La répartition du travail : II. A l’étranger

21 mars 1978, date historique
par  M.-L. DUBOIN
Publication : juillet 1978
Mise en ligne : 3 septembre 2008

A la suite de la publication du projet de «  répartition du travail » examiné par la C.E.E., nous avons entrepris (1) d’étudier les causes qui ont amené la Commission Européenne à rejoindre nos propositions. Ayant déjà rappelé quelques chiffres et statistiques relatifs à la France, nous analysons aujourd’hui la situation à l’étranger, dans les pays semblablement développés.
« En octobre 1977, on a enregistré dans les pays de la CEE 5,9 millions de chômeurs, soit 5,60% de la population active civile. Face à ce chiffre nouveau très élevé, les espoirs naguère placés dans une reprise durable et une solution au problème du chômage se sont complètement évanouis » estime un expert allemand (2) qui poursuit : « Loin de diminuer, le nombre de chômeurs déclarés augmente dans la plupart des pays membres, le taux de cette croissance se situant entre 9 % au Royaume Uni et 25 % au Danemark par rapport à l’année précédente... De plus, à moyen terme, il faut réviser à la baisse les perspectives d’emploi jusqu’à présent admises... La croissance du nombre des actifs n’avait jusqu’à la crise actuelle posé de problèmes d’embauche sérieux qu’à quelques pays. Depuis 1975, elle se conjugue à une diminution du nombre des emplois offerts, et cette fois dans tous les pays de la CEE. Certaines catégories professionnelles subissent plus gravement le chômage. Dans beaucoup de pays membres, il s’agit d’abord de la métallurgie et du travail des métaux, du commerce de gros et de détail, des emplois de bureau et enfin du bâtiment ».
Dans sa rubrique consacrée à l’étranger, Pierre Simon nous apporte plus loin (3) des chiffres significatifs. Donnons ici seulement quelques exemples pris au hasard.
En Grande-Bretagne, le gouvernement a alloué 850 millions. de livres (soit 7,2 milliards de francs) à la British-Leyland, premier constructeur national de voitures, pour financer son plan de redressement. Ce plan prévoit des investissements d’un montant de 1,3 milliards de livres d’ici à 1981 afin d’améliorer la productivité (la production de voitures par ouvrier devant passer de 5,4 en 1977 à 6,4 cette année puis à 8 au cours des prochaines années). 10 000 suppressions d’emplois seront réalisées cette année (4) .
En Italie, la nouvelle Fiat, la « Ritmo » est fabriquée à Rivalta, près de Turin, et à Cassino. Dans ces deux usines, des armadas de palettes glissent sur des chemins magnétiques à l’intérieur d’usines quasi-désertes. Elles transportent des squelettes d’automobiles auxquels des robots anthropomorphes donnent leur rigidité, poste après poste, soudure après soudure, grâce à des bras monstrueux (5).
Les entreprises allemandes procèdent, depuis déjà un certain temps, à d’importants programmes de rationalisation et d’automatisation. Il en est ainsi même des firmes remarquablement florissantes comme Daimler-Benz (Mercédès) et les syndicats allemands estiment « que l’évolution technologique met en péril de nombreux emplois (6) ». Globalement l’industrie allemande a allégé ses effectifs de 10 % entre 1973 et 1976. De plus, le taux d’utilisation des capacités de production y reste encore de 6 % au-dessous de la normale (7).
On parle de la constitution d’un grand groupe sidérurgique belgo-luxembourgeois qui aurait une capacité de 18 à 19 millions de tonnes. Ce qui en ferait le 5e producteur mondial. Le tout se traduirait par la suppression en 1978 de 7 000 emplois sur 55 000 et l’octroi d’une aide importante des pouvoirs publics (8).
Il importe de souligner en face de ces exemples relatifs au chômage dans la CEE que le produit intérieur brut de la communauté n’a pas pour autant cessé de croître. Les derniers chiffres connus de cette croissance ont été publiés dans « Le Monde » du 21 mars : le produit intérieur brut pour l’ensemble de la CEE a augmenté en 1977 entre 2 et 3 %. La prévision pour 1978 approche de 3 %. Et tous les experts s’accordent pour annoncer une croissance du chômage. Dans le textile, par exemple, le Bureau International du Travail estime qu’un travailleur sur trois risque de perdre son emploi d’ici à 1985 en Europe occidentale (7).
Cette situation n’est pas l’apanage des pays de la CEE. Etudiant récemment l’élargissement de la communauté par l’entrée de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal, la Commission Européenne a noté que « les restructurations industrielles et agricoles provoqueront des dégagements de main d’oeuvre qui aggraveront notablement le chômage dans la Communauté (5). Déjà le taux de chômage dans la population active en Espagne atteint plus de 5 %. Pour faire face à un des défis majeurs des années 80, la Commission estime « qu’il faut de toute urgence définir une politique de l’emploi audacieuse ».
Enfin, au Japon, la situation est semblable. Nous en avons pour preuve cette conclusion d’une étude récente publiée par le journal « Le Monde » (9) : « Dans les succès commerciaux des Japonais, encore illustrés par un excédent record en février de leur balance commerciale, il faut d’abord voir le résultat d’un effort désespéré pour trouver à l’extérieur des débouchés permettant de limiter le chômage ».
Cette recherche d’une clientèle solvable pour absorber la production croissante étant désespérée, et les gros efforts d’investissements se révélant aussi décevants, des palliatifs de moindre ampleur ont été essayés un peu partout. Pierre Simon (3) en cite quelques-uns. Nous les passerons en revue dans la troisième partie de cette étude. Nous savons déjà que c’est parce qu’aucun de ces moyens n’est susceptible de résoudre le problème du chômage croissant que le Comité Permanent de l’emploi de la CEE vient de reprendre une idée de J. Duboin en proposant à la Communauté la « répartition du travail ». Nous en analyserons ensuite les conséquences prévisibles.

(1) Voir « Grande Relève » n°  757.
(2) Bernardt Seidel, « D.I.W. - Wochenbericht » (Berlin), 21 décembre 1977,
(3) Voir page 5.
(4) « Le Monde » du 5-4-1978.
(5) « Le Monde » du 21-4-1978.
(6) « Le Monde » du 29-3-1978.
(7) « Le Monde » du 4-4-1978.
(8) « Le Monde » du 31-3-1978.
(9) « Le Monde » du 1-4-1978.