Une évidence aveuglante


par  J.-P. MON
Publication : janvier 1977
Mise en ligne : 14 mars 2008

1976 s’est achevée dans la morosité générale la majorité se déchire et cherche une fois de plus un sauveur pour la France ; à juste titre les salariés n’acceptent pas le gel de leur pouvoir d’achat ; les patrons ne croient plus à la reprise et regardent mélancoliquement baisser leurs carnets de commandes ; les licenciements se multiplient et le gouvernement en admet maintenant la nécessité... Quant à nos distingués économistes, ils ne trouvent pas d’explications satisfaisantes, ni, a fortiori, de remède à la « crise » que nous traversons. Ils sont en plein désarroi, témoin P. Drouin, qui dans un récent article du « Monde », s’interroge sur les causes du chômage  : « Parmi les curiosités, écrit-il, d’une crise polymorphe, il y a celle, bien connue maintenant, de l’incapacité des économies qui croissent, même à bonne allure, de fournir suffisamment d’emplois à ceux qui en demandent ». Montrant que ni les adeptes de M. Rueff, ni les « Keynesiens » ne peuvent donner d’explication très satisfaisante à cette évolution, P. Drouin en vient même à se demander si c’est le niveau des investissements qui commande l’emploi.
Pour nous qui connaissons les thèses de Jacques Duboin, les choses sont claires depuis fort longtemps et nous pouvons même affirmer que plus l’investissement croît et plus l’emploi diminue.
Pourquoi investit-on, en effet ?
Pour moderniser une usine ou pour créer de nouvelles entreprises.
Or, moderniser une usine, ça veut dire acquérir des machines de plus en plus automatisées, qui, pour un moindre coût, produisent plus, avec moins de main-d’oeuvre.
Investir pour créer de nouvelles usines ? Pour produire plus  ?.. Pourquoi, puisqu’on s’efforce par tous les moyens de freiner la consommation et que les usines existantes ne tournent qu’à 70  % de leur capacité normale de production ?
Malgré cette évidence aveuglante, on constate que sous prétexte de lutter contre l’inflation, l’objectif de tous les plans des pays industrialisés est de favoriser les entreprises au détriment des consommateurs. C’est ainsi que le plan Barre a pour but principal de comprimer la demande intérieure en instaurant des impôts supplémentaires (sur le revenu, l’essence, les bénéfices, la vignette, l’alcool, etc.) en essayant de bloquer le pouvoir d’achat en 1977, en freinant les dépenses publiques d’équipement, en resserrant le crédit, etc...
On demande donc aux industriels d’investir pour produire plus et aux consommateurs de consommer moins. Même le meilleur économiste français devrait comprendre que c’est contradictoire !
Mais où avais-je la tête ?
J’oubliais la panacée universelle : l’exportation. Il faut produire plus, pour exporter davantage. Oui, mais c’est justement ce que veulent faire tous les pays industrialisés. Et cela ne va pas sans problèmes  : la C.E.E. demande au Japon de réduire ses exportations d’acier, les producteurs de chaussures des U.S.A. demandent l’arrêt des importations, qui « coûtent » 26 000 emplois aux ouvriers américains, etc... Restent, bien sûr, les pays du TiersMonde dont les besoins sont immenses mais dont l’endettement global (150 milliards de dollars) est tel qu’ils demandent un moratoire voire même des annulations de dettes. Exporter vers ces pays n’est donc ni sûr ni rentable.
Continuer à investir dans de telles conditions demande un sérieux optimisme.
Les chefs d’entreprises n’étant pas des philantropes, il n’y a donc rien d’étonnant à ce que, même pendant la récente et éphémère « reprise économique  », l’investissement soit resté à un niveau assez bas, car en économie Capitaliste continuer à investir c’est tuer le profit.
Par contre en économie Distributive, investir c’est libérer de plus en plus l’Homme du Travail.
1977 va voir s’exacerber les contradictions du capitalisme et, par la force des choses, un plus grand nombre de gens seront amenés à s’interroger sur la validité des doctrines économiques classiques. Il nous appartient donc à tous de faire un gros effort de propagande pour faire connaître et admettre les thèses de J. Duboin qui peuvent, seules, nous éviter le pire.