CHOMAGE : OU EN SOMMES-NOUS ?
Les 2.500.000 chômeurs "incompressibles", plus personne
n’y croit. Seuls s’accrochent à ce chiffre nos gouvernants, élection
présidentielle oblige. Ils triturent le moindre pourcentage -0,1,
0,2 qui les avantage, les variations saisonnières ; ils ordonnent
de rayer de l’ANPE ceux qui, fussent-ils diplômés, refusent
un travail de Tucard (peut-être doit-on dire "tuciste",
c’est plus doux !) : voir à ce sujet la GR de Mars.
Le chiffre le plus couramment évoqué, c’est 3 millions
de chômeurs, soit 12,5 % - et non 10,5 selon les statistiques
officielles - de la population active estimée à 24 millions
d’individus (ne pas oublier que, statistiquement, les chômeurs
sont classés dans la population active). Les préretraités,
souvent dès 55 ans, les stagiaires et les personnes en congé-conversion
ne sont bien entendu pas pris en compte comme chômeurs ; non plus
que ceux qui arrivent sur le marché du travail et n’ont pas encore
eu d’emploi. D’où le trompe l’oeil.
En 1961, la France ne comptait que 141.000 chômeurs ; 15 ans plus
tard, environ 350.000. Mais dès 1981, 1.700.000 et 3 millions
en 1988. On mesure l’accélération de la courbe. On invoque
l’augmentation de la population active, qui s’est accrue, par exemple
de 1975 à 1982 de 1.350.000 personnes : c’est le résultat
conjugué du baby-boom d’après guerre et de l’accroissement
du nombre de femmes au travail. On oublie :
- que ces nouveaux travailleurs touchant un salaire font croître
la consommation des ménages, et partant la production : ce n’est
donc pas cela qui génère le chômage, au contraire.
-que l’allongement des études et l’abaissement de l’âge
de la retraite réduit ipso facto le chiffre de la population
active.
Oui, c’est bien la crise, c’est-à-dire l’incapacité
du système capitaliste à maîtriser le couple production
accrue par des machines de plus en plus performantes/adéquation
du pouvoir d’achat distribué qui jette les salariés sur
le pavé. Entre 1975 et 1982, 870.000 emplois industriels ont
été détruits ; le fameux secteur tertiaire, surnommé
par certains "secteur poubelle", qui devait tout absorber,
n’en a créé dans le même temps que 200.000. Pour
une démonstration radicale du phénomène, nous renvoyons
le lecteur à la courbe de la page 20 de notre brochure "L’économie
libérée". A la destruction des emplois industriels,
il faut ajouter bien entendu la destruction des emplois agricoles.
Et ce n’est pas, hélàs, fini : l’INSEE prévoit
la disparition chaque année de 90.000 emplois d’ici 1992 et confirme
que la France connaîtra environ 3.500.000 chômeurs réels,
les emplois dans les hautes technologies dont on nous avait promis monts
et merveilles pour la création de postes, ne représentant
au mieux alors que 5% de l’emploi total.
***
ÉTATS GÉNÉRAUX DU CHÔMAGE
ET DE L’EMPLOI
J’ai tenu à assister à ces Etats Généraux,
organisés à l’initiative du Mouvement National des Chômeurs
et des Précaires, du Syndicat des Chômeurs et de Partage,
à Paris, les 5 et 6 mars. Nombreux économistes, chercheurs
au CNRS, sociologues, responsables syndicaux, et même un Ministre
(Zeller) comme intervenants ; nombreux chômeurs dans la salle.
On nous a annoncé 1500 participants à ces journées
en roulement ils ont pu suivre quelques-uns des 5 forums et des 20 carrefours
(quelques médias, dont FR3, ont évoqué cette manifestation).
En ce qui nous concerne, la librairie ayant accepté d’exposer
quelques livres et brochures, nous avons eu un succès particulier
avec "les Affranchis de Tan 2000" et "I’Economie libérée"
de M.L. Duboin.
N’ayant pas le don d’ubiquité, je n’ai pu suivre que 2 forums
: "Révolution technologique et emploi" "Comment
vaincre le chômage ?" ; et 2 carrefours : "Crise du syndicalisme,
société duale et chômage" "La montée
des petits boulots ; vers une précarisation croissante des emplois
et nouvelles formes d’exploitation".
Vous voyez que ce sont là des sujets au coeur de nos thèses.
Comment résumer en quelques lignes l’esprit de ces journées
et les arguments développés ?
- Tout d’abord, soulignons que les intervenants - 4 ou 5 par forum -
devaient s’exprimer assez brièvement pour laisser une large place
à la discussion. Ce qui fut fait.
- On ne peut passer sous silence des témoignages bouleversants
sur la condition morale faite au chômeur. Une jeune femme évoqua
le suicide de 2 de ses amis, une femme de 43 ans, un homme de 40 ans.
M. Pagat confirma qu’au Syndicat des Chômeurs, ils avaient connaissance
de nombreux cas de suicide, dont parle rarement la presse. Et que dire
de toutes les dépressions nerveuses qu’entraîne la situation
de chômeur !
- Cela explique en partie -toujours selon M. Pagat- que, politiquement,
le Mouvement et le Syndicat des Chômeurs ne rencontrent qu’un
écho limité, sans aucun rapport avec le nombre des chômeurs.
Le chômeur a tendance à se replier sur luimême. Et
surtout il a une obsession majeure : retrouver du travail.
D’autre part, les responsables gouvernementaux, les partis et même
les syndicats ont tendance à vouloir ignorer les chômeurs,
surtout depuis qu’ils sentent que le chômage est devenu un phénomène
de société, qu’il est "incompressible". Bref,
tout le monde se défile. Les syndicats sont surtout préoccupés
de défendre ceux qui ont un "job".
- Il nous a semblé - corollairement à cette situation
-que le Mouvement créé par Pagat a tendance à glisser
dans le Caritatif ; il est largement soutenu du reste par des catholiques.
Un syndicat des Chômeurs politiquement actif,. agressif, reste
à créer. Mais est-ce possible ?
Toujours est-il qu’il existe de très nombreuses
maisons de chômeurs en France, qui agissent dans un esprit d’aide
morale ou matérielle, servent de conseil juridique ; si des amis
distributistes veulent en contacter, ils peuvent écrire pour
se renseigner à "Partage", 54, rue des Entrepôts,
93400 Saint-Ouen, et s’ils le souhaitent, s’abonner au journal mensuel
"Partage" (90 F).
Nous terminerons sur les questions de fond qui ont été
débattues et les propositions qui ont été faites.
On peut les résumer ainsi :
1. Revenu social garanti. On évite à juste titre de parler
de minimum social garanti, laissant ainsi la porte ouverte à
des sommes allant de 2.000 F à 2/3 du SMIC. Cette idée
est donc bien dans l’air et c’est probablement ainsi que les futurs
gouvernements - de droite ou de gauche - règleront les risques
d’explosion sociale.
2. Journée de 35 heures. Idée couplée avec le travail
à mi-temps. Ce qui se passe, en Allemagne capitaliste confirme
que ce n’est plus, à moyen terme au moins, une vue de l’esprit.
3. Développement de la "nébuleuse" tertiaire.
Là, des idées nombreuses, souvent contradictoires, voire
confuses. La création d’emplois "conviviaux" ; de petits
boulots, souvent mal rémunérés, constituent des
"gisements d’emplois" importants. Ça rejoint la théorie
actuelle des socialistes.
Aucun orateur n’a évoqué sérieusement
la rupture indispensable avec le capitalisme pour "en sortir"
: de nombreux congressistes par contre ont posé, et souvent avec
virulence, la question. J’ai moi-même interrogé un intervenant
"Pensez-vous que le problème du chômage puisse être
résolu dans le cadre d’un régime de marché ?"
Réponse de l’orateur, Professeur d’Économie, très
brillant dans l’analyse de la situation actuelle : "C’est un faux
problème. La question ne se pose pas ainsi, c’est plus complexe
que cela. Compte tenu de la mondialisation de l’Economie, on ne peut
pas... etc... etc..." Bref, l’antenne habituelle : nous sommes
des utopistes.
Il a été beaucoup débattu de la redistribution
des gains de productivité, seule façon d’alimenter les
créations d’emplois dans le tertiaire et de répondre aux
impératifs de solidarité dans la société
d’aujourd’hui et de demain. Pour la même raison, les prélèvements
obligatoires ne peuvent diminuer. Sur ce point, les faits confit confirment
ce que, nous aussi, nous avons toujours soutenu : en 1987 sous la droite
qui devait diminue impôts et taxes, il s’avère que les
P.O ont continué à croître de 0,3 pou atteindre
44,7 %.