LE conservatisme déforme la cause du chômage
pour mieux jongler de palliatifs en palliatifs. Il est « conjoncturel
», « structurel » « frictionnel » (c’est
le tout dernier), il est dû à l’instabilité des
préposés au travail, à la lenteur de leur choix
d’un emploi, à leur manque de sens civique ; ah ! ces ouvriers
japonais qui refusent leurs vacances pour que leurs employeurs ne gagnent
pas moins d’argent ! Mais ne sont-ils pas aux antipodes ?..
Les leaders de l’opposition promettent l’emploi avec la même conviction
que Mme Soleil prédit le soleil pour les hôteliers et la
pluie pour les traqueurs d’escargots, sans plus, ce qui dispense de
toute analyse concrète. D’autres encore, exégètes
imprégnés des soulèvements révolutionnaires
passés, minimisent l’ampleur du chômage et son impact sur
l’économie. Ils font bonne mesure aux palliatifs du capitalisme,
espérant par là justifier la valeur de leurs théories
d’hier pour le contexte de demains. Toujours un peu de Mme Soleil.
« Enfoncez-vous bien ça dans la tête », la
formule, répétée par les antennes, par la presse,
s’imprègne dans les cerveaux :
PLEIN EMPLOI ! PLEIN EMPLOI ! ploa !.. ploa...
Leitmotiv du système d’économie échangiste, incantations,
litanies, croassements repris par les leaders de « gauche »
et transmis en écho lors des manifestations : ploa !.. ploa !..
Plein emploi ! mais pourquoi faire ? des produits que nous détruisons
(pardon « assainissons »), des gadgets, des armements-export.,
dans le cadre de l’échange-profit ?
Plein emploi de quoi ? du travail des hommes ou de celui des machines
qu’ils créent pour pouvoir accéder aux loisirs ? La réponse
n’est pas prévue ; resterait-elle tabou pour les Commissions
d’Etudes d’Economie Politique ?
A ce propos du plein emploi, l’O.C.D.E. apporte une information significative
: au cours d’une réunion d’experts elle constatait (dès
juillet 1977), l’aggravation du chômage en ces termes : - « Les
chômeurs de plus de 40 ans ont beaucoup de mal à retrouver
un emploi ; tandis que les jeunes qui atteignent un âge adulte
sans expérience professionnelle significative ont de plus en
plus de difficultés à se faire ouvrir les portes du marché
du travail. Les systèmes d’indemnisation qui étaient destinés
au départ à faciliter la recherche d’un emploi se transforment
progressivement, par la force des choses, en un moyen de faire supporter
leur situation à ceux qui sont en fait devenus « inemployables »
».
Les experts eussent pu ajouter que ce moyen concourait également
à conserver quelque profit aux détenteurs des biens que
pouvaient désormais acquérir ces « inemployables
».
« La force des choses » a conçu des indemnités
sans contre-partie de travail. Sera-t-il encore longtemps impensable
qu’on puisse aider la force des choses à généraliser
et rationaliser cet état de fait ? Et puisque la force des choses
réduit à 15 années la période active de
l’homme, les forces de gauche prôneront-elles longtemps encore
le plein emploi ou bien se résoudront-elles, avec nous, à
revendiquer le Service Social de Travail en fonction des besoins exprimés
et des techniques de production ?
Plein emploi !.. Plein emploi !..
Le problème est international. Gunter Weinert*, de Hambourg,
a fait le point de cette préoccupation majeure des pays équipés :
Après avoir rappelé la progression du chômage aussi
bien aux Etats-Unis qu’en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne,
il observe que : « Si les économistes sont désemparés
face à l’ampleur du phénomène, c’est que depuis
1974, tout l’arsenal dé la politique économique semble
incapable d’en venir a bout ». Et plus loin il précisé
: « Il né s’agit plus là d’une simple inadaptation
qualitative dé l’offre à la demandé de travail,
mais bien d’une insuffisance persistante de l’offre de travail, comme
en témoigné la faible utilisation dés capacités
productives ».
*
Il passe ensuite en revue lés actions entreprises
pour diminuer lé chômage, et cité toutes lés
diverses allocations versées à l’aide dés fonds
publics.
Comment ces subventions octroyées (et n’oublions pas que c’est
pour la sauvegarde des salaires et des profits) par les gouvernements
des pays équipés, n’entraîneraient-elles pas la
galopante dévaluation dés monnaies ?
L’argent né tombé pas du ciel. L’Etat** s’en procure d’abord
par l’impôt, ce qui est un transfert. Mais quand il lui en faut
plus, il demande à la Banque de France d’en fabriquer pour le
lui prêter à intérêt. C’est donc là
une création de monnaie, qui se dévalue proportionnellement,
puisqu’elle correspond à une quantité de biens qui, elle,
est fixée par le seuil de rentabilité, donc ne varie pas.
Cette cavalerie monétaire déroute encore les postulants
à la gestion d’un néo-échangisme que les capitalistes
eux-mêmes ne parviennent pas à concevoir... Voilà
un des obstacles par lesquels la « Force des choses » constatée
par l’O.C.D.E. est tenue en échec.
*
Par sa nature même, la force des choses s’impose.
Un pays techniquement avancé, le Canada, s’y heurte. Depuis les
années 60 (1960-1975) sa croissance économique est montée
de 5 % et la croissance du chômage de 7 %***. Lé plein
emploi n’y est manifestement plus « au coin de la rue ».
Cette signification péremptoire des faits a amené ces
positifs citoyens à la lutte, non plus pour un utopique plein
emploi, mais à celle de la garantie du salaire.
Des mesures d’assurances chômage (loi de 1971) garantissant les
revenus se sont imposées : pour tout salarié cotisant,
huit semaines de travail au cours de l’année donnent droit à
la prestation des 2/3 du salaire antérieur durant 44 semaines.
L’année qui fait suite marque un autre exercice... Pour faciliter
les huit semaines de travail, l’Etat canadien crée directement
des emplois par le canal des Programmes d’initiatives Locales (P.I.L.)
qu’il finance ; là, les participants peuvent s’adonner à
des travaux variés : petites constructions (centre communautaire,
sportif), entretiens divers, etc..., durant les 8 semaines annuelles
imparties pour l’obtention de la prestation des 44 semaines suivantes.
Ce système d’assurance chômage garantissant le salaire
ou le revenu, en dehors de la contrepartie de travail, éclairé
le rôle social du chômage qui prend l’aspect : « ...d’une
allocation de temps payée par la Société à
l’individu pour qu’il utilise comme bon lui semble une sorte d’année
sabbatique, comme celle envisagée au Danemark ». (Qu’il
utilise le temps de repos que lui conquiert la machine qu’il créa,
dirons-nous). L’article cité ci-dessus se poursuit par . «
Ce serait l’amorce d’une nouvelle conception des relations entre individus,
travail et société, mais une conception qui en quelque
sorte se déguiserait sous les institutions encore existantes
».
Les yeux s’entrouvrent !
Au Canada, comme en tout pays équipé, le financement des
revenus par l’Etat sans possibilité de travail en contrepartie
posera, avec l’anéantissement de la monnaie thésaurisable,
la nécessité de la création d’une monnaie de consommation.
Ainsi se profile LE GRAND SOIR DE LA FORCE DES CHOSES.
C’est en étudiant les transformations que subissent empiriquement
nos institutions que nous découvrirons le rôle nouveau
qu’elles s’apprêtent à jouer » écrivit Jacques
Duboin.
* Dans le n° de septembre 1977 de la revue «
Wirtschafsdienst ».
** Voir « Pourquoi manquons-nous de crédits ? »,
par Jacques Duboin.
*** Revue « Echange et Projets » n°13, 1977.