Nous voulons mourir aveugles

Réflexions
par  F. LÉVY
Publication : juillet 1978
Mise en ligne : 3 septembre 2008

DANS un article intitulé : « Pas de désarmement sans contrôle », l’ancien délégué permanent de la France à la Conférence du Désarmement, M.  Jules Moch, rappelle opportunément l’existence de cette conférence dès l’entre- deux guerres mondiales, puis à partir de 1951, il n’est pas osé d’affirmer que le résultat ne répond pas à de si longs efforts. Nous dirons plus loin pourquoi il n’y répondra jamais, même si était accepté le « contrôle » souhaité par l’auteur de l’article. (« Le Monde » du 27 avril 1977).

LA GUERRE REMEDE A LA CRISE

SOUS le titre « Une conjoncture internationale peu rassurante » on lit : (« Le Monde » du 6-9-77) que M. Jacob Javits, sénateur républicain des U.S.A., a déclaré le 29 août dernier qu’il fallait éviter à tout prix « un des plus grands dangers du siècle  », le déclenchement, d’ici deux ou trois ans, d’une nouvelle grande dépression économique, laquelle, selon lui, pourrait durer encore plus longtemps que celle des années 30 » parce que on ne pourrait plus compter, de nos jours, sur la préparation d’une guerre pour la surmonter... », Admirons le franc cynisme de cet aveu rétrospectif sur les guerres passées, et découvrons plus loin que Paul FABRA, auteur de l’article, précise une des causes de l’inquiétude du sénateur : « La concurrence des produits étrangers apparaît de plus en plus comme insupportable. Les réactions de protectionnisme qui s’ensuivent pourraient, de proche en proche, désorganiser gravement des appareils de production conçus, un peu partout dans le monde, en fonction précisément des débouchés extérieurs  ». Complétons, en rappelant que la recherche des débouchés extérieurs détermina beaucoup de guerres, coloniales ou non. Il semble qu’on se refuse à le voir clairement,

LES DEBOUCHES EXTERIEURS, NECESSITE VITALE

POURQUOI faut-il des débouchés extérieurs  ? Il faut des débouchés extérieurs aux régimes économiques qui se sont donné pour moteur l’expansion, appelée aussi croissance, c’est-à-dire l’augmentation sans répit de la production, donc de la consommation. Lorsque la consommation intérieure est dite saturée, (parce que l’accroissement de la production provoquerait la chute des prix et des profits), il faut exploiter la consommation extérieure. D’où des expédients, tel le Marché Commun, qui propose aux « autres » d’acheter ce qu’ils ont déjà en suffisance ; le problème du vin en est un exemple lumineux. D’où aussi les nouveaux dumpings qui inondent de produits manufacturés à bas prix en Extrême-Orient le marché français, de textile en dernier lieu. On reparle donc de ce protectionnisme qu’on a connu il y a quelques décennies, avec l’usage des « canonnières  ».

LES DEUX BLOCS IRRECONCILIABLES AD VITAM ?

LES canonnières se sont développées aux dimensions absurdes d’un armement conventionnel et nucléaire dix fois supérieur aux besoins de destruction de la planète entière. Parce que deux grandes puissances ou blocs de puissances sont en compétition. Sur quel plan ? Idéologique : ça semble vouloir dire collectivisme contre libéralisme. Ça semble pouvoir se traduire par : bonheur des hommes assuré par l’Etat omni-pensant, bonheur des individus assuré par la libre entreprise. Commercial : ça semble vouloir dire : l’autarcie ne suffit pas, donc nécessité de débouchés en vue des échanges ; production toujours accrue nécessaire à la survie de l’autre bloc, donc débouchés assurant cette croissance. Culturel : tout est commandé par l’intérêt politique du bloc ; tout est laissé à l’initiative des citoyens de l’autre bloc. Est-ce bien sérieux ? L’accord ne peut-il se faire entre les intéressés en vue de leur survie immédiate et de leur existence à venir ? Il semble qu’on se refuse à l’envisager clairement.

DESARMEMENT ? NON : TROP DE CHOMAGE

SI cet accord voyait le jour, si les blocs et les Etats se refusaient à l’auto-destruction, le désarmement serait-il alors possible ? Non, car la paix sur la terre, impliquant le désarmement total, impliquerait aussi la mise au chômage d’un nombre très important de travailleurs.
Envisager une reconversion serait proprement utopique, à une époque et dans un régime où, depuis des années, 40 % des entreprises travaillent très au-dessous de leurs capacités techniques de production. M. Jules Moch semble n’en avoir pas pris conscience lorsqu’il déclara sereinement « que la reconversion » a des fins pacifiques doit être menée progressivement pour éviter des pointes de chômage. Alors que le chômage s’affirme irréversible dans un régime économique où la technique ne cessant de remplacer des hommes, on n’imagine pas l’existence d’hommes qui ne travaillent pas, il est insensé d’espérer la réinsertion de millions de travailleurs dans le « marché du travail » déjà sursaturé.

DESARMEMENT ? NON : PERTE DES PROFITS

SI cet accord voyait le jour, les entreprises de fabrication d’armement, et toutes celles chargées des transports, de l’équipement, de l’habillement, de la nourriture, bref, de « l’intendance », ne procureraient plus : 1) les bénéfices astronomiques réservés aux « actionnaires », 2) les éléments indispensables à l’indispensable « balance commerciale  ». Ce qui permet à Jacqueline Grapin et Jean-Bernard Pinatel d’écrire : (La guerre civile mondiale) : « Demain la politique étrangère se mettra au service des exportations d’armements  ». Il semble qu’on se refuse à le voir clairement.
Si les crises économiques doivent être résolues par la guerre, si le travail-qui-fait-vivre, le profit des entreprises, la balance des échanges extérieurs s’opposent au désarmement, c’est parce que le régime dit de l’économie de marché ou de l’échange, en vigueur dans les deux blocs, n’offre pas les solutions nécessaires. Il convient donc d’en changer. Il semble qu’on se refuse à le voir clairement, et qu’on préfère, la tête froide, le cataclysme nucléaire à l’invention d’un système économique de notre temps. Il existe, mais on se refuse à le connaître car il ne rapporterait... que la paix.

P.S.- Concernant l’important problème du désarmement des esprits, nous ne pouvons laisser passer ces lignes de Monsieur BOUTHOUL, fondateur de l’Institut Français de Polémologie, dans un article intitulé « Le complexe de Damoclès » (« Le Monde ») : « La paix vit dans la fascination de la guerre, fascination ambivalente mêlée de nostalgie, car les nations qui se trouvent dans l’impossibilité de faire la guerre se sentent frustrées de ce suprême recours et déchues du privilège de faire l’histoire », et plus loin : « une génération sans guerre... est privée désormais de l’illusion que les tragiques bouleversements qui accompagnent les hostilités permettent de résoudre les conflits et d’instaurer de nouveaux équilibres plus stables  ». Curieuse analyse digne de Barrès on Déroulède !

2e P.S. - Messieurs CARTER et BARRE s’entretiennent du désarmement. Les « Monde Diplomatique  » de mars et novembre 1976 ont révélé leur commune appartenance à cette Commission Trilatérale qui a pris la relève des 200 familles et de la Synarchie. La presse et la radio françaises se refusent à divulguer cette information capitale. Pourquoi ? Pourquoi ont-elles ignoré l’Assemblée Mondiale des Bâtisseurs de la Paix tenue à Varsorie en mai 1977 ? Pourquoi leur a-t-on interdit la plus petite allusion à l’Economie Distributive ?


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