Le petit marquis est à son affaire. Il nous a bien soignés, et il compte en faire davantage en cette année qui vient. Un quinquennat c’est bien court, et il reste tant de "modernisations" à mener à bien ! Il a comme ça plein de projets dans sa musette. Il ne les dévoile pas tous en même temps. Et il se trouve qu’ils sont tous porteurs de mauvaises nouvelles.
Que voulez-vous, ce n’est pas de sa faute, mais nous avons trop tiré sur la ficelle. Nous sommes trop endettés, nous coûtons trop cher à nos donneurs d’ouvrage, nous ne travaillons pas assez longtemps, pas assez dur, nous crions, braillons et protestons au lieu de tirer plus fort sur les rames de la galère, et puis nous ne suivons pas la cadence : le garde-chiourme Edouard Philippe a beau s’égosiller dans le porte-voix et donner le tempo en tapant sur le tambour, nous n’écoutons pas, nous n’en faisons qu’à notre tête, nous tirons les rames à hue et à dia, et la galère n’avance pas, pendant que l’américaine, la chinoise et la brésilienne s’éloignent à l’horizon.
Il en écume de colère et de mépris, le petit maître ! Jojo le Gilet Jaune n’a pas craché tout son venin, l’escargot n’a pas dégorgé toute sa bave, même le syndicaliste apprivoisé tire sur sa laisse : il est temps qu’on en finisse, l’huile dans la poêle commence à noircir et on ne peut toujours pas mettre la bête à cornes dans la friture !
C’est que nos actionnaires commencent à avoir la dalle, ils ont bouffé tout le CICE, tous les allègements de taxes, toutes les baisses d’impôts, il est temps de passer aux choses sérieuses : la privatisation de la Française des Jeux est derrière nous, celle d’Aéroports de Paris se pointe malgré le référendum qui menace, mais chaque jour doit apporter sa pitance, alors le système des retraites doit au plus vite tomber dans leur escarcelle ! C’est qu’ils ont l’âme délicate, nos actionnaires ! Figurez-vous qu’ils ne supportent pas l’iniquité ! Leur cœur saigne à la vue d’une mère célibataire qui ne touchera pas de retraite digne de ce nom et devra vivre jusqu’à sa mort de la charité publique, alors qu’un cheminot partira dans la fleur de l’âge et profitera de son temps libre avant que son dos soit cassé et ses neurones hors service... C’est que c’est dangereux un cheminot guetté par Alzheimer, alors il sera toujours temps de le déclarer inapte au service après deux ou trois feux rouges brûlés...
Mais ce salaud de cheminot porte une double tare : non seulement il ne veut rien entendre, malgré la disparition de la locomotive à charbon qui lui bouffait les poumons, mais, en plus, il nous oblige à rogner les avantages des policiers, des enseignants, des pompiers et de tous les "privilégiés" grands et petits qui ont l’outrecuidance d’arriver en bon état à la retraite pour montrer à la population que le gouvernement est inflexible dans l’équité, et qu’on est sévère mais juste, et qu’à cause des cheminots, les policiers vont perdre leurs avantages... Enfin, pas tout-à-fait car les policiers sont le dernier rempart contre la colère populaire, alors on peut bien faire une exception entre deux portes pour ces valeureux serviteurs de l’ordre public et de la sauvegarde des beaux quartiers...
Mais tous les autres ne perdent rien pour attendre ! Il n’est pas question d’aligner par le haut, et de permettre à la mère célibataire de rattraper le cheminot, où trouverait-on l’argent ? Pas dans le coffre-fort de Monsieur Bernard Arnault, ni de ses 39 confrères en milliardairerie en tout cas ! S’il naquit un jour sur la Terre dans la sueur et quelquefois le sang, cet argent-là est maintenant sur une autre planète, la Planète du bien-vivre du bien manger et du parler feutré, planète aux moquettes épaisses où le bruit du monde ne parvient qu’assourdi, planète des bons sentiments et des coups fourrés.
Et comme dans les trous noirs, ce qui y entre n’en ressort jamais...
Alors ne comptez pas sur eux pour nous la jouer solidaire, on veut bien montrer sa binette sur papier glacé, mais surtout pas ouvrir son portefeuille ! Plutôt tirer dans la foule, arracher les mains et les yeux et si nécessaire, faire donner les chars !
Bonne année 2020, braves gens !