Impossible d’être dupes !
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Publication : mars 2019
Mise en ligne : 29 mai 2019
Quelles que soient les conclusions que le Président de la République affirmera avoir tirées du “grand débat national” qu’il a mené en le transformant en une tribune électorale personnelle et quelles que soient les belles déclarations qui les appuieront, seront déçus tous ceux qui ont cru qu’ils allaient enfin être entendus et qu’ils allaient bientôt voir la fin des raisons les plus essentielles de leur colère, tant il est évident que le gouvernement ne changera pas le cap de sa politique économique.
Édouard Philippe a prévenu : il a déclaré (voir le Journal du Dimanche du 6 mars) : « Le risque déceptif est important quant à sa sortie ». Non seulement le Premier ministre est lucide, mais il a profité du dixième anniversaire de l’Autorité de la Concurrence (l’autorité administrative qui a pour objectif de « veiller au libre jeu de la concurrence, d’assurer le respect de l’ordre public économique, lié à la défense d’une concurrence suffisante sur les marchés ») pour préciser que les fondements de sa vision de l’économie sont ceux de … Friedrich von Hayek ! En le citant abondamment dans son discours, il n’a pas hésité à déclarer que le livre La route de la servitude (1944) du fondateur du néolibéralisme a « façonné et transformé sa façon de voir le monde ».
Ainsi, les choses sont claires : le rôle de l’État dans l’économie ne consiste qu’à veiller à ce que la concurrence soit libre et non faussée. Que le meilleur gagne et tant pis pour tous les autres ! Pas question de venir en aide à ceux qui ne sont rien, ce serait en faire des assistés alors qu’ils doivent s’assumer parce qu’ils sont seuls responsables de leur situation, qu’ils doivent trouver en eux-mêmes la force et le courage de se battre, et réussir par leur seul mérite.
Et pour les stimuler, les culpabiliser est une méthode efficace.
Alors, quand le ministre de l’économie d’un gouvernement qui s’affirme aussi délibérément “libéral”, fait des déclarations fracassantes contre une entreprise qui décide de fermer une de ses usines, on ne peut pas douter que ses larmes soient des larmes de crocodile.
Le cas le plus récent est sans doute la fermeture par Ford de son site de Blanquefort en Gironde. Bruno Le Maire a beau dire qu’il se lamente pour les 800 emplois directs … et les quelque 2.000 emplois indirects qui vont disparaître de la région, on ne peut pas être dupes, même quand il fait semblant d’intervenir en qualifiant de « candidat sérieux et fiable » Punch, le repreneur belge que Ford a rejeté deux fois.
Pour sauver ces emplois, pourquoi ne pas nationaliser l’entreprise ? — La réponse du ministre, fin janvier, a été : « L’État n’a en aucun cas vocation à être propriétaire de l’usine ». On ne peut pas confirmer plus nettement ce qui précède.
Dans ces conditions, comment rêver qu’un débat, mené par ce gouvernement, puisse faire changer une aussi ferme détermination, une idéologie aussi profondément ancrée ?
Le comble, dans cette politique “libérale”, est qu’elle s’accompagne d’une splendide contradiction : pas question d’aider les plus dépourvus, mais… mais par contre, il convient d’aider les plus grandes entreprises, il suffit pour cela de s’appuyer sur la belle théorie dite du “ruissellement” selon laquelle dès qu’une entreprise prospère, elle investit et donc crée des emplois !!
Qu’importe que l’expérience prouve exactement le contraire, et de façon évidente. On continue ! C’est dans cet esprit qu’a été voté le Crédit Impôt Compétitivité Emploi, le CICE. Une trouvaille ! Qu’on en juge : en 2015, La Poste touchait 341 millions de CICE et supprimait 6.284 postes ; en 2014, la SNCF touchait 318 millions et supprimait 1.400 emplois, avec comme objectif 10.000 suppressions d’ici à 2020. Dans le privé, c’est plus difficile à savoir à cause de l’absence de transparence, mais Carrefour a touché en 2017 autour de 400 millions de CICE et d’exonération de charges, et a annoncé, début 2018, vouloir supprimer 4.500 emplois. Dans le secteur bancaire le record semble revenir à la BPCE qui a touché des centaines de millions du CICE et supprimé 4.000 postes. Et Michelin, qui se fait particulièrement discret sur le montant des aides reçues, a prévu, il y a un an, 1.950 suppressions de postes d’ici à 2020, dont 1.500 en France. De même, Airbus a annoncé 3.700 suppressions d’emplois dont 470 en France.
Comme l’a dit notre chef (d’État), il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi. Donc on tient bon et tout continuera à aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.