La répartition du travail : II. A l’étranger
par
Publication : juillet 1978
Mise en ligne : 3 septembre 2008
A la suite de la publication du projet de «
répartition du travail » examiné par la C.E.E.,
nous avons entrepris (1) d’étudier les causes qui ont amené
la Commission Européenne à rejoindre nos propositions.
Ayant déjà rappelé quelques chiffres et statistiques
relatifs à la France, nous analysons aujourd’hui la situation
à l’étranger, dans les pays semblablement développés.
« En octobre 1977, on a enregistré dans les pays de la
CEE 5,9 millions de chômeurs, soit 5,60% de la population active
civile. Face à ce chiffre nouveau très élevé,
les espoirs naguère placés dans une reprise durable et
une solution au problème du chômage se sont complètement
évanouis » estime un expert allemand (2) qui poursuit :
« Loin de diminuer, le nombre de chômeurs déclarés
augmente dans la plupart des pays membres, le taux de cette croissance
se situant entre 9 % au Royaume Uni et 25 % au Danemark par rapport
à l’année précédente... De plus, à
moyen terme, il faut réviser à la baisse les perspectives
d’emploi jusqu’à présent admises... La croissance du nombre
des actifs n’avait jusqu’à la crise actuelle posé de problèmes
d’embauche sérieux qu’à quelques pays. Depuis 1975, elle
se conjugue à une diminution du nombre des emplois offerts, et
cette fois dans tous les pays de la CEE. Certaines catégories
professionnelles subissent plus gravement le chômage. Dans beaucoup
de pays membres, il s’agit d’abord de la métallurgie et du travail
des métaux, du commerce de gros et de détail, des emplois
de bureau et enfin du bâtiment ».
Dans sa rubrique consacrée à l’étranger, Pierre
Simon nous apporte plus loin (3) des chiffres significatifs. Donnons
ici seulement quelques exemples pris au hasard.
En Grande-Bretagne, le gouvernement a alloué 850 millions. de
livres (soit 7,2 milliards de francs) à la British-Leyland, premier
constructeur national de voitures, pour financer son plan de redressement.
Ce plan prévoit des investissements d’un montant de 1,3 milliards
de livres d’ici à 1981 afin d’améliorer la productivité
(la production de voitures par ouvrier devant passer de 5,4 en 1977
à 6,4 cette année puis à 8 au cours des prochaines
années). 10 000 suppressions d’emplois seront réalisées
cette année (4) .
En Italie, la nouvelle Fiat, la « Ritmo » est fabriquée
à Rivalta, près de Turin, et à Cassino. Dans ces
deux usines, des armadas de palettes glissent sur des chemins magnétiques
à l’intérieur d’usines quasi-désertes. Elles transportent
des squelettes d’automobiles auxquels des robots anthropomorphes donnent
leur rigidité, poste après poste, soudure après
soudure, grâce à des bras monstrueux (5).
Les entreprises allemandes procèdent, depuis déjà
un certain temps, à d’importants programmes de rationalisation
et d’automatisation. Il en est ainsi même des firmes remarquablement
florissantes comme Daimler-Benz (Mercédès) et les syndicats
allemands estiment « que l’évolution technologique met
en péril de nombreux emplois (6) ». Globalement l’industrie
allemande a allégé ses effectifs de 10 % entre 1973 et
1976. De plus, le taux d’utilisation des capacités de production
y reste encore de 6 % au-dessous de la normale (7).
On parle de la constitution d’un grand groupe sidérurgique belgo-luxembourgeois
qui aurait une capacité de 18 à 19 millions de tonnes.
Ce qui en ferait le 5e producteur mondial. Le tout se traduirait par
la suppression en 1978 de 7 000 emplois sur 55 000 et l’octroi d’une
aide importante des pouvoirs publics (8).
Il importe de souligner en face de ces exemples relatifs au chômage
dans la CEE que le produit intérieur brut de la communauté
n’a pas pour autant cessé de croître. Les derniers chiffres
connus de cette croissance ont été publiés dans
« Le Monde » du 21 mars : le produit intérieur brut
pour l’ensemble de la CEE a augmenté en 1977 entre 2 et 3 %.
La prévision pour 1978 approche de 3 %. Et tous les experts s’accordent
pour annoncer une croissance du chômage. Dans le textile, par
exemple, le Bureau International du Travail estime qu’un travailleur
sur trois risque de perdre son emploi d’ici à 1985 en Europe
occidentale (7).
Cette situation n’est pas l’apanage des pays de la CEE. Etudiant récemment
l’élargissement de la communauté par l’entrée de
la Grèce, de l’Espagne et du Portugal, la Commission Européenne
a noté que « les restructurations industrielles et agricoles
provoqueront des dégagements de main d’oeuvre qui aggraveront
notablement le chômage dans la Communauté (5). Déjà
le taux de chômage dans la population active en Espagne atteint
plus de 5 %. Pour faire face à un des défis majeurs des
années 80, la Commission estime « qu’il faut de toute urgence
définir une politique de l’emploi audacieuse ».
Enfin, au Japon, la situation est semblable. Nous en avons pour preuve
cette conclusion d’une étude récente publiée par
le journal « Le Monde » (9) : « Dans les succès
commerciaux des Japonais, encore illustrés par un excédent
record en février de leur balance commerciale, il faut d’abord
voir le résultat d’un effort désespéré pour
trouver à l’extérieur des débouchés permettant
de limiter le chômage ».
Cette recherche d’une clientèle solvable pour absorber la production
croissante étant désespérée, et les gros
efforts d’investissements se révélant aussi décevants,
des palliatifs de moindre ampleur ont été essayés
un peu partout. Pierre Simon (3) en cite quelques-uns. Nous les passerons
en revue dans la troisième partie de cette étude. Nous
savons déjà que c’est parce qu’aucun de ces moyens n’est
susceptible de résoudre le problème du chômage croissant
que le Comité Permanent de l’emploi de la CEE vient de reprendre
une idée de J. Duboin en proposant à la Communauté
la « répartition du travail ». Nous en analyserons
ensuite les conséquences prévisibles.
(1) Voir « Grande Relève » n°
757.
(2) Bernardt Seidel, « D.I.W. - Wochenbericht » (Berlin),
21 décembre 1977,
(3) Voir page 5.
(4) « Le Monde » du 5-4-1978.
(5) « Le Monde » du 21-4-1978.
(6) « Le Monde » du 29-3-1978.
(7) « Le Monde » du 4-4-1978.
(8) « Le Monde » du 31-3-1978.
(9) « Le Monde » du 1-4-1978.