Et le chômage ?
par
Publication : mai 1985
Mise en ligne : 9 mars 2009
Certes, depuis le début de l’année -
et particulièrement pendant la campagne des cantonales - le PS
a pu, avec juste raison, s’enorgueillir de certains résultats,
tant sur le plan économique que social.
Sur le plan économique : inflation, en 1984, de 6,7 % au lieu
de 14 % sous M. Barre ; balance des paiements équilibrée
; reprise de l’investissement productif + 11 %...
Sur le plan social : retraite à 60 ans ; minimum vieillesse : +
68 depuis 1981 ; SMIG : + 60 % ; 5e semaine de congés payés,
etc...
MAIS LE CHÔMAGE ?
C’est un domaine dans lequel orateurs ou tracts socialistes
ne s’aventurent guère : seuls les « TUC »... Mais
cette hirondelle - même avec 100 ou 150 000 emplois à mi-temps
- ne peut faire le printemps... le printemps du « plein espoir
» de 1981.
Le 1er février, à Rennes, F. Mitterrand, dans un discours
assez remarqué, avait tout d’abord recensé « ce
qui allait ». Mais il lui fallait bien venir à «
ce qui ne va pas » : c’est l’emploi. « Le gouvernement Mauroy,
le gouvernement Fabius se sont attaqués aux racines du mal, c’est-à-dire
aux déficits, à l’inflation. A partir de là, on
peut repartir du bon pied. Vous me direz : « Mais quand ? Vous avez
hérité de 1 700 000 chômeurs. Vous en êtes
à 2 400 000 ». C’est trop. C’est la priorité absolue.
(...) Il est impossible, sans avoir guéri le mal à la
source, d’empêcher la progression du mal. (..) Nous avons déblayé
le terrain. Nous sommes en mesure de nous attaquer au chômage.
(..) Le gouvernement prépare des mesures. Non pas un plan supplémentaire
de lutte contre le chômage, mais vous en verrez les effets. Je
suis confiant. Non pas pour que le chômage cesse mais pour que
la courbe commence à s’inverser. Et ce jour- là, les Français
retrouveront l’espoir. lis sauront que nous avions raison. »
Evidemment, le chef de l’Etat, ex-chef du PS, sait bien que son électorat
de mai 1981 ne l’a pas porté au pouvoir pour que les chômeurs
- avoués - passent de 1 700 000 à 2 400 000 en 4 ans.
M. Mauroy, par la suite, avait suffisamment insisté pour qu’on
se maintînt « sur la crête de 2 millions de chômeurs
», en attendant la décélération. Hélas,
c’est le contraire qui s’est produit : la courbe n’a fait que grimper
malgré un « traitement_ social » intensif du chômage
: préretraite, retraite à 60 ans, stages formation...
Et le traitement social du chômage ne pouvait durer qu’un temps
: après, il fallait bien se colleter au traitement économique
et c’est alors que l’on constate que l’économie marchande NE
PEUT PAS résoudre le problème du chômage.
Les militants socialistes n’ont peut-être pas tous oublié
le « Projet Socialiste » de 1980 ; notamment le chapitre
sur « le DROIT A L’EMPLOI » : « Oui, le plein emploi
est possible. Il n’y a pas d’urgence plus grande que de rendre aux travailleurs
et aux travailleuses de France leur dignité d’homme ou de femme,
de les faire sortir de cette condition d’assistés ou de marginaux
dans laquelle les cantonne le pouvoir actuel ».
« Le pouvoir actuel ? ». En 1980, c’était Giscard.
Mais en 1985...
Le chômage est un immense gaspillage » ; « Le chômage
est un cancer social » ; « Pour sortir de la crise, il faut
sortir du capitalisme en crise ».
Il y a une différence fondamentale entre la crise des années
30 et la crise actuelle, même si elles sont de même essence
: la première fut soudaine, la production baissa massivement,
les chômeurs se trouvèrent pratiquement sans ressources
; la deuxième s’est développée lentement, la production
n’a jamais chuté, en France du moins, au dessus du point de croissance
zéro, le chômage est indemnisé (de plus en plus
mal, il est vrai). OR LE CHOMAGE ATTEINT DES PROPORTIONS BIEN SUPÉRIEURES
A CELLES DES ANNÉES 30.
Alors qu’en 1982 et 1983, avec une croissance quasi nulle, le chômage
n’avait augmenté que de 5 %, en 1984, avec une croissance de
2 % - ce qui n’est pas « catastrophique » comme le clame
la droite - le nombre des chômeurs a augmenté de 300 000
(14 %). Eclairant, non ? Rappelons qu’en novembre 1983, l’INSEE prévoyait
doctement... 86 000 chômeurs de plus par an avec une croissance
de la production de 1,60 %. On est loin du compte : 214 000 chômeurs
de plus que prévu et avec 2 % de croissance et non 1,60 %.
Comment M. Mitterrand peut-il espérer que, dans ces conditions,
« la courbe commence à s’inverser » ?
" Les TUC ? 100 000 à 200 000 jeunes à mi-temps
avec des salaires très bas : c’est mieux que rien, mais chacun
sent bien à quel point c’est dérisoire face à l’ampleur
du problème.
" Le travail partagé ? Cas isolés montrés
en exemple à la télévision. Michel Albert, dans
son livre « Le Pari Français », avait préconisé
cette solution. Mais les patrons ne vont pas s’encombrer d’une double
gestion de personnel, d’un double souci de licenciements, etc... Sauf
avantages marquants... à la charge de la communauté. Et
de toute façon, cela, comme les TUC, ne génère
que des demi-salaires : ce n’est pas ainsi qu’on peut « relancer
la consommation », donc la machine économique.
" Les techniques de pointe ? On affirme qu’elles vont créer
de nouveaux emplois : vrai, c’est l’évidence même. Mais
qui oserait soutenir qu’elles créeront plus - ou simplement autant
d’emplois - que les anciennes industries, mécanisées,
robotisées en supprimeront ? Donc globalement, pas de résorption
du chômage à attendre de ce côté.
" Le tertiaire, l’informatique, la bureautique... ? Là
aussi une grande espérance s’effondre : les techniques nouvelles
« rejettent désormais des emplois du tertiaire.
" L’investissement productif ? Pendant des années, le meilleur
économiste de France, M. Barre, puis les socialistes, ont repris
l’antienne. Aujourd’hui la baudruche est enfin dégonflée.
Nul économiste, nul journaliste sérieux, nul homme politique
sincère n’ose soutenir que l’investissement productif est créateur
d’emplois ; sinon le temps de perfectionner ou de créer des machines
qui jetteront à la rue les travailleurs : voyez l’automobile,
le téléphone, etc...
L’investissement non productif - bâtiment, grands travaux - créerait
un certain nombre d’emplois : mais, là, ce sont les crédits
qui manquent.
" La réduction du temps de travail ? On en reparle, surtout
après la grande grève de 1984, en RFA, de l’I.G. Metall.
Mais tout le monde - socialistes en tête - ne la conçoit
qu’avec diminution parallèle des salaires, donc du « pouvoir
d’acheter » ; alors que les syndicats allemands, non politisés,
défendant leurs seuls intérêts, demandaient carrément
35 heures sans baisse du salaire : cela devait résorber environ
500 000 chômeurs. Comme ils n’ont obtenu que 38h30, l’incidence
sur le chômage est faible.
Il est vrai que si l’on réduisait de façon significative
- à 35 heures par exemple - le temps de travail, on créerait
400 à 500 000 emplois. Au mieux. Mais si on diminue le pouvoir
d’achat,, on ne résoudra pas le problème de la consommation,
donc de la production, donc de la crise (cf. le partage du travail).
Et, étant donné la concurrence démentielle de l’économie
marchande mondiale, il n’est guère concevable que les dirigeants
d’un seul pays prennent le risque de telles décisions. Il faudrait
pour le moins un consensus européen.
Ce survol des solutions « capitalistes » montre clairement
QU’AUCUNE MESURE - ET MÊME QU’AUCUNE SOMME DE MESURES - ne peut
résorber, de nos jours, un taux de chômage allant de 8
à 14 %, puisqu’avec les fantastiques progrès techniques
- robotique notamment - des dix dernières années, on constate
que même une augmentation de 2 % de la production jette 300 000
travailleurs à la rue. De fait, on ne cesse de nous brandir de
futurs « dégraissages » : 50 à 100 000 par-
ci, 30 000 par-là... Mais alors -dernier recours- une croissance
annuelle des « 30 glorieuses » retrouvée (5 à
6 °/o l’an) résorberait-elle le chômage ? Ce taux de
croissance absorberait en gros les 300 000 nouveaux venus sur le marché
chaque année. Avec des techniques bien évoluées,
et au vu des chiffres actuels, au mieux une croissance de 5 à
6 l’an empêcherait le chômage d’augmenter, mais jamais elle
ne résorberait 2 500 000 chômeurs en France, 3 500 000
en Angleterre... (1)
Et - question importante - un tel taux de croissance est-il encore possible ?
C’est bien le cas en Amérique, direz-vous, depuis 2 ans. Nous
nous permettons de renvoyer le lecteur à notre article «
America, America » (G.R. de janvier) : c’est le « keynésianisme
militaire » (+ 9 à 10 % de crédits en volume chaque
année) de « Reagan le libéral », qui a relancé
l’économie américaine, en super- crise les 2 premières
années de son mandat. Voyez avec quel acharnement Reagan - en
« honnête » représentant du lobby militaro-industriel
- se bat pour empêcher le Sénat et la Chambre de réduire
le budget militaire.
C’est pourquoi la reprise américaine, par ailleurs en dangereux
déséquilibre (déficits budgétaire et commercial)
n’a pas entraîné de reprise significative des économies
européennes, comme les experts l’annonçaient : il faudrait
sans doute, comme aux USA, augmenter fortement les dépenses militaires
(2). Mais avec quel argent ? La planche à billets ? Inflation...
alors que l’Amérique, le pays le plus riche du monde, draine
les réserves du monde entier pour couvrir son déficit
budgétaire, dû essentiellement à l’importance des
dépense militaires. La boucle est bouclée. Et pour autant,
l’Amérique a toujours 7 à 8 % de chômeurs.
En conclusion, le gouvernement socialiste qui continue - et bien mieux
que la droite - à gérer une économie de marché,
ne peut espérer voir le chômage se résorber, ni
même la courbe s’inverser malgré une augmentation de la
production de 2 à 3 %.
En effet, on n’a encore rien vu en France des effets de la robotique,
de la bureautique... (le Japon possède 200 000 robots, autant
que le reste du monde).
Or les socialistes pensent dur comme fer (voir la Convention socialiste
de décembre 1984 sur le thème « Modernisation et
progrès social ») que la modernisation, à terme
du moins, recréera le plein emploi.
Seul le remplacement du capitalisme par un socialisme authentique -
comme le prévoyait en 1980 le projet socialiste - permettrait
de résoudre le chômage et la fameuse « crise ».
Mais c’est sous une autre dimension politique : il faudra bien, cependant,
qu’un jour ce socialisme-là ait rendez-vous avec l’HISTOIRE,
si l’homme veut survivre. A nous, Distributistes, d’oeuvrer avec conviction
pour que ce régime arrive.
(1) Lionel Stoléru écrit, dans son nouveau
livre « L’Alternance tranquille » « Pour supprimer
le chômage en France par le seul effet de la croissance, il faudrait
une croissance de 27 % par an pendant des années.
(2) En France et en RFA, les dépenses militaires représentent
un peu plus de 4 % du P.N.B., 5 % en Angleterre, contre 8,5 % aux USA
(5,5 % du temps de Carter).