Assa Traoré, la nouvelle voix(e) des quartiers populaires

Tribune libre
par  A. DIOP, B. BLAVETTE
Publication : décembre 2019
Mise en ligne : 20 mars 2020

 Présentation du texte sur A. Traoré

Le faible niveau de développement spirituel qui caractérise notre espèce rend probablement indispensable la mise en place d’une force de police chargée de réguler le fonctionnement de tout groupement humain organisé. Dans un état hypothétique réellement démocratique, la mission principale d’une telle police serait de maintenir le calme indispensable au bon déroulement des débats qui caractérisent la “vie de la cité”, de gérer au mieux les cas de ceux d’entre nous qui se sont égarés. Mais dans nos sociétés de faible intensité démocratique la police n’est pas chargée de favoriser, de protéger une forme de sérénité dans la vie publique mais de maintenir un ordre issu de la volonté des classes dominantes de préserver leur pouvoir et leurs privilèges. Et peu importe si l’imposition de cet ordre implique des pertes en vies humaines. C’est ainsi qu’Adama Traoré fait partie de la longue liste des personnes décédées entre les mains de la police française dans des circonstances qui n’ont jamais été éclaircies [1] : Rémy Fraisse, tué par une grenade le 26/10/2014 lors d’une manifestation contre la construction du barrage de Siévens dans le Tarn  ; Liu Shaoyao, abattu dans son appartement dans des circonstances obscures par la Brigade Anti Criminalité (BAC) le 26/3/2017 suite à l’appel d’un voisin se plaignant d’un…tapage nocturne  ; Aboubakar Fofana, abattu lors d’un contrôle de police à Nantes le 3/7/2018  ; Zined Redouane, octogénaire marseillaise tuée à sa fenêtre par une grenade le 1/12/2018 suite aux premières manifestations de “gilets jaunes”… Et l’on pourrait continuer à égrener dans le temps cette liste sinistre en remontant jusqu’au massacre de la station de métro Charonne où 9 personnes perdirent la vie et 250 furent blessées le 8/2/1962 dans une manifestation contre la guerre en Algérie, jusqu’à la “Rafle du Vélodrome d’Hiver” perpétrée les 16 et 17 juillet 1942 par 9.000 policiers et gendarmes français au service du régime de Vichy.

Les actions judiciaires intentées par les familles ont, à ce jour, abouti à des non-lieux ou se sont enlisées dans les méandres d’une justice peu soucieuse d’établir la réalité des faits. Jamais l’Etat n’a eu le moindre geste, ne serait-ce que de simple humanité, en direction des proches des victimes. Il est vrai que, comme l’affirme Emmanuel Macron, « il y a ceux qui ne sont rien… ».

Alors le texte d’Anna Diop que nous publions ci-dessous est un cri de rage face à la violence d’un état qui se prétend démocratique, face à la violence véritable, celle d’une police qui s’attaque sans discernement à la vie et à l’humain, une violence qui va bien au-delà du bris de quelques vitrines par les “gilets jaunes”.

Ce texte est à rapprocher de celui d’Elisabeth Peredo Beltran (Le vivant en flammes, GR 1211) qui dénonce avec véhémence la destruction de l’Amazonie et des peuples qui l’habitent par quelques multinationales à l’avidité insatiable.

C’est ainsi qu’une petite oligarchie d’ultra-riches psychopathes, dévorés par la démesure, s’attaque à tout ce qui vit, pense, bouge et respire. Il est grand temps de l’abattre.

Bernard Blavette

 ·*·

Si le nom d’Assa Traoré vous est encore inconnu à ce jour, vous pouvez dès à présent le retenir bien fort. Car c’est bien ce nom qui fait bouger toute une partie de la France aujourd’hui. C’est bien cette femme, éducatrice spécialisée de profession, qui braque aujourd’hui les projecteurs sur les quartiers populaires urbains de France mettant en lumière cette vibrante énergie de leurs habitants, remplis d’espoir de voir leurs conditions de vie s’améliorer et déterminés à se faire entendre. C’est cette même femme qui fait trembler tout un système institutionnel, judiciaire et politique, discriminatoire et profondément raciste en réclamant sans relâche « vérité et justice » pour son frère Adama.

Car oui, si Assa Traoré est devenue la figure des quartiers populaires, c’est suite à un drame : celui de la mort de son petit frère Adama Traoré, mort le jour de ses 24 ans, le 19 juillet 2016 à Beaumont-sur-Oise (60), lors d’une interpellation par trois gendarmes. Alors qu’Adama se promène à vélo, les gendarmes décident de le contrôler, sans raison apparente : un contrôle au faciès. Car, oui, en France, lorsque l’on est noir, de surcroît un homme, jeune, habitant un quartier populaire, les forces de l’ordre vous demandent constamment de justifier votre présence dans un lieu public en montrant votre carte d’identité. Une carte d’identité qui est un “gilet pare-balle”, comme le dit Assa Traoré. Sans elle, un homme noir se retrouve facilement en garde à vue, alors même qu’il n’a aucune obligation légale de l’avoir sur lui.

Ce 19 juillet 2016, Adama Traoré n’a pas sa carte d’identité sur lui. L’issue de ces habituels contrôles de police lui est bien connue, alors il tente d’y échapper, mais les gendarmes ne le laissent pas aller bien loin. Ils le rattrapent et réalisent sur Adama Traoré un plaquage ventral : trois gendarmes, agenouillés sur le corps d’Adama au sol, qui ne peut plus respirer. Alors qu’ils l’amènent à la gendarmerie, Adama Traoré se trouve dans un état critique. Au bout de plusieurs heures, les pompiers finissent par être appelés, ces-derniers devront demander à deux reprises qu’on lui retire les menottes afin qu’ils puissent porter secours à Adama Traoré.

Mais cela ne suffira pas, cette violente interpellation et la non-assistance à personne en danger des gendarmes auront eu raison de la vie d’Adama Traoré.

Depuis cette date, s’ensuit une lutte acharnée de la famille Traoré et des habitants du quartier, qui fondent le Comité Vérité et justice pour Adama avec, en tête d’affiche du mouvement, Assa Traoré. L’objectif est d’obtenir la mise en examen des gendarmes ; qu’un procès puisse enfin avoir lieu. Des démarches judiciaires (réalisation de contre-expertises, la libération des frères Traoré enfermés au cours de leur lutte pour la vérité) aux démarches politiques (l’écriture de deux livres, une mobilisation citoyenne, des unes médiatiques), le mouvement est rassembleur. Lors de la marche blanche pour les trois ans de la mort d’Adama Traoré, ce sont plusieurs milliers de personnes qui se sont déplacés jusqu’à Beaumont-sur-Oise, pour témoigner leur soutien à la famille et réclamer justice.

Inédit de voir autant de personnes de divers milieux sociaux se déplacer en banlieue, dans un quartier populaire. Et pour cause, ce mouvement va bien au-delà de la mort d’Adama Traoré : ce nom n’est qu’un de plus, ajouté à une liste conséquente de jeunes morts lors d’interpellations des forces de l’ordre, des jeunes habitants des quartiers populaires, souvent issus de l’immigration. On se demande souvent dans les milieux militants traditionnels où sont les habitants des quartiers populaires, où sont les jeunes ? Et bien ils sont là, derrière Assa Traoré qui a réussi à leur montrer que leur voix pouvait compter, qu’ils pouvaient se faire entendre, de façon digne, à visage découvert, sans qu’ils aient à se travestir. Ils sont là, avec à leurs côtés des gilets jaunes qui réalisent que les violences policières qui ont eu lieu lors des manifestations du mouvement, n’étaient en réalité qu’une reproduction de ce qui se passe dans les quartiers populaires depuis des dizaines d’années. Ils sont là, avec à leurs côtés toute cette frange de la population française qui ne vit pas dans les quartiers populaires mais ne se sent pas pour autant moins concernée et souhaite dénoncer avec eux ce système violent et raciste. Ils sont là, et se rassemblent derrière ce qui représente aujourd’hui une vraie gauche. Un réel mouvement politique, citoyen derrière laquelle les oubliés de la politique, les déçus des promesses non tenues, peuvent croire à nouveau au changement. Une page de l’histoire est en train de s’écrire, et il est important que chacun d’entre nous puisse prendre part à cette écriture.

Aujourd’hui, le système cherche à inverser la situation : faire passer les bourreaux pour des victimes, et les morts pour des criminels. Les gendarmes ont porté plainte contre Assa Traoré pour diffamation, lorsque celle-ci les a tout simplement nommés en établissant une vérité de fait, à savoir qu’ils sont impliqués dans la mort d’Adama Traoré et qu’ils devraient donc être mis en examen pour cela. Une technique d’intimidation de plus. Mais ne vous y trompez pas. Si Assa Traoré est ce qu’elle représente aujourd’hui, elle n’a de cesse de répéter que c’est grâce à un combat porté avant par des forces locales ; et ce combat local, s’il est aujourd’hui national, c’est parce qu’il peut s’appuyer, de près ou de loin, sur une multitude de soutiens. Si Assa Traoré est amenée à être enfermée, l’ensemble de ces soutiens seront toujours bel et bien présents, plus nombreux et révoltés que jamais.

Anna Diop

 

Livre co-écrit par Assa Traoré et le sociologie Geoffroy De Lagasnerie, entre description des faits de l’histoire du combat et description d’un système judiciaire et politique.

Nous découvrons dans ce livre que la famille Traoré est un symbole, une illustration des liens entre la France et l’immigration, sur trois générations : 

•Le grand père, ancien combattant pour la France, est mort à la guerre 39-45.

•Le père, arrivé en France à l’âge de 17 ans, travaillait sur les chantiers. Il est mort à 52 ans d’un cancer dû à l’amiante. 

•Adama est mort à 24 ans, suite à l’intervention des gendarmes.


[1Tous les faits cités ci-dessous peuvent être vérifiés et précisés en consultant tout simplement l’encyclopédie en ligne Wikipédia.


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