Autogestion-Participation ?
par
Publication : avril 1988
Mise en ligne : 16 juillet 2009
C’est une banalité que de constater la pauvreté
du débat politique des élections présidentielles
! La nature du duel, lors du second tour, auquel pensent les candidats
en position de l’emporter et la faible marge prévisible de la
victoire rendent forcément prudents. Seuls les candidats marginaux
peuvent donc se permettre de parler nouveau et clair. Même les
lieutenants restent réservés. Michel Rocard ne parle plus
d’autogestion. Jacques Toubon confond participation, privatisations
et mainmise d’un clan sur les entreprises. Comment donc envisager la
gestion des entités économiques et favoriser l’évolution
nécessaire vers plus de participation effective des personnels
dans les décisions, seul moyen de motiver les travailleurs ?
Ne faisons que pour mémoire référence aux illusions
néo-libérales de capitalisme populaire. Les privatisations
ne sont qu’une caricature d’ouverture au plus grand nombre ; nous l’avons
déjà démontré (1). Quoiqu’il en soit et
même si un nombre important d’actionnaires entraient dans le capital,
il est acquis qu’ils ne s’intéresseraient pas à la vie
interne de la société. Le jeu boursier s’apparente au
loto et au bingo, il ne constitue pas une participation dans le sens
des conseillers du Général de Gaulle (H. Vallon et P.
Langevin) : une alternative au capitalisme et au communisme. Au contraire,
on a pu se demander à bon droit si le système financier
ne jouait pas contre l’industrie et contre les entreprises, déconnexion
favorable à ces dernières jusqu’à présent
préservées dés atteintes du krach boursier d’octobre
1987.
Autre abus de vocabulaire, l’emploi du terme mutualisation pour qualifier
le rachat du Crédit Agricole par ses caisses départementales.
Au-delà des contestations sur le prix "bradé"
de 7 milliards de F et sur la majorité garantie aux "agriculteurs"
dans le conseil d’administration, l’opération ne s’apparente
en rien à une mutualisation. En effet, une mutuelle est, par
essence, ouverte aux membres individuels et tous peuvent y accéder.
Fermée, elle perd tout intérêt.
En Allemagne Fédérale, la cogestion est à l’honneur.
Les représentants syndicaux, véritables potentats, sont
entrés dans les organes qui administrent les entreprises. Outre
que cette solution ne saurait s’appliquer en France, en raison du faible
taux de syndicalisation, on sait que la plupart des syndicats nationaux
sont ici opposés à la prise de responsabilités
dans la gestion. Ils estiment qu’ils convient de ne pas faire de la
collaboration de classes ou pensent qu’il faut séparer le pouvoir
de décision et celui de contestation.
En dehors des sociétés capitalistes pures, d’autres formules
subsistent encore en économie industrielle ou commerciale. Citons
les mutuelles et les coopératives. Les mutuelles déjà
nommées sont intéressantes, il en est de plusieurs sortes
dont celles qui couvrent le domaine social : assurances complémentaires
de tous ordres, mutualité agricole. Certaines ont voulu se lancer
dans le commerce. Beaucoup y ont échoué. La fraternité
et la solidarité s’accomodent mal de la concurrence et du profit.
D’autres n’ont de mutuelles que le nom ; c’est le cas des assurances
générales où certaines pratiquera des tarifs effectivement
intéressants alors que d’autres s’alignent sur leurs congénères.
Les coopératives sont en principe composées de membres
à part entière qui participent aux bénéfices
comme aux pertes éventuelles ; elles sont prônées
par des abondancistes qui y voient une bonne école de gestion
et un moyen d’associer pleinement les travailleurs à la direction
des entreprises ainsi qu’une transition vers l’économie distributive.
Hélas, on ne peut pas écrire que les échecs des
coopératives, aussi bien dans la production (Boimondau, AOIP)
que dans la consommation (Coop) soient très prometteurs. Il en
est de même des communautés qui s’étaient réunies
dans la mouvance des événements de 1968, allant jusqu’à
tout mettre en commun : D’autres expériences plus encoura-geantes
sont les kibboutzim qui s’apparentent souvent, à la fois, aux
coopératives et aux communautés. L’on peut se demander
toutefois si ce système est adapté à nos mentalités
occidentales.
Enfin, d’aucuns voient, dans les implications économiques du
fédéralisme, une autre voie transitoire n’excluant d’ailleurs
pas les propositions précédentes.
Il est certain que l’organisation fédérale présente
le double avantage d’éviter les écueils d’une centralisation
excessive et d’un bureaucratisme souvent envahissant. Prétendant
placer la décision au niveau du besoin, depuis la famille jusqu’au
plan mondial, ce principe parait séduisant et universel. Justement
n’est-il pas trop ambitieux ? Ne se situe-t-il pas bien au-delà
des moyens à notre portée ? Ne manque-t-il pas de pragmatisme
en voulant régler tous les problèmes à la fois
à quelque endroit qu’ils se situent ? Désirant tout résoudre,
ne se condamne-t-il pas à l’impuissance ?
J’en reviendrai donc à une solution de transition déjà
étudiée avec un concours syndical dans le cadre du retour
au pouvoir de la gauche en 1981. Le "statut" préparé
à cette occasion et qui n’a pu être mis en application,
prévoyait, pour commencer, une représentation tripartite
au Conseil d’Administration retenu comme le centre de décisions
de la société. Il s’agissait d’une entreprise ayant le
caractère d’un Etablissement Public Industriel et Commercial
(EPIC) c’est-à-dire assimilable à une "nationalisée
régionale". Le système peut s’appliquer aussi bien
aux grandes nationalisées qu’aux entreprises privées et
présente des avantages sur les deux formules supprimer l’antagonisme
entre le personnel et son employeur (le patron ou l’état-patron).
Le Conseil d’Administration est donc composé de représentants
des trois groupes intéressés par la bonne marche de l’entité
économique : les consommateurs, le personnel et l’employeur (état
ou actionnaires). Bien entendu, nous en resterons à la présentation
du principe susceptible d’applications diverses. En particulier, l’orientation
générale vers l’autogestion serait tempérée
par la représentation de ceux qui sont souvent oubliés,
à gauche comme à droite, et qui constituent pourtant la
finalité même de la production : les consommateurs. Leurs
représentants pourraient être, par exemple, élus
parmi les membres des différentes associations ou fédérations
qui les regroupent à présent.
Qu’il soit bien entendu que ce projet s’inscrit seulement dans le cadre
des mesures propres à faciliter, dans une étape bien ultérieure,
l’accès à l’économie distributive. Applicable dans
le cadre de l’économie de marché, il ne serait qu’une
amélioration limitée de l’économie actuelle.
(1) Voir "Capitalisme populaire ?" G.R. n° 853.