à un simple transfert de « pouvoir d’achat » sans
accroissement aucun du volume global de celui-ci, seule considération
valable en l’occurence. Qui pis est, ce transfert ne ferait qu’aggraver
la situation générale au lieu de l’améliorer. En
effet, un système d’indemnisation, en l’occurence transfert,
qui consiste à prélever sur les salariés à
plein temps afin de redistribuer aux chômeurs, c’est déjà
ce que nous voyons sous nos yeux depuis l’institution d’une allocation
chômage et atteint rapidement ses limites. Le volume global des
versements de cotisation à la Sécurité Sociale
s’en trouverait-il accru pour autant ? Certainement pas. Alors ?. Que
l’on prenne le problème par tous les bouts on sera obligé
de convenir qu’en définitive le seul moyen de’ résoudre
le problème est d’augmenter « globalement » le pouvoir
d’achat si l’on veut réellement en attribuer un peu plus à
chacun. Hors de là point de salut ! Et c’est justement ce que
le système n’est plus en mesure de faire ! Car même les
investissements ne sont plus créateurs d’emplois, et de cotisants
par voie de conséquence. Toute amélioration de l’outillage
ayant pour but l’élimination de salariés. C’est le cercle
infernal, dont on ne verra la fin que par d’autres mesures que celles
proposées par l’épiscopat.
Mais alors le problème change du tout au tout, ou plus exactement
de nature, car le revenu distribué cesse d’être fonction
de la quantité de travail fournie. Qui ne voit là l’impossibilité
pour l’épiscopat de voir qu’il lui faudra admettre, enfin, qu’un
changement fondamental de la société s’impose ; changement
impliquant la fin du régime des échanges et sa correspondante
substitution par un système distributif dont les modalités
sont à l’heure actuelle archiconnues y compris par l’épiscopat.
Pourrait-il aller jusque là ? Ce serait pour lui la reconnaissance
officielle de la mort d’un système de production qui distribue
de moins en moins de salaires, tout en produisant une masse croissante
de biens et de services.
Malheureusement pour l’Eglise, l’état d’esprit catastrophique
appelé par elle évangélique, est encore en vigueur
dans de nombreuses contrées pas toujours nécessairement
sous-développées. Exemple fourni par le propre Vicaire
du Christ sur terre, le pape Jean-Paul Il qui n’hésite pas à
se commettre en frayant avec de notoires fripons (junta argentine, coupable
de crimes atroces, et de tortures constantes). Pas plus tard qu’aujourd’hui
les média nous informent de la découverte d’un charniier
contenant des centaines de cadavres de disparus. Pariez-vous qu’aucune
protestation semblable à celles sur la défense des droits
de l’homme en Pologne n’est près de voir le jour ? Passons. Il
y a eu les multiples mascarades en terre africaine chez des satrapes
sanguinaires et encore, le petit laïus prononcé lors de
sa visite au sinistre dictateur philippin Marcos dont voici le passage
qui nous intéresse, du fait de s’être adressé à
des foules affamées en leur conseillant « de ne point se
laisser obséder (sic) par l’appétit des biens matériels
» (resic). Passons encore une fois de plus pour en arriver à
la conclusion.
Un théologien en fonction écrivait il n’y a pas longtemps
ceci dans un hebdomadaire de large diffusion : « ... et le fait
que, dans l’histoire, l’Eglise n’a pas été et ne peut
pas être seulement spirituelle. Elle ne sera jamais non plus hors
du temps ».
Qui n’applaudirait de si bonnes et louables intentions ? Moi je réponds
bravo ! à la bonne heure car nous ne serons jamais trop nombreux
à vouloir supprimer la misère matérielle sur terre.
Et puisque l’Eglise ne veut pas être hors du temps, je souhaite
de la voir descendre dans l’arène et à visage découvert
oser réclamer avec nous l’institution d’un REVENU SOCIAL MINIMUM
GARANTI DE LA NAISSANCE A LA MORT, POUR TOUS. Seul moyen d’en finir
avec la misère régnant encore dans les pays les plus supérieurement
équipés, honte de notre civilisation. Dans ces pays, les
stocks, les entrepôts, les magasins débordent de marchandises
de toute sorte auxquelles les plus démunis, qui sont légion,
n’accèdent que sporadiquement et insuffisamment, et non sans
subir de multiples vexations bureaucratiques. L’Eglise doit se dire
que l’ère du christianisme primitif est heureusement révolue,
espérons à jamais. Et que l’ère de la véritable
fraternité est déjà commencée avec l’affectation
de 42 à 50 % selon les pays, du produit national au budget social.
D’ici nue ce pourcentage atteigne 100 % il y aura des efforts à
faire. Que l’Eglise, qui se veut dans le siècle en faisant du
« social le fasse bien et le plus tôt possible. Le temps
presse ! Car rien ne va plus On ne le répètera jamais
assez !!
(1) Publié en 1947 au Seuil.