L’ABONDANCE : TOUJOURS LA BÊTE NOIRE DE L’ÉCONOMIE
Il n’est pas nécessaire d’avoir lu les ouvrages de Jacques Duboin pour le savoir. Regardons simplement les commentaires du journal « Le Monde » du dimanche-lundi sur les cours des matières premières ; voici quelques extraits de ce qu’on a pu lire ces derniers mois :
Le caoutchouc : « Pour la première fois depuis deux ans, afin de mettre un frein à la baisse des cours, le directeur du stock régulateur a procédé à des achats de soutien (...) car les cours du naturel ne doivent pas tomber en dessous de 166 cents malais le kilo. »
Le zinc : « Nouvelle et vive progression des cours (...). La raréfaction des disponibilités a mis le « feu aux poudres », accentuée par une grève qui paralyse les installations d’une importante société australienne. »
Le nickel : « Une réduction de 25 % de la production à cause de la grève qui se poursuit chez Western Mining Corp Holding Ltd en Australie a contribué à la fermeté du nickel ».
Le cuivre : « (ayant connu) déjà une orientation favorable au cours de ces dernières semaines, il a vivement progressé à la suite du tremblement de terre au Chili. »
Les textiles : « Les cours du coton ont été soutenus sur le marché de New York. La récolte pakistanaise est évaluée pour la saison en cours à 5,7 millions de balles, supérieure de 500 000 balles à l’objectif assigné. »
Le sucre : « Chute des cours (...). Autre facteur défavorable, la récolte de l’Afrique du Sud atteindra le niveau record de 2,30 millions de tonnes, soit presque le double de la campagne 1983-84. »
« Nouvelle et sensible baisse des cours du sucre
(...). Des stocks abondants pèsent toujours sur le marché.
»
« Les cours du sucre n’arrivent toujours pas à décoller
et pour cause... La surabondance est toujours omniprésente. »
Les oléagineux : « Les cours ne cessent de se replier au
fil des semaines. Les prochaines récoltes s’annoncent sous le
signe de l’abondance. »
Le blé : « La perspective d’une diminution variant entre
3,6 % et 6 % des superficies ensemencées en blé d’hiver
a donné un petit coup de fouet à cette céréale.
»
Le soja : « Nouveau recul des cours de tourteaux de soja. Toutefois,
la récolte brésilienne de soja risque d’être inférieure
en raison de pluies diluviennes. »
Ainsi, grèves, tremblements de terre, pluies diluviennes deviennent
garants de la bonne marche de secteurs de production de matières
premières ; et quand cela ne suffit pas à maintenir les
cours, il faut constituer des stocks ou réduire les superficies
agricoles.
D’ailleurs, le 11 mars, à une réunion des ministres de
l’Agriculture de la CEE, on a entendu Michel Rocard - encore ministre
de l’Agriculture - plaider en faveur de l’utilisation industrielle des
céréales. On prévoit en effet que sur les 32,7
millions de tonnes de blé de la récolte française
de 1984, plus de 5 millions ne pourront être écoulées
(« Science & Vie » - avril 1985).
L’abondance frappe à nos portes, et on fait tout le possible
pour l’empêcher d’entrer ! Cette attitude demeurera pourtant inévitable
aussi longtemps qu’on s’acharnera à se faire l’avocat de l’économie
de profit, qui a pour ennemi n° 1 l’Abondance.
ETATS-UNIS : FINIE LA REPRISE
Outre-Atlantique, la surabondance de céréales
est encore plus difficilement vécue : les exportations sont en
baisse, et l’écoulement à l’intérieur du pays n’est
pas non plus aisée. Cette situation devient d’autant plus grave
cette année que Reagan, soucieux d’enrayer l’énormité
du déficit budgétaire, a supprimé les subventions
aux agriculteurs. Parmi les derniers, nombreux sont ceux qui font faillite
et qui doivent mettre leur exploitation en vente.
C’est ce qui a conduit, dans l’Etat de l’Ohio, à une perte de
confiance des épargnants, vis-à-vis des banques auprès
desquelles les agriculteurs insolvables avaient emprunté : on
se précipitait pour retirer les dépôts des banques
concernées. Les pouvoirs publics ont dû alors intervenir
- le 15 mars 1985 - pour fermer soixante-dix banques de cet Etat pendant
quelques jours, après lesquels, des accords ayant été
passés et la confiance étant plus ou moins restaurée,
la réouverture s’est faite, mais les sommes pouvant être
retirées ont été strictement limitées.
Cette panique a eu pour effet d’amorcer la baisse du dollar, confirmée
quelques jours plus tard, après l’annonce du taux de croissance
estimé pour le 1er trimestre 1985 : 2,1 %. (Les experts avaient
prévu 4 %).
Un mois auparavant, l’Association des Economistes avait considéré
(à raison de 52 % des économistes contre 17 %) que les
Etats-Unis entreraient l’an prochain dans une phase de récession.
Celle-ci se produira peut-être encore plus tôt que prévue.
MULTIPLICATION DES VICTIMES DU F.M.I.
Le FMI (Fonds monétaire international) continue à faire appliquer aux pays pauvres endettés, en échange de l’octroi de crédits, des politiques d’austérité de plus en plus rudes, qui se traduisent par de fortes baisses du pouvoir d’achat que les populations commencent à ne plus supporter. Au Soudan par exemple, on a pu voir des milliers d’étudiants manifester contre le FMI, rejoints par des foules criant « Nous avons faim ! ». C’est cette agitation qui, d’abord sévèrement réprimée par la police, a conduit au renversement du gouvernement. Mais que sont les gouvernements, sinon des institutions garantes de la pérennité du système et donc de l’oppression des individus ! Le problème n’est ainsi guère moins difficile en Argentine - pays maintenant dit « démocratique » - où un million d’employés de l’Etat menacent de se mettre en grève si leurs salaires ne sont pas indexés à 90 % de l’inflation, qui est de l’ordre de 1250 % ; autrement dit, ils ne veulent pas que leur pouvoir d’achat diminue de plus de 10 % par an !