Au fil des jours

Actualités
par  A. PRIME
Publication : août 1990
Mise en ligne : 14 avril 2008

France : ping-pong social
Après neuf années de pouvoir élyséen "de gauche", il aura fallu une nouvelle baisse marquante de la cote de Mitterrand pour que reprenne le petit jeu de ping-pong du Président avec son Premier Ministre sur les thèmes : "plus de justice sociale, meilleur partage de la croissance".
Les deux se renvoient la balle, mais rien de concret, de positif ne sort de leurs discours qui se révèlent, au fil des années depuis 1981, une escroquerie verbale envers leurs électeurs et les militants socialistes, les deux étant, par voie de conséquence, en perte de vitesse.
Rocard a emprunté à Mitterrand son "truc" : "donner du temps au temps" : En 1988, souvenez-vous, il demandait 15 à 18 mois pour "réduire les inégalités sociales" ; deux ans après, il demande trois nouvelles années, alors que la croissance avoisine 4 % (taux des trente glorieuses). De qui se moque-t-il ?
A peine Mitterrand a-t-il dénoncé (?) "l’argent gagné en dormant" que le Palais Brongniart tousse. Immédiatement Rocard proclame que la bonne santé de la Bourse est nécessaire à l’économie des démocraties libérales, et tout rentre dans l’ordre.
En attendant tout le monde, tous les instituts, reconnaissent que le fossé ne cesse de se creuser entre les riches et les pauvres (1) ; 500 personnnes, soit le quart des effectifs, vont perdre leur emploi à la SFP ; Michelin prévoit un "nouveau plan social de restructuration" (admirez au passage l’expression), soit, plus prosaïquement 2.600 licenciements. Or, la production de Michelin ne diminue pas ; il mécanise, robotise et on continuera à prétendre que l’investissement productif crée des emplois.
Oui, les socialistes au gouvernement ont totalement trahi leurs promesses. Quels résultats attendent-ils de leur politique ? Que Le Pen qui, ne l’oublions pas, pique autant de voix, sinon plus, à gauche qu’à droite atteigne le quart des suffrages, voire davantage (cf Villeurbanne) ? C’est le sens de l’entente tactique RPR-UDF pour présenter un candidat unique au premier tour des présidentielles.

En effet, l’éventualité à cinq ans d’un score Le Pen 20%, RPR 15%, UDF 15% est tout à fait envisageable au train où vont les choses. Ainsi Le Pen pourrait-il le plus légalement du monde devenir le candidat de la droite (voir Hitler).
Le PS fourrier du fascisme en France ! On aurait tout vu.

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Elections à l’Est : deux poids, deux mesures
Suivant l’exemple de la Pologne, les élections libres en RDA, Hongrie et Tchécoslovaquie se sont traduites par une nette victoire de la droite : environ 45% des voix au parti ou à la coalition dominants.
Par contre en Roumanie et en Bulgarie, les résultats ont été exactement inverses. Les partis continuateurs des communistes, rebaptisés socialistes, ont obtenu la majorité dans des élections régulières selon le constat des observateurs étrangers eux-mêmes. Seraitce la troisième voie possible que nous souhaitions aux pays de l’Est opérant leur "révolution"  : un socialisme réel à visage humain ?
Quoiqu’il en soit, les résultats n’allant pas, dans ces deux pays, dans le sens souhaité par les pays capitalistes - économie de marché sans réserve, libéralisme intégral on continue à fomenter des troubles. Au Nicaragua, Noriega avait joué le jeu : parfait, rien à redire. En Roumanie, les mêmes élections sont dénoncées : PC déguisé, ombre de Ceaucescu. Un commentateur de télé en France parle de "répit" pour les communistes en Bulgarie et Roumanie. De quel droit - démocratique - établir deux poids, deux mesures ? Les urnes n’ayant pas répondu à leur désir, les Occidentaux admettent et même défendent le fait que la contestation, les troubles continuent sur la place publique. Et de dénoncer, non sans esprit type Timisoara, qu’un gouvernement veuille faire respecter la loi. Les Français, c’est bien connu, ont la mémoire courte ; ont-ils oublié mai 68 ?
Par contre, qu’on prévoie deux millions de chômeurs en RDA, que 53% des personnes craignent de perdre leur emploi n’émeut pas nos censeurs : c’est le prix à payer, commentent-ils, pour la liberté et les beautés de l’économie de marché.

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Elections en Algérie : un XXIe siècle religieux ?
On s’en souvient, Malraux prophétisait : "Le XXIe siècle sera religieux ou il ne sera pas". La victoire sans appel des Intégristes, ou FIS, (plus de 60% des suffrages, contrôle de la plupart des grandes villes) est inquiétante, mais elle est sûrement le fruit de l’incurie des dirigeants FLN confortablement installés au pouvoir, incapables de résoudre les problèmes économiques, alors qu’ils avaient montré, dans leur longue guerre de libération coloniale, tant de courage, tant de savoir.
L’Iran, les républiques soviétiques musulmanes, l’Algérie, la Tunisie et le Maroc touchés, c’est le retour en force du fanatisme religieux avec ses conceptions d’un autre âge
assujétissement de la femme, démographie incontrôlée.
Sans qu’heureusement leur influence soit aussi pernicieuse que dans les pays musulmans, il ne faut pas oublier que les "révolutions" des pays de l’Est ont eu pour support les églises, qu’elles soient catholiques comme en Pologne, ou protestantes comme en RDA.
Le moins que l’on puisse en dire en "cette fin de siècle obscure", pour reprendre le titre du dernier livre de Max Gallo, c’est que la raison ne domine pas. Où est le "siècle des lumières" ? Et cependant, les "lumières" isolées ne manquent pas nous pouvons dire sans fausse modestie que les distributistes après Jacques Duboin sont l’une d’elles.

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URSS : étrange Gorbatchev
Toutes les craintes que nous avons exprimées depuis des mois dans la Grande Relève apparaissent de plus en plus fondées au fur et à mesure que le temps passe.
On pouvait lire dans le Monde du 16 juin cette incroyable dépêche de l’AFP reproduite sans commentaires : "URSS - Etats Unis : M.  Sununu attendu à Moscou pour conseiller M. Gorbatchev sur l’organisation de la présidence - Le secrétaire général de la Maison Blanche, M. John Sununu, le plus conservateur des principaux collaborateurs de M. Bush, se rendra à Moscou pour conseiller M. Mikhaïl Gorbatchev sur l’organisation et le fonctionnement de sa présidence, a-ton annoncé jeudi 14 juin de source officielle américaine".
On savait déjà que, depuis janvier dernier, fonctionnait une commission mixte franco-soviétique Stoléru étant responsable pour la France - pour rechercher les meilleurs voies possibles pour passer à l’économie de marché. Ombres de Marx et de Lénine, quel spectacle pour vous !
Gorbatchev, il y a peu encore homme adulé dans le monde capitaliste, ainsi que ses politiques et ses économistes, dans un pays de 2.800.000 âmes, seraient-ils indigents au point d’avoir de tels recours ?
Triste, décevant, inquiétant, à peine imaginable. II est vrai qu’après cinq années de pérestroïka (restructuration), les magasins sont de plus en plus vides.
Boris Eltsine ("Eltsine, c’est Pierre Poujade", dit Alain Minc), ennemi juré de Gorbatchev depuis que ce dernier l’avait mis à l’écart, rénovateur ultra, vraisemblablement homme de paille ou roue de secours de l’Occident, qui a produit un livre sans consistance mais au titre évocateur : `Jusqu’au bouf’ a réussi à se faire élire président du Parlement de Russie. La Russie n’est théoriquement qu’une des quinze républiques d’URSS, mais elle représente 50 % de son territoire et de ses habitants.
Peu de temps après par contre, un conservateur s’est fait élire responsable du PC de la même république. Les "Conservateurs" reviennent en force au Congrès du PC : ils accusent Gorbatchev de trahir Marx et Lénine. L’armée est sûre ment discrètement derrière eux. A l’heure où nous écrivons - le Congrès vient de s’ouvrir -, on ne peut rien dire de plus.
Nous conclurons seulement, avec Hélène Carrère d’Encausse (Radio Monte Carlo le 2 juillet 1990) : "Gorbatchev a perdu le pouvoir réel, il lui reste le pouvoir apparent". A suivre.

(1) Le rapport du CERC, pour 1989, vient une nouvelle fois confirmer : "Les revenus de travail ont moins progressé que ceux du patrimoine et de l’épargne" ?le Monde 4.7.90). Le pouvoir d’achat des smicards (1.700.000) a encore baissé de 0,7 % après moins 0,5 en 1988. L’augmentation de la cotisation assurance-vieillesse de 1 % au premier janvier 1990 (toujours les mêmes qui paient) a réduit et l’INSEE, avec le CERC, confirme - le gain de pouvoir d’achat dans le secteur privé à 0,1 %.
Par contre, les revenus des professions libérales e commerciales continuent à être en forte hausse. Le revenu agricole a augmenté de 10,8 % en moyenne (là aussi il faut distinguer entre les gros et les petits : de + 67 à - 12) : et le CERC précise que cette augmentation est due essentiellement à "l’assainissement des marchés". Les distributistes traduiront cette monstruosité, quand des millions d’êtres humains meurent de faim.