Admission au banquet de la vie
par
Publication : février 1980
Mise en ligne : 18 septembre 2008
L’HEURE du banquet de la vie sonne pour les pays industrialisés.
C’est le message que nous lègue l’oeuvre de Jacques Duboin, en
nous démontrant les réformes économiques et sociales
radicales auxquelles nous entraîne le passage de la production
manuelle à la production automatisée. Les conséquences
en sont multiples, l’assiette de notre vie matérielle est bouleversée
et, de ce fait, toutes nos défenses et tous nos projets sont
à repenser. Nous y parvenons bien mal ; les plus avertis d’entre
nous ont des hésitations devant l’indispensable hara-kiri des
normes de l’économie d’hier. Conditionnés, façonnés
par l’économie de rareté, l’adaptation à la répartition
abondante des biens leur semble irrationnelle si elle n’est plus régie
par l’ancien critère d’inégalité économique,
comme stimulant de l’effort individuel. « Nous étions si
bien dans notre costume de première communion » !... semblent-ils
dire !
L’économie d’abondance que promeut l’évolution technique,
nous talonne avec intransigeance ; elle ne nous autorise plus à
penser comme hier. Hier, la sécurité matérielle,
la chasse au confort, étaient le stimulant ; chacun arguait de
son art, de ses qualités particulières pour s’attribuer
sa part, qu’il évaluait subjectivement, du gâteau social.
C’était humain dans le contexte de limitation des biens. Si humain
même, que ce comportement fit l’objet d’une institution : le Marché
du Travail, où se cotent les qualifications, les aptitudes, les
vertus ouvrières et bien d’autres particularités. Il n’est
donc pas étonnant que ce réflexe soit devenu une seconde
nature. Vital hier, il l’est moins aujourd’hui, et ne le sera plus demain,
quand la bride de la production pour les besoins sera lâchée.
On ne se dispute que les biens rares, on ne se dispute pas ce qui est
abondant. Jacques Duboin disait : « Imaginez un banquet où
foisonnent les mets ; il y en a bien suffisamment pour les convives,
puisque votre carte d’invité vous permet de puiser dans les plats
à volonté. Aurez-vous l’idée saugrenue de jouer
des coudes pour prendre dans l’assiette du voisin et vous surgaver »
?
La carte d’invité nommée Revenu Social fera le même
office.
La sécurité et la satisfaction des besoins assurées,
le réflexe de lutte pour la vie change de niveau. Est-ce un mal
? S’il était un stimulant pour les plus âpres, n’était-il
pas, dans la même mesure. un préjudice décevant
pour les autres, puisque leur part des biens en était restreinte
? Cette règle équitable qui découle de l’état
même d’abondance, nous ouvre la voie de la solidarité pour
l’oeuvre de production collective ; ce stimulant méprisé
dans le contexte actuel prendra, demain, le pas sur l’étroit
intérêt particulier, pour devenir le moteur du bien-être
de tous.
L’INEGALITE ECONOMIQUE, issue du fonctionnement de l’économie
de rareté, perd sa qualité de prime devant l’efficacité
des techniques productives. La maintenir artificiellement sous le prétexte
que l’EGALITE ECONOMIQUE heurte notre psychologie toute subjective,
nous sort de la logique des faits.
Nous savons bien que tant que se maintiendra l’échange lucratif,
il ne pourra être question de sortir de l’inégalité
économique puisqu’elle est la condition même du capitalisme.
L’égalité économique ne s’imposera donc que quand,
l’échangisme ne parvenant plus à remplir son rôle
de répartiteur des biens, nous passerons au système de
leur distribution.
Le désaccord sur l’égalité ou l’inégalité
provient beaucoup de ce que certains camarades envisagent une amorce
de l’Economie Distributive dans le cadre de l’économie actuelle,
et se trouvent entraînés à des concessions contradictoires.
Situons le problème dans son véritable contexte économique
et nous parlerons le même langage.