Tel est l’invariable slogan des Grandes Centrales
Syndicales.
Restons braqués sur l’emploi peau de chagrin, c’est sage, c’est
simplissimus, donc c’est sain. Ne cherchons pas d’autre issue, il faudrait
réfléchir, analyser, ça fatiguerait la tête.
Et, si nous trouvions autre chose, quel branle-bas ! Ne nous laissons
pas entraîner sur la pente savonneuse de la révolution
technique, faisons l’autruche. Nos lois économico- sociales ont
été pensées à l’apparition de la lampe à
pétrole une fois pour toutes.
Nos ancêtres ont travaillé, nos grands-pères ont
travaillé, nos pères ont travaillé, nous, nous
voulons du travail...
La compétence syndicale ne peut être en défaut PLEIN
EMPLOI recommande-t-elle, plein d’emplois répétons-nous.
Nous vivons du travail, nos fils vivront du travail, leurs enfants vivront
du travail. Oui, le travail à perpétuité c’est
l’idéal, c’est la libération, susurrent les augures syndicaux,
s’inspirant révolutionnairement des prophètes de l’âge
de la houe qui allaient clamant, aux hommes en lutte contre l’ingrate
nature : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front
» !
- Que manges-tu travailleur ? Du travail, ou du pain, du lait, des fruits,
de la viande
- De quoi t’habilles-tu ? De travail ou de vêtements, de laine,
de tergal ?
- Où loges-tu ? Tu te tiens devant ta machine jour et nuit, ou
tu habites dans une maison créée pour toi et les tiens ?
Les nouvelles techniques de production t’offrent tout cela, en refusant
toujours un peu plus ton concours.
Tes efforts passés, tes efforts de chaque jour ont tous tendu
à créer, perfectionner ces techniques qui te relèvent
de ta tâche et t’apportent les biens que tu convoites. A présent
que tes efforts portent leur fruit, que s’offrent à toi loisirs
et bien-être, tu doutes, tant ton attente fut longue, tu chancelles,
tant ton espoir fut fervent.
Nous arrivons, nous entrons dans une nouvelle ère. Désormais
nous aurons toujours moins de travail et toujours plus de biens à
notre disposition. C’est notre conquête à tous, le couronnement
de nos efforts.
N’écoutons pas les augures - prophètes noyés dans
l’exégèse politico-idéologique qui nous aveuglent,
nous neutralisent par l’énormité de revendications d’un
autre âge, de l’âge pré-industriel.
Prenons fermement pied sur terre. Nous n’allons pas accepter cette condamnation
aux travaux forcés inutiles à perpétuité,
sous le prétexte que cet artifice comptable, imaginé par
le capitalisme pour sauvegarder sa raison d’être : LE PROFIT,
est la solution paresseuse ? Ce serait une démission et une stupidité.
Démission après la longue lutte pour notre libération
matérielle et sociale, des générations qui nous
ont précédés ; stupidité, car le palliatif
comptable des revenus dégagés par une production nuisible
est dangereux, et précaire par la dévaluation constante
de la monnaie qu’il entraîne, par son incapacité à
assurer durablement du travail : 1 MILLION 500 MILLE CHOMEURS avoués
malgré une production « exemplaire » d’armements.
Les Commissions d’Etudes, les Conseils Economiques des Grandes Centrales
ne se sont jamais appliqués à dégager l’impact
irréversible qu’a le progrès des techniques de production
sur l’emploi de la main d’oeuvre. C’est trop simpliste.
L’assaut du machinisme, de l’automatisme, aujourd’hui de l’ordinateur
libérant l’homme du travail, lui apportant produits et biens
pratiquement sans son intervention, est « tabou » pour ces
institutions.
Nos démarches auprès de toutes les Fédérations
syndicales - dans les années 50 - sur l’incidence primordiale
de l’élimination du travail humain par la mécanisation
et l’automation naissante, restèrent lettre morte.
Depuis, 25 années de progrès accélérés
se sont écoulées, et le slogan reste : « PLEIN EMPLOI
».
Cependant, malgré cette application au silence, l’évolution
technique se poursuit, le chômage s’accroît irrémédiablement.
« Il est à la mesure du progrès technique »
écrivait Jacques Duboin dès les années 30.
L’accès aux biens et aux services, pour des millions d’individus
(chômeurs et leurs familles), est désormais dépendant
de secours sociaux. Doit- on sous le prétexte de « PLEIN
EMPLOI ». s’axer sur des productions inutiles ou nuisibles telles
que des milliers de milliards d’armements qui risquent, un jour, d’être
utilisés à notre propre anéantissement. Ou bien
doit-on revendiquer : LE SALAIRE GARANT[ pour tous, prélude au
REVENU SOCIAL que nécessite la production technicienne avancée ?
Plein emploi ! Pleins d’emplois !
par
Publication : janvier 1977
Mise en ligne : 14 mars 2008